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Ainsi, je remets à mon débiteur, sans rien exiger de lui, le titre d'une créance qu'il me doit. Il est certain que cette remise emporte, de ma part, renonciation à ma créance, et par conséquent donation de la somme qu'elle a pour objet ; cependant il n'est pas besoin, pour la validité de cette remise, que j'en fasse dresser acte par un notaire.

Ce que nous disons des donations tacites, nous devons le dire également des donations simulées.

Ainsi, je reconnais, par une quittance expresse, avoir reçu de vous une somme que vous me deviez; mais la vérité est que vous ne m'avez pas compté cette somme; la preuve en résulte d'un écrit quelconque émané de vous, et qui, en même tems, constate que c'est par pure libé– ralité, , que je vous ai donné cette quittance. Dira-t-on que cette quittance est nulle, parce qu'elle n'est pas passée devant notaire, parce que vous ne l'avez pas acceptée formellement, parce qu'elle n'a pas été insinuée? Jamais on n'a élevé pareille prétention.

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Ainsi, j'achète de vous, moyennant cent mille francs, un bien qui n'en vaut que cinquante mille, et il est prouvé, par notre correspondance que pour vous gratifier de cinquante mille francs, que j'ai élevé le prix au double de la valeur du bien. Viendra-t-on critiquer cette gratification, sous le prétexte qu'elle n'est pas revêtue des formalités des donatións entre-vifs? ce serait, nous osons le dire, une entreprise téméraire et dérisoire.

Pourquoi donc en serait-il autrement dans notre espèce ? Il importe peu, comme l'ont observé les premiers juges, que, par la contre-lettre du 21 décembre 1788, Françoise Toussalin ait reconnu qu'il y avait simulation dans l'acte de constitution du même jour. Un pareil acte étant, ⚫ en la forme, autorisé par les lois, et étant souscrit par une personne qui pouvait également ou donner, ou se reconnaître débitrice, la simulation, en pareil cas, n'est point un vice qui entraîne la nullité de l'acte, ne dedonner lieu que lorsqu'elle est employée pour disposer en fraude

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de la loi, en faveur d'un indigne ou incapable.

Remarquons d'ailleurs que, même d'après la contre-lettre, la constitution de rente viagère ne peut pas être envisagée comme une pure libéralité, mais bien plutôt comme un contrat do ut facias.

Gaullier père

En effet, il résulte de la contre-lettre, que, si d'une part, a promis à Françoise Toussalin, une rente viagère de 800 livres, de

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son côté aussi, Françoise Toussalin s'est obligée de rester au service de Gaullier père, jusqu'à son décès, sans même pouvoir se marier jusqu'à. cette époque. Ces deux engagemens sont, par la contre-lettre, tellement liés l'un à l'autre, que celui-ci venant à manquer, celui-là se dissout de plein droit; et assurément il n'y a rien là qui ressemble à une donation proprement dite, rien par conséquent qui puisse faire annuler l'acte, sous prétexte qu'il n'est pas conforme à l'ordonnance de 1731.

La section des requêtes du tribunal de cassation rendit, le 13 vendémiaire an 11, au rapport de M. Chasle, un jugement qui rejeta la de-, mande, et qui est ainsi motivé.

<< Attendu que les juges du tribunal d'appel d'Orléans, qui ont adopté les motifs des juges du tribunal de première instance séant à Tours, n'ont contrevenu à aucune loi, en décidant que les deux actes du 21 décembre 1788, réunis, présentaient des engagemens réciproques consentis entre les parties y dénommées, qu'ils n'étaient révocables que de leur consentement mutuel, sauf le cas d'inexécution de l'une ou des deux conditions y établies, ce qui n'est point arrivé, et en maintenant les deux actes, soit comme irrévocables et comme non révoqués, soit comme n'étant pas soumis aux dispositions de l'ordonnance des donations du mois de février 1731. »

La même question fut portée, la même année, à la section civile du tribunal de cassation, et y reçut la même décision, mais après un partage dans la chambre, qui fut vidé avec cinq nouveaux juges appelés au jugement.

Nous allons rapporter l'espèce et la discussion, d'après le Journal de Jurisprudence du tribunal de cassation.

<< Par acte public du 4 mars 1793, François Henry a vendu à deux de ses neveux et à une nièce, plusieurs immeubles.

» Cette vente a été faite sous la réserve de la jouissance d'une maison et d'un jardin qui y étaient compris, et à la charge, par les acquéreurs, 1o. de payer au vendeur 600 francs de rente annuelle et viagère; 2°. de lui livrer, chaque année, pendant sa vie, vingt livres de chanvre et quinze livres de beurre ; 3°. enfin de payer, après son décès, 800 francs à différentes personnes.

Au mois de vendémiaire an 3, François Henry forme une demande

en nullité du contrat de vente, qu'il qualifie de libéralité qu'il prétend lui avoir été surprise.

Le 2 messidor an 4, il décède, sans avoir donné aucune suite à cette demande que plusieurs de ses héritiers reproduisent eu l'an 6, sur le fondement que le contrat contenait une donation déguisée sous l'apparence d'une vente.

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Les frères et sœur Henry, acquéreurs, soutiennent que la vente est sincère, et que, lors même qu'elle pourrait être envisagée comme une donation, elle serait valable, François Henry étant libre de disposer de ses biens en leur faveur.

Le 2 ventose an 8, jugement du tribunal civil de la Haute-Saône, qui déclare simulé l'acte dont il s'agit, et l'annulle...

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Le 28 frimaire an 9, jugement confirmatif par le tribunal d'appel, séant à Besançon.

Pourvoi en cassation, fondé sur les lois relatives aux conventions, et sur l'art. 7 de la loi du 18 pluviose an 5, qui rétablit dans leur état primitif les ventes à fonds perdu, qui avaient été annulées par l'art. 26 de la loi du 17 nivose an 2, lorsqu'elles ont été faites par acte ayant date certaine avant la publication de cette loi.

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Dans l'espèce, a dit le défenseur des demandeurs, la vente à fonds perdu remonte au 4 mars 1793; elle a été passée devant notaires et enre-gistrée; elle a donc une date certaine antérieure à la publication de la loi du 17 nivose.

Le tribunal d'appel de Besançon a, il est vrai, considéré cette vente comme une donation déguisée, et décidé que François Henry n'avait pu transmettre aux frères et sœur Henry, sous la dénomination empruntée d'un acte à titre onéreux, des biens qu'il entendait leur donner.

Mais ce tribunal a, par - là, fait une étrange confusion des principes en matière de simulation de contrats.

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La simulation d'un acte n'est frappée de l'anathème de la loi, que dans le cas où celui qui l'a employée, cu principalement pour objet d'éluder par cette voie indirecte, la prohibition qui tombait sur la chose, ou sur la personne.

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Par exemple, si la loi défend de disposer à titre gratuit de tels biens, ou d'en disposer, à ce titre, en faveur de telles personnes, il est évident, dans ces deux cas, qu'il ne sera pas permis d'emprunter le nom' simulé

d'une vente ou de tel autre contrat à titre onéreux, pour légitimer, par une apparence spécieuse, une disposition gratuite que la loi réprouve.

C'est dans ce sens unique, que la simulation est considérée comme frauduleuse, parce qu'elle a pour objet de soustraire la personne, ou la' chose, à la prohibition de la loi.

Mais il n'en est pas de même, lorsque l'auteur de la libéralité déguisée était libre de disposer de sa propriété comme bon lui semblait, et en faveur de toutes sortes de personnes : l'acte qui constate cette libéralité, quelle qu'en soit la forme, doit être respecté..

C'est la doctrine du président Faber, qui, dans la définition troisième sur la rubrique du Code, plus valere quod agitur quàm quod simultatè concipitur, établit, comme maximecertaine, que, contractus simulatus valet secundùm id quod actum est, si eo modo valere possit.

Il cite à l'appui de son opinion, la loi 36, ff. de contract., et la loi 38, au même titre.

Cette dernière loi distingue, d'une manière bien précise, les deux espèces de simulation, dont l'une est prohibée et l'autre permise.

Si la vente est faite à vil prix à une personne étrangère avec laquelle le disposant ait la liberté de contracter à son gré, bien qu'elle soit faite donationis causá, Ulpien décide qu'elle vaut néanmoins comme vente, dubium non est venditionem valere

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Mais si elle est faite à la femme par le mari, ou au mari par la femme, alors le jurisconsulte répond qu'elle n'est pas valable, inter virum et uxorem donationis causá venditio facta pretio viliore, nulli moménti est.

o Et pourquoi rend-il cette décision? c'est que, de son tems, et par le Jdroit du digeste, les gens mariés étaient personnes prohibées, l'une à Bégard de l'autre.

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. Dans son commentaire de la loi 36, Godefroi se demande si une vente contenant une donation déguisée, peut valoir comme donation. Quid? videtur ne donare ut actus valeat, ut donatio Il répond, sio sanè, et il en donne de suite la raison, valet ut donatio quod non valet ut emptio donandi animus fuit..

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Le même jurisconsulte Ulpien professe la même doctrine lorsqu'il s'agit d'un bail simulé, et il le maintient encore sous le rapport d'une donation de l'usage de l'objet cédé à tits fictif de bail. i

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C'est ainsi qu'il s'en explique dans la loi 46, ff. de locat. cond., portant: si quis conduxerit nummo uno, conductio nulla est: quia et hoc donationis instar inducit.

Plusieurs lois du Code ne sont pas moins formelles.

Si donationis causâ venditionis simulatus contractus est: emptio sut definit substantia: sanè si in possessionem rei, sub specie venditionis, causá donationis, ut te aleret, induxisti; sicut perfecta donatio facilè rescindi non potest; ità legi quam tuis rebus donans dixisti parere convenit. Loi 3, Cod. de contrah. emp.

Godefroi se demande si un acte de cette espèce, déguisé sous le nom de vente, vaudra comme une donation, valebit ne donatio? Il répond, valebit; puis il ajoute et ità si non valet quod ago, ut ago, valet ut valere potest; non valet ut venditio, valet ut donatio; inspicitur voluntas contrahentium quibus animus fuit donare: ita ut verus contractus donationis prævaleat simulatæ venditioni.

On retrouve encore la même décision dans la loi 9 du même titre.
Il est donc vrai de dire que l'on peut simuler une donation véritable,

sous le nom d'une vente.

Dira-t-on que l'article 1. de l'ordonnance de 1731, a abrogé les donations/tacites?

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Cet article veut, il est vrai, que tous actes portant donation entre-vifs, soient passés par devant notaires, et qu'il en reste minute.

Mais, comme l'atteste Furgole, il n'a point abrogé les donations

- tacites.

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<< Il me semble, dit cet auteur, que l'intention du législateur n'a pas été de supprimer ou d'abroger les donations tacites, dans le cas où elles sont présumées, non plus que les quittances ou les renonciations qui sont d'écriture privée, lorsqu'elles renferment des traités réciproques, qu'on ne peut pas les considérer comme des donations proprement dites. Notre texte, par ces mots, tous actes portant donation entre-vifs, fait comprendre qu'il n'entend parler que des donations expresses dont on avait accoutumé de dresser des actes pour la preuve de la donation. >>

Et comment peut-on douter que les donations tacites n'aient encore lieu parmi nous, puisque le législateur moderne a placé les ventes à fonds perdu, sur la même ligne que les donations à charge de rentes viagères, et les prohibe, si elles sont faites à des successibles?

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