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missionnaires, soit qu'il eût été fait par le démettant, dans l'acte de démission, soit qu'il fût postérieur, n'était qu'un partage provisoire.

Les démissionnaires n'avaient pas la propriété réelle, ou, au moins incommutable des biens, puisque le démettant pouvait, à chaque instant, reprendre cette propriété, et que, s'il révoquait la démission, cette révocation qui s'exerçait en vertu d'un droit inné et intrinsèque au contrat, annulait, ipso jure, toutes les aliénations que pouvaient avoir consentics les démissionnaires, et même les hypothèques qu'ils avaient souscrites: les biens rentraient dans les mains du démettant, comme s'il n'y avait eu aucune disposition de sa part.

Aussi était-il généralement reconnu par les auteurs, 1o. que les démissionnaires devaient être, non-seulement héritiers présomptifs, au jour de la démission, mais encore héritiers, à l'instant de la mort du démettant ; 2°. que le partage des biens devait se faire, non pas suivant la loi sur les successions, existante au moment de la démission, mais suivant celle existante au moment du décès du démettant ; 3°. que tous les héritiers, appelés par cette dernière loi, devaient être appelés au partage des biens du démettant, même de ceux compris dans la démission.

« Pour connaître, dit Boullenois dans sa 7. question sur les démissions de biens, si le partage est conforme à la loi, il faut le considérer dans le moment du décès du démettant, et non pas dans le moment de la démission, parce que la démission n'est qu'un partage anticipé, une dessaisine prématurée qui doit avoir pour règle la saisine légale : or, la loi ne saisissant définitivement que par le décès, c'est le moment du décès qui met la loi en action, et c'est par l'opération que la loi fait en ce moment, que l'on peut connaître si l'opération de l'homme se trouve d'accord avec l'opération de la loi. »

Le même auteur dit, dans la 16°. question: « La démission exige, dans la personne du démissionnaire, d'être héritier présomptif, tant au jour de la démission, que pendant la vie du démettant, puisque la démission n'est qu'une succession avancée; or, par la naissance d'un enfant, les collatéraux démissionnaires cessent d'être les héritiers présomptifs, et, par conséquent, la démission est annulée, même quand elle aurait la forme de donation entre-vifs. >>

Long-temps auparavant, Dumoulin avait professé les mêmes principes. Un père n'ayant que deux enfans, leur avait fait l'abandon de tous ses

biens; mais, dans la suite, il lui était né d'autres enfans, et il fut question de savoir quels étaient, après sa mort, leurs droits sur les biens abandonnés, avant leur naissance, à leurs frères aînés. Lumoulin répondit qu'ils devaienty prendre chacun une part égale à celles des enfans démissionnaires, Nous avons rapporté le texte de son opinion, au précédent paragraphie. Tous ces principes ont été formellement reconnus et consacrés par un arrêt de la cour de cassation, rendu le 8 messidor an 11, conformément aux conclusions de M. Merlin, dans l'espèce suivante: .

Sébastien Marotte, domicilié dans le ressort de la coutume du Nivernais, avait six enfans.

L'une de ses filles, en se mariant, renonça, moyennant une dot, à la succession de son père: une autre (Jeanne Claudine) embrassa la vie monastique

Le 22 février 1792, Sébastien Marotte s'est démis et dévesti de tous ses biens, en faveur des quatre enfans qui restaient habiles à lui succéder, pour, par eux, en jouir, user et disposer, méme les partager entr'eux, ainsi qu'ils aviseraient. Seulement il s'est réservé la jouissance viagère de quelques objets, et une pension de 1800 liv. Il a, du reste, imposé à ses quatre enfans, la charge d'acquitter toutes ses dettes.

La démission a été acceptée par les quatre enfans habiles à succéder, Sébastien Marotte est mort le 5 nivose an 5.

La fille, ex-religieuse, qui, par la loi du 17 nivose an 2, se trouvait réintégrée dans le droit de succéder, a réclamé sa part dans la succession de son père.

Ses frères ne lui ont pas contesté la qualité d'héritière; mais ils ont soutenu qu'elle n'avait rien à prétendre dans les biens dont leur père s'était démis en leur faveur, le 22 février 1792, parce qu'à cette époque elle était encore incapable de succéder.

Alors s'est élevée la question de savoir si la démission de biens avait été révocable de la part de Sébastien Marotte, et subsidiairement, si celui-ci ne l'ayant pas révoquée, elle devait avoir son effet, du jour même de sa date, ou si, par rapport à Jeanne-Claudine, les biens compris dans cette disposition, devaient être considérés comme s'étant trouvés dans la succession du démettant.

Sur cette question, le tribunal d'appel de Bourgos a décidé « que la démission de biens est une succession anticipée, qu'elle doit être faite

que

à tous les héritiers présomptifs ; que non-seulement elle est révocable à volonté, mais qu'elle est annulée par la survenance d'un nouvel enfant ; Sébastien Marotte n'étant décédé que le 5 nivose an 5, JeanneClaudine qui, par les lois antérieures, se trouvait rendue à la vie civile, avait repris sa place au sein de sa famille ; que, dès lors, la démission de biens, du 22 février 1792, manquait de la plus essentielle de ses conditions; qu'elle ne se trouvait plus faite à tous les héritiers présomptifs du démettant; qu'ainsi, étant nulle, le père était resté saisi de tous ses biens. >>

Les frères s'étant pourvus en cassation contre ce jugement, le pourvoi a été rejeté par l'arrêt du 8 messidor an II, dont voici les motifs :

« Attendu qu'aux termes de l'art. 17 du titre 34 de la coutume du Nivernais, qui régit les parties et les biens dont il s'agit, la démission ou le partage qu'a fait Sébastien Marotte, de tous ses biens entre quatre de ses enfans, alors ses seuls héritiers présomptifs, étant révocable jusqu'à sa mort, a dû, d'après la réponse à la dix-huitième question de la loi du 22 ventose an 2, être considérée comme simple disposition à cause de mort; qu'une telle démission de biens, quoique non révoquée, doit, pour produire son effet, avoir été faite entre tous les héritiers présomptifs du père à son décès; d'où il suit que Jeanne-Claudine Marotte, ex-religieuse, ayant été relevée de ses voeux, et appelée à la succession de son père, par les lois des 5 brumaire et 17 nivose an 2, avait droit à cette succession composée, en majeure partie, des bienscompris dans la démission ou partage, en date du 22 fevrier 1792. » la cour de cassation n'a jugé de cette manière, que par la raison que les lois des 5 brumaire, 17 nivose et 22 ventose an 2, avaient déclaré nulles les dispositions à cause de mort, auxquelles la dernière de ces lois assimila les démissions de biens révocables, et parce que le démettant était mort sous l'empire de ces lois; mais que le Code Napoléon n'ayant pas également annulé les dispositions à cause de mort faites avant sa promulgation, et les ayant seulement réduites à la portion disponible, il devait résulter de cette différence, que les démissions de biens, qui étaient révocables, devaient produire leur effet, comme dispositions à cause de mort, dans toutes les successions ouvertes depuis la publication de la loi du 5 mai 1803 (13 floréal an II), et qu'ainsi les héritiers appelés à ces successions, ne pouvaient avoir le droit que

Dira-t-on que

de faire réduire, s'ils avaient le privilége de la réserve, ainsi qu'ils pourraient le faire à l'égard de toute autre disposition à cause de mort ?

Mais, d'abord, cette objection ne répond pas au second motif de l'arrêt de la cour de cassation, qui porte qu'une démission révocable, quoique non révoquée, doit, pour produire son effet, avoir été faite entre tous les héritiers présomptifs du démettant, à son décès; et il est évident que ce motif seul suffirait pour décider, 1°. que la démission révocable, lors même qu'elle serait une véritable disposition à cause de mort, ne pourrait valoir, sous l'empire du Code, qu'en faveur des démissionnaires qui étaient héritiers présomptifs, lors de la démission, et qui sont héritiers lors du décès; 2°. qu'elle ne pourrait être opposée aux individus qui se sont trouvés héritiers lors du décès, quoiqu'ils ne fussent pas héritiers présomptifs, lors de la démission.

D'ailleurs, il n'est pas exact de dire que la démission de biens, qui était révocable, fut une véritable disposition à cause de mort, et si la cour de cassation a employé cette dénomination, c'est qu'elle l'a trouvéc écrite dans la loi du 22 ventose an 2, dont elle citait la disposition comme l'un des motifs de sa décision; mais il est évident que la démission révocable n'était pas une simple disposition à cause de mort, puisqu'elle s'exécutait dès le moment où elle était consentie, sauf le cas de la révocation, puisqu'elle devait être faite nécessairement à tous les héritiers présomptifs du démettant, puisqu'elle devait être régie par la loi relative aux successions AB INTESTAT, puisqu'elle ne profitait aux démissionnaires qu'autant qu'ils étaient héritiers du démettant, au moment de son décès; que ce n'était donc qu'en cette qualité d'héritiers, qu'ils pouvaient conserver et partager définitivement les biens compris dans la démission ; et qu'en conséquence ce n'était pas comme donataires qu'ils devenaient définitivement propriétaires.

Dans la vérité, la démission révocable ne contenait d'autre don que celui de l'anticipation de la succession, et cette anticipation cessant au moment où la succession était réellement ouverte, le don cessait aussi pour faire place à l'exercice des droits des héritiers légitimes, et pour donner lieu at partage, suivant la loi des successions ab intestat.

Ce qui prouve bien encore que la démission révocable n'était pas considérée comme une donation, c'est que, même depuis l'ordonnance de 1731, elle n'était assujettie ni aux formalités des donations entre-vifs,

ni aux formalités des testamens, quoiqu'il fût dit expressément, dans Part. 3 de cette ordonnance, qu'il n'y aurait plus à l'avenir que deux formes de disposer de ses biens à titre gratuit, dont l'une serait celle des donations entre-vifs, et l'autre celle des testamens.

Telle était l'opinion de Boullenois, question 2, et de Pothier, dans son appendice sur le titre des successions, de la coutume d'Orléans, no. 3. M. Merlin prononce expressément, dans son nouveau répertoire de jurisprudence, au mot démission de biens, « qu'on ne pouvait pas dire que la démission de biens, dans les pays où elle était toujours révocable, fût une donation testamentaire, puisqu'elle dessaisissait actuellement la personne du démettant, et qu'elle lui laissait seulement la faculté de rentrer dans ses biens, comme il le jugeait à propos. C'était done, comme le disait Lebrun, Traité des successions, liv. I, chap. I, sect. 5, no. 2, quelquefois un contrat sans nom, do ut des, do ut facias, quelquefois un abandonnement pur et simple, et, dans l'un comme dans l'autre cas, il était affranchi de toutes formalités. >>

En appliquant tous les principes qui viennent d'être établis, à une démission révocable faite avant la publication de la loi du 19 avril 1805, mais dont l'auteur n'est décédé qu'après cette publication; il en résulte,

1°. Que les démissionnaires qui étaient héritiers présomptifs du démettant, au moment où la démission a été consentie, mais qui n'ont plus le droit de lui succéder, d'après les dispositions nouvelles de la loi du 19 avril 1803, ne conservent pas le bénéfice de la démission, qu'ils sont exclus par ceux qui sont héritiers au moment du décès, et tenus de leur rendre les biens en nature, francs et libres de toutes hypothèques ;

2°. Que, vice versa, ceux qui n'étaient pas héritiers présomptifs du démettant, au moment où a été consentie la démission, et qui, en conséquence, n'y ont pas été compris, mais qui se trouvent héritiers suivant la loi du 19 avril 1803, ont droit aux biens que le démettant avait abandonnés, et peuvent en provoquer le partage, comme s'il n'y avait pas eú de démission;

5o. Qu'entre les démissionnaires qui se sont trouvés héritiers aux deux' époques, le partage définitif doit être fait conformément à la loi sur les successions ab intestat, existante au moment du décès du démettant, et non suivant la loi qui existait au moment de la démission.

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