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II. Mais il n'en était pas de même à l'égard des démissions de biens, qui étaient irrévocables; et, pour le prouver, nous allons d'abord examiner quels étaient les principes qui régissaient cette espèce de démission; nous en ferons ensuite l'application aux questions proposées.

En général, toute démission de biens, révocable ou irrévocable, devait comprendre la totalité des biens qu'avait alors le démettant : si elle était bornée à une quote des biens, ou faite à titre singulier, elle ne pouvait être considérée que comme une donation. La démission de biens était une succession anticipée, et une succession ne se défère qu'à titre d'universalité.

La démission était irrévocable dans deux cas,

1o. Lorsqu'elle était faite en faveur des époux, par leur contrat de mariage: le caractère d'irrévocabilité fut constamment attaché à tous avantages faits, par contrats de mariage, en faveur de ceux qui se mariaient. Chopin, Coquille, Taisaud et Boullenois le disent expressément, à l'égard des démissions de biens;

2o. Lorsqu'elle était déclarée irrévocable par la coutume ou la jurisprudence du pays où elle était faite, comme dans la ci-devant Bretagne et dans la ci-devant Normandie.

La démission irrévocable devait être faite, comme celle qui était purement révocable, en faveur de toutes les personnes qui étaient alors héritières présomptives du démettant, suivant la loi existante : c'était une succession anticipée, et conséquemment tous les héritiers devaient y être appelés. Si la démission n'était pas en faveur de tous, l'acte n'avait plus le caractère d'une véritable démission, et ne pouvait être considéré que comme une donation en faveur de ceux au profit de qui il était souscrit. C'était encore une condition essentielle de la démission de biens, même irrévocable, et qui était inhérente à sa nature, que le partage fût fait entre tous les démissionnaires, conformément à la loi relative aux successions ab intestat; autrement, en effet, ce n'était plus une succession anticipée, et il n'y avait plus simple démission de biens; mais le démettant réglant, à sa volonté, le partage de ses biens, et se conformant pas à la loi sur les successions ab intestat, faisait évidemment une donation.

Cependant, lorsque la démission irrévocable était faite, comme nous l'avons indiqué, elle prenait, à raison de son irrévocabilité, le caractère

d'une donation entre-vifs, en faveur de tous les démissionnaires : aussi était-elle soumise à toutes les formalités prescrites par l'ordonnance de 1731, pour la validité des donations entre-vifs.

Poulain du Parcq, dans ses Principes du Droit français, tom. 4 page 256, dit que la démission des biens est irrévocable en Bretagne, comme don entre-vifs.

Gabriel, dans ses observations détachées sur les coutumes et usages du ressort du parlement de Metz, tom. 2, tit. 6, obs. 17, prouve, par un grand nombre de jugemens, que, dans le ressort du parlement de Metz, les démissions de biens sont irrévocables comme en Bretagne, comme en Normandie; et, venant à la nature de ces dispositions, il ne trouve aucune difficulté à les ranger dans la classe des vraies donations entre- vifs. « Les démissions de biens, ajoute-t-il à l'endroit cité, n°. 22, ne peuvent donc être faites que dans la forme des donations entre-vifs. » M. Merlin développa cette opinion, dans un plaidoyer qu'il prononça à la cour de cassation, le 18 fructidor an 13.

« La démission de biens, disait-il, ayant, dans les pays où elle est irrévocable, tous les caractères de la donation entre-vifs, comment ne serait-elle pas comprise dans l'art. 1 de l'ordonnance de 1731? Cet article comprend, dans sa disposition, tous actes portant donation entre-vifs; il y comprend donc nécessairement la démission de biens, dans les pays où elle est considérée comme donation entre-vifs, par cela seul qu'elle est irrévocable. »

M. Merlin alla plus loin: il soutint que, suivant la disposition de l'art. 1 de l'ordonnance, qui veut que toute donation entre-vifs soit faite par acte passé devant notaire, et suivant l'observation faite par Furgole, sur cet article, et conformément à une lettre écrite par M. d'Aguesseau, au premier président du parlement de Rouen, le 22 juillet 1731, la démission irrévocable ne pouvait pas être plus valable qu'une donation entre-vifs, lorsqu'elle était consignée dans un contrat de mariage sous seings privés, même en faveur des conjoints, et dans les pays mêmes où les contrats de mariage étaient valables sous signatures privées.

La cour de cassation adopta entièrement les conclusions de M. Merlin, par son arrêt rendu le même jour, (18 fructidor an 15) au rapport de M. Target.

<< Considérant, porte l'arrêt, que les démissions de biens irrévocables

ont le caractère de donations entre-vifs, qu'en conséquence ces démissions sont, à peine de nullité, assujetties à la formalité d'un acte par devant notaires avec minute; que, quelque fût l'usage des contrats de mariage sons seing privé, dans la ci-devant Normandie, cet usage ne peut autoriser les donations entre-vifs, insérées dans les contrats de mariage sous seing privé, etc. >>

C'était par les mêmes motifs, que la conr d'appel de Rouen avait annulé une démission de biens irrévocable, insérée dans un contrat de mariage, non passé devant notaire, et le pourvoi contre sa décision fut rejeté.

Il est donc certain qu'une démission irrévocable, était une véritable donation entre-vifs.

Aussi nous avons vu, dans le paragraphe précédent, que la démission irrévocable n'était révoquée pour cause de survenance d'enfans, que dans les mêmes cas, et de la même manière, que les donations entre-vifs.

Tirons maintenant les conséquences des principes que nous avons établis.

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De ce que la démission irrévocable avait tous les caractères d'une donation entre-vifs, qu'elle était soumise aux mêmes formalités et produisait les mêmes effets, il résulte nécessairement, 1°. que les démissionnaires qui étaient héritiers présomptifs du démettant, au moment de la démission, en conservent tout le bénéfice, lors même qu'ils ne se trouveraient pas héritiers du démettant, au moment de son décès, sauf le cas de la survenance d'enfans, ainsi que nous l'avons expliqué dans le précédent, paragraphe; 2°. que le partage doit être fait entre les démissionnaires, suivant la loi des successions, existante au moment de la démission, et non suivant la loi existante au moment du décès du démettant; 3°. que les personnes qui existaient au moment de la démission, et qui n'étaient pas alors héritières présomptives du démettant, ne peuvent rien réclamer des biens compris dans la démission, quoiqu'elles se trouvent héritières au moment du décès du démettant, à moins que les démissionnaires, qui se trouvent aussi héritiers, ne fussent obligés, par la loi existante au mo¬ ment de la démission, de rapporter à la succession du démettant, tous les biens donnés, lors même qu'ils y renonceraient,

Il est évident, en effet, que, si l'on n'admettait pas ces trois conséla démission ne serait pas réellement irrévocable; qu'elle ne serait pas réellement une donation entre-vils, puisque toute disposition

quences,

irrévocable de sa nature, étant accomplie, définitive et parfaite dès le moment de sa confection, produit, dès ce moment, tout son effet, et ne peut, conséquemment, ni dépendre d'un événement futur, si la condition n'en a pas été expressément apposée, ni être soumise à une loi postérieure.

Le décret du 22 nivose an 2, déclara, d'une manière absolue et générale, que, dans les lieux où les démissions étaient irrévocables, elles seraient considérées comme donations entre-vifs, et, comme telles, maintenues, si elles étaient antérieures au 14 juillet 1789, ( termes qui, d'après la loi du 9 fructidor an 3, sont aujourd'hui synonymes de ceux-ci, antérieures à la publication de la loi du 17 nivose), et qu'ailleurs, elles seraient considérées comme simples dispositions à cause de mort.

Les démissions de biens, antérieures à la publication de la loi du 17 nivose, et faites dans des pays où elles étaient originairement irrévocables, furent done maintenues, comme donations entre-vifs, même dans les successions ouvertes postérieurement à la publication de la loi du 17 nivose elles furent maintenues indistinctement, et dans tous les cas, nonseulement en faveur des démissionnaires qui ne se trouvaient pas héritiers au moment de l'ouverture de ces successions, puisque le décret du 22 ventose ne faisait, à cet égard, aucune distinction, mais encore contre tous les héritiers que pouvaient avoir les démettans, en vertu des lois postérieures à la démission, et même ceux que la loi du 17 nivose avait rétablis dans la qualité d'héritiers, comme les filles normandes, les exreligieux, les ex-religieuses.

C'est ainsi que l'a décidé, plusieurs fois, la cour de cassation.

Un arrêt de la cour d'appel de Rouen, ayant proscrit les prétentions d'une fille normande qui avait reçu son mariage avenant, et qui réclamait une part dans les biens dont la veuve Durand sa mère s'était démise, en 1769, au profit de ses enfans mâles, la section civile de la cour de cassation, en rejetant, par arrêt du 10 nivose an 12, la demande en pourvoi, déclara que les démissions étant des successions anticipées, celle de la veuve Durand était censée avoir eu son ouverture dès 1769, quoique la veuve ne fût décédée que le 25 frimaire an 5, et décida, en conséquence, que la fille, malgré qu'elle fût rappelée par la loi du 17 nivose, n'avait rien à prétendre dans les biens dont la mère s'était démise.

Même décision dans l'espèce suivante :

En 1767, la veuve Prévôt avait marié sa fille au sieur Duval-Poutrel, et lui avait constitué un mariage avenant. Elle s'était ensuite, par un acte du 24 avril 1784, démise de tous ses biens, en faveur de ses enfans mâles.

Elle mourut en l'an 8, et alors la dame Duval-Poutrel se fondant sur l'art. 434 de la coutume de Normandie, combiné avec les lois des 8 avril 1791 et 17 nivose an 2, réclama le tiers de la succession de sa mère, en y imputant le mariage avenant qu'elle avait reçu.

Ses frères ayant renoncé à la succession, pour s'en tenir aux biens compris dans la démission, opposèrent à leur sœur l'art. I. de la loi du 18 pluviose an 5, et tout en convenant que les lois nouvelles avaient donné aux filles normandes la qualité d'héritières que la coutume leur refusait, ils soutinrent que leur sœur ne pouvait pas faire concourir les deux législations, ne puiser, dans l'une et l'autre', que ce qui lui était favorable, et laisser à l'écart ce qui lui était contraire; que l'art. 434 de la coutume de Normandie, ne prescrivait le rapport qu'en faveur des måles non donataires; que les lois des 8 avril 1791, et 17 nivose an 2, en rendant les filles normandes habiles à succéder concurremment avec leurs frères, n'avaient point changé leur sexe, et ne les avaient pas assimilées aux héritiers dont parle la contume, et que, si ces lois avaient d'abord pu occasionner là-dessus quelques doutes, elles avaient été suffisamment expliquées par la disposition de l'art. I. de la loi du 18 pluviose an 5, qui maintient expressément tous les avantages légitimement stipulés avant la loi du 7 mars 1793.

Un arrêt de la cour d'appel de Rouen, du 13 messidor an 10, ayant rejeté la prétention de la fille, il y eut pourvoi en cassation; mais la demande en pourvoi fut rejetée par arrêt de la section civile de la cour de cassation, rendu le 2 pluviose an 12, au rapport de M. Vergès, et dont voici les motifs :

<«< Attendu que l'art. 1o. de la loi du 18 pluviose an 5, a maintenu les donations entre-vifs et autres dispositions, irrévocables, de leur nature légitimement stipulées en ligne directe, avant la publication de la loi du 7 mars 1793, tant sur les successions ouvertes que sur celles qui s'ouvriraient à l'avenir ; Attendu que la donation faite, le 24 avril 1784, aux défendeurs, a été, dès ce moment, d'après la coutume de Normandie,

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