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signé dans un contrat de mariage, il doit s'exercer, à l'instant où il produit son effet, conformément à la loi sous laquelle il a été constitué.

C'est ainsi que, d'après l'avis de tous les auteurs, l'institué contractuel qui n'est saisi de la propriété qu'au moment du décès de l'instituant, est cependant saisi du droit, dès l'instant de la disposition, et l'exerce conformément à la loi sous l'empire de laquelle a été consentie l'institution contractuelle.

En un mot, et c'est toujours là le point essentiel auquel il faut en revenir définitivement; la loi qui établit des règles nouvelles sur la disponibilité des biens à titre gratuit, ou sur la forme de disposer, ne peut s'appliquer qu'aux dispositions faites sous son empire: elle aurait nécessairement un effet rétroactif, si on l'appliquait aux dispositions faites sous l'empire de lois antérieures qui avaient des règles différentes, et surtout, si l'on donnait à ses règles nouvelles, le pouvoir de rendre valables les dispositions qui étaient nulles en vertu des prohibitions expresses prononcées par les lois qui les régissaient originairement.

Si l'application a lieu pour les dispositions testamentaires, lorsque les testateurs sont décédés sous l'empire de la loi nouvelle, c'est que ces dispositions ne sont censées faites, et n'ont d'existence et de date réelles qu'au moment du décès des testateurs; mais on ne peut pas dire qu'une donation à cause de mort, consignée dans un contrat de mariage authentique, ne soit censée faite et n'ait d'existence et de date, qu'au moment du décès du donateur: autrement il faudrait convenir qu'elle est toujours révocable. Tels ont été les principes sur lesquels a été fondé l'arrêt de la cour de cassation, du 7 ventose an 13, qui a été rendu dans l'espèce suivante. En 1792, le sieur Huguès épousa la demoiselle Gosselin.

Leur mariage fut contracté sous l'empire de la coutume de Normandie, et leurs conventions matrimoniales furent arrêtées par acte sous seings privés, du 27 août

1792.

Cet acte contenait une donation faite par le sieur Besognet, en faveur de la demoiselle Gosselin et des enfans qui naîtraient de son mariage." Cette donation que la donataire déclara accepter, consistait dans la quatrième partie de tous les immeubles que le donateur avait recueillis dans la succession de son père, et de tous ceux qu'il avait acquis on pourrait acquérir: elle était stipulée pure et irrévocable, et en la meilleure forme que donation entre-vifs puisse valoir; mais elle était faite sous la

condition qu'elle n'aurait son effet qu'après le décès du donateur, et qu'alors seulement, et non plutôt, la donataire prendrait, en propriété et jouissance, les biens donnés, et que, dans le cas où elle décéderait sans enfans, la donation deviendrait comme non avenue.

Le 2 vendemiaire au 9, le sieur Besognet décéda,

Ses héritiers contestèrent la donation faite à la femme Huguès: ils soutinrent 1°. que c'était une véritable donation entre-vifs, et qu'en conséquence elle était nulle, aux termes de l'ordonnance de 1751, pour n'avoir pas été faite par acte devant notaire et insinuée; 2°. que, si on la considérait comme donation à cause de mort, elle ne pouvait avoir d'effet relativement aux propres du donateur, l'art. 427 de la coutume de Normandie, sous l'empire de laquelle elle avait été faite, défendant textuellement de disposer des propres, par donation à cause de mort, ou par testament.

Les sieur et dame Huguès répondirent que la donation était essentiellement à cause de mort, parce qu'il n'y avait pas eu tradition de biens donnés ; qu'en conséquence elle avait pu être faite par acte sous signatures privées, l'ordonnance de 1751 n'étant pas applicable;

non par

Que la donation étant à cause de mort, son effet devait être réglé, la loi qui régissait les biens donnés, à l'époque de la donation, mais par celle existante lors du décès du donateur; et qu'en l'an 9, époque de la mort du donateur, les lois nouvelles avaient aboli toute distinction de biens, et conséquemment fait cesser la prohibion prononcée par l'art. 427 de la coutume de Normandie.

Par jugement du 17 floréal an 10, le tribunal d'appel de Rouen valida la donation quant aux acquêts, mais l'annula quant aux propres, sur le fondement que cette donation était bien irrévocable, mais qu'il n'y avait cu aucune tradition, le donateur s'étant préféré au donataire, et que ce défaut de tradition ne permettait de la considérer que comme une donation à cause de mort ; mais que, lors de la confection de cette donation, la distinction des propres avec les acquêts, et la défense faite par Part. 427. de la coutume, de disposer des propres par donation à cause de mort, subsistant dans toute leur force, la donation dont il s'agit, n'était valable que pour les acquêts, et se trouvait illégale et caduque, en ce qui concernait les propres.

Toutes les parties se pourvurent en cassation contre ce jugement, et à

C

la suite d'une longue discussion que nous rapporterons, à l'art. Donations en faveur des époux, la section civile de la cour de cassation, après un long délibéré en la chambre du conseil, décida, en rejetant les pourvois respectifs :

avait

1°. Que la donation était à cause de mort, et qu'en conséquence elle être valablement faite par acte sous signatures privées, suivant un usage constant dans la ci-devant province de Normandie;

pu

2°. Qu'elle était irrévocable, étant consignée dans un contrat de mariage, en faveur d'un des époux et des enfans à naître de leur union;

5o. Qu'elle devait être régie, dans tous ses effets, par la loi en vigneur au moment de sa confection, et non par la loi qui existait au moment du décès du donateur; qu'en conséquence elle ne pouvait valoir que pour les biens qui étaient disponibles suivant la première loi.

Nous Lous bornerons, quant à présent, à rapporter les motifs de l'arrêt sur ce dernier point, relatif à la disponibilité.

« Attendu qu'en considérant la donation comme irrévocable, et en la plaçant sur la même ligne que les institutions contractuelles, son sort, ainsi que les effets qu'elle a dû produire, ont été fixés à l'instant même où elle a été faite; qu'en conséquence elle n'a pu comprendre que les seuls biens qui étaient alors dans la libre disposition du donateur, d'où al suit que les biens anciens ayant une autre destination déterminée par l'art. 427 de la coutume de Normandie, qui subsistait alors dans toute ́sa force, et qui défendait d'en disposer par donation à cause de mort, ou par testament, ne pouvaient ni ne devaient y être compris. >>

On voudra peut-être opposer à cet arrêt, sur la dernière question, un autre arrêt de la section civile de la cour de cassation, du 21 brumaire an 14, qui a décidé que les donations faites par contrats de mariage, entre époux encore existans à l'époque de la promulgation de la loi du 17 nivose an 2, devaient être réglées par cette loi, quant à la disponibilité des biens, et non par les lois qui étaient en vigueur, lorsque ces donations ont été consenties.

Dans le fait, ce dernier arrêt a déclaré valable une donation faite, dans un contrat de mariage, du 6 brumaire an 2, par le sieur Pinel"Lamarcellerie, à Anne Lecarpentier, sa future épouse, de la moitié de tous ses biens préseus et à venir, quoique, suivant la coutume de Normandie qui régissait les parties, et qui était en vigueur lors de la dona

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tion, le mari ne put, en faveur du mariage, donner à sa femme aucune part de ses immeubles.

Mais il faut bien remarquer que l'arrêt est motivé sur ce que les deux époux, donateur et donataire, ayant survécu à la publication de la loi du 17 nivose an 2, il fallait appliquer à la donation l'art. 13 de cette loi, qui ordonne que tous avantages, singuliers ou réciproques, stipulés entre les époux encóre existans, soit par leur contrat de mariage, soit par des actes postérieurs, auront leur plein et entier effet.

Pour qu'il n'y ait pas de doute à cet égard, voici le texte même de l'arrêt.

que, par

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(( Considérant l'art. 61 de la loi du 17 nivose, toutes lois, coutumes, usages et statuts contraires aux dispositions de cette loi, sont abolis; que l'art. 13 de la loi du 17 nivose, est le seul applicable à l'espèce présente, puisqu'il y s'agit d'avantages stipulés entre époux encore existans, par , par leur contrat de mariage; que cet article prescrit, que tels avantages, sans distinction, auront leur plein, et entier effet; que si la légalité de la stipulation est exigée par l'art. 14, c'est par rapport aux avantages faits entre époux, dont l'un serait décédé avant le 14 juillet 1789; qu'il n'est pas permis d'argumenter d'un article à l'antre, dans deux espèces absolument différentes, d'autant plus que, si telle eût été l'intention des législateurs, ils se fussent exprimés dans l'art. 15, comme dans l'art. 14, et on n'aurait fait des deux articles qu'un seul ; que les deux cas prévus par la loi, sont bien différens, puisqu'au premier cas, la nullité était réparable, et n'avait encore acquis de droits à personne, tandis qu'au second cas, la nullité était irréparable, et aurait acquis des droits aux héri-tiers, du jour du décès de l'un des époux; Considérant que cette disposition de l'art. 13 de la loi du 17 nivose, n'est point révoquée par les lois des g fructidor an 3, et 3 vendémiaire an 4, qui ont rapporté l'effet rétroactif de la loi du 17 nivose, parce que cette loi, en validant,, entre époux encore existans, des avantages qui devenaient généralement permis à tous les époux, avant qu'aucuns droits sur iceux eussent été acquis à des tiers, n'opérait en réalité aucun effet rétroactif; que cela résulte évidemment de la disposition de la loi dug fructidor an 2, dans sa réponse à la 55°. question proposée sur le sort des dispositions entre époux, lorsque, faites avant la promulgation de la loi du 17 nivose an 2, elles excédaient le point indiqué, soit par les conventions, soit par les lois

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d'alors, puisqu'il est répondu que, s'il s'agit de dispositions dont l'effet ait été ouvert avant la publication de la loi du 17 nivose, elles doivent être ramenées à ce terme, mais qu'à l'égard des dispositions dont l'effet s'est ouvert depuis, elles n'ont d'autres règles que les art. 13 et 14 de la loi du 17 nivose an 2. »

Nous n'examinerons pas le mérite de cet arrêt: nous n'examinerons pas si, malgré le rapport des dispositions rétroactives de la loi du 17 nivose, on pouvait encore faire produire un effet rétroatif à l'art. 15 de cette loi, en l'appliquant à une donation antérieure, et de nature irrévocable.

Il nous suffira de faire observer que, dans cette affaire, la section civile de la cour de cassation n'a admis de dérogation aux véritables principes de la matière, aux principes qu'elle avait déjà solennellement consacrés par son arrêt du 7 ventose an 13, que parce qu'elle a regardé la dérogation comme textuellement écrite dans l'art. 13 de la loi du 17 nivose, et non expressément rapportée par les lois postérieures; mais que cetté dérogation, en la supposant même bien prononcée, ne peut plus être admise, dès le moment où la loi qui lui servait de base, a cessé d'exister; c'est-à-dire, qu'elle ne doit avoir lieu qu'à l'égard des donations entre époux qui sont décédés sous l'empire de la loi du 17 nivose, et ne peut être appliquée aux donations irrévocables faites ayant cette loi, et dont les auteurs ne sont décédés que sous l'empire du Code Napoléon.

Il est incontestable, en effet, que la loi du 17 nivose ne peut pas plus que les autres, étendre son empire au delà de sa durée, pour régir des donations irrévocables consenties avant sa publication, et les régir dans des successions ouvertes postérieurement à son abrogation.

Le' Code Napoléon ne contient pas, d'ailleurs, de disposition semblable à celle de l'art. 15 de la loi du 17 nivose: il n'a pas, comme cet article, soumis à son empire, les donations irrévocables, faites avant sa publication, entre époux encore existans au moment où il a été promulgué: il a respecté, au contraire, tout ce qui avait été fait irrévocablement, avant qu'il fût publié il n'a disposé que pour l'avenir : il s'est interdit expressément tout effet rétroactif, et conséquemment depuis sa promulgation, les lois anciennes doivent toujours être religieusement exécutées, sans aucune dérogation, à l'égard de toutes les conventions irrévocables, valablement faites sous leur empire.

Enfin, nous pouvons appuyer encore notre opinion sur deux autres

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