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Il a donc pensé que la vente à fonds perdu était un moyen indirect de la part du vendeur, de transmettre à titre lucratif ses biens, en tout> où en partie, à l'un de ses héritiers présomptifs.

Ainsi, ou François Henry qui a consenti au profit des demandeurs en cassation, l'acte de vente à fonds perdu, du 4 mars 1793, a eu l'intention de souscrire une véritable vente, ou bien il a voulu les gratifier, à titre de donation indirecte, des biens qui sont l'objet de cet acte.

Au premier cas, comme le contrat est revêtu de toutes les formes substantielles d'une vente à fonds perdu, il doit produire, sous ce rapport, tout l'effet d'une pareille ventc.

Si, au contraire, on veut absolument que l'acte contienne une donation déguisée sous le nom d'une vente, alors il se soutiendra encore sous le rapport d'une donation, quia animus donandi fuit, et qu'aucune loi n'empêchait le vendeur de disposer de ses biens, sous l'apparence d'un contrat onéreux.

Dira-t-on qu'envisagée comme une donation, la vente ne se trouve pas faite dans la forme d'une donation, et qu'elle est nulle, pour n'avoir pas, par exemple, été insinuée ?

Mais lorsque la convention est déguisée, sans intention de frauder la loi, il suffit que les parties remplissent les formalités de la convention apparente; on ne peut les astreindre à suivre celles de la convention déguisée.

Aussi, par jugement de la section des requêtes, du 13 vendemiaire an 11, a-t-il été décidé, conformément aux conclusions de M. le commissaire Merlin, qu'une donation déguisée sous l'apparence d'un contrat onéreux, n'était pas nulle, à défaut d'insinuation.

Et déjà le tribunal de cassation avait cassé, sur la demande de la veuve Civadier, un jugement qui, comme celui du tribunal d'appel de Besançon, avait annulé un acte de vente, sous prétexte que cet acte contenait une donation déguisée, quoique le prétendu vendeur fût libre de disposer de ses biens.

Ce jugement a été rendu le 23 vendemiaire an 10, au rapport de M. d'Outrepont. »

Tels sont les moyens qui ont été présentés au nom des frères et sœur Henry, à l'appui de leur pourvoi en cassation.

Les défendeurs ne se sont pas présentés pour les combattre.

M. Jonrde, substitut du commissaire, a donné un nouveau développe

ment à ces moyens.

Un partage d'opinions a été le résultat d'une première délibération du tribunal de cassation.

Cinq nouveaux juges ont depuis été appelés: un nouveau rapport a été fait le défenseur des demandeurs et M. Jourde ont, de nouveau, été entendus, et personne ne s'est encore présenté pour les défendeurs.

Mais voici les argumens qui furent employés dans le cours des débats des opinions, contre la demande en cassation, et à l'appui du jugement rendu par le tribunal de Besançon :

L'article 7 de la loi du 18 pluviose an 5, n'a pas été violé.

Cet article n'est applicable qu'aux véritables ventes à fonds perdu, antérieures à la publication de la loi du 17 nivose an 2.

Le tribunal d'appel de Besançon a jugé, en fait, que l'acte du 4 mars 1793, était une donation déguisée sous la forme d'une vente à fonds perdu.

C'est dans la qualité des parties, dans les motifs de l'acte, dans la vilité du prix, et dans la réclamation élevée par le vendeur lui-même contre cet acte, que le tribunal a puisé la preuve de cette simulation.

Il n'est donc permis d'envisager l'acte dont il s'agit, que comme une donation simulée.

Cet acte devait-il, sous ce rapport, être maintenu? Le sort de la demande en cassation dépend de la solution de cette question.

Il est vrai que la donation faite sous l'apparence d'une vente, n'était pas probibée.

Mais pourquoi les parties ne l'ont-elles pas faite dans la forme prescrite par Fordonnance de 1731 ? Ont-elles trouvé cette forme trop gênante, et voulu s'en affranchir? Ont-elles cherché à nuire à des tiers? Est-ce dans la pensée que le législateur restreindrait, comme il l'a fait depuis, la faculté de disposer de ses biens, et circonscrirait dans le cercle du nouveau droit, les dispositions récemment faites?

Quel qu'en soit le motif, la simulation de l'acte est déclarée cons

tante.

Or, les contrats simulés ne sont pas proprement dès contrats.

Colorem habent, dit d'Argentré sur l'art. 270 de la coutume de Bretagne,

substantiam verò nullam; nulla quippè conventio initur, nullus contractus agitur, sed fingitur.

Plusieurs lois du Code et du Digeste validaient, à la vérité, les donations déguisées sous l'apparence d'actes à titres onéreux, lorsque d'ailleurs elles n'étaient pas prohibées.

Mais pourquoi ? C'est que, suivant le droit romain, les donations entrevifs étaient parfaites par le seul consentement des donateurs. Perficiuntur autem, dit Justinien, cùm donator suam voluntatem scriptis aut sine scriptis manifestaverit.

En France, au contraire, une donation entre-vifs doit être constatée par acte public: elle doit, en outre, être acceptée par le donataire, être suivie de la tradition des biens donnés, et être insinuée.

Il ne suffit donc pas qu'un acte à titre onéreux soit fait animo donandi, pour valoir comme donation.

Depuis l'ordonnance de 1731, les lois romaines qui décidaient le contraire, ont cessé d'avoir leur empire dans les parties de la France où elles avaient une autorité législative.

Cette ordonnance est commune à toute la France, pour ce qui regarde, dit d'Aguesseau, la nature, la forme et les charges ou les conditions des

donations.

Une donation entre-vifs ne peut donc valoir, si elle n'est pas faite dans cette forme.

Il est bien vrai que Furgole pense que l'ordonnance de 1731, n'a pas abrogé les donations tacites.

Mais cet auteur n'entend pas parler des donations écrites, déguisées sous la forme d'actes à titre onéreux, mais seulement de celles que la loi présume, et qu'il n'était pas nécessaire de constater par actes exprès.

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Aussi se fonde-t-il, pour le penser ainsi, sur les mots de l'article 1o. de l'ordonnance, tous actes portant donation entre-vifs, et ne cite-t-il, pour exemples, que des cas où le don se consomme par la tradition

réelle.

Et son opinion ainsi entendue, a pour appui l'autorité de d'Aguesseau. « A l'égard d'un don, dit cet illustre chancelier, qui se consommerait sans acte, par la tradition réelle d'un meuble, ou d'une modique somme l'article 1°. de l'ordonnance ne parlant que des actes portant donation n'a pas d'application à ce cas. >>

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Boutaric, Sallé et Damours qui, comme Furgole, ont commenté l'or. donnance de 1751 sur les donations, déclarent qu'une donation entre-vifs ne peut valoir, si elle n'est pas faite dans la forme prescrite par cette ordonnance.

« Supposons pour un moment, dit le dernier de ces commentateurs, que les donations tacites et conjecturales soient reçues ; il n'est pas douteux qu'on ne pourra les tirer que des faits ou des conventions. D'un côté, la preuve par témoins est défendue, quand il s'agit d'un objet dont la valeur excède cent francs, et il faut indispensablement qu'il y ait un acte par écrit, sans quoi les conventions, et par conséquent les donations sont, en justice, regardées comme si elles n'avaient jamais existé. D'un autre côté, si l'on veut induire une donation d'un autre acte, ou d'autres conventions, que le donateur et le donataire auront pu passer ensemble, il faut faire attention que ces actes ne pourront prouver la donation, s'ils ne sont pas revêtus de toutes les formalités prescrites pour les donations

entre-vifs. >>

« On pourrait cependant, ajoute Damours, citer pour exemple de donation tacite et conjecturale, les contrats qu'on appelle pollicitations; ce sont des engagemens qui se contractent sans écrit, ou par toute sorte d'écrits, et qui résultent des faits de celui qui a eu le dessein de faire quelque chose d'utile au public, et qui a commencé d'exécuter son dessein; on oblige, en conséquence, ses héritiers à l'achever. Ainsi le célèbre Amiot, évêque d'Auxerre, ayant voulu faire bâtir un collége, et s'étant trouvé, après sa mort, un marbre où il avait fait graver l'inscription qui devait être sur la porte du collége, ses héritiers furent condamnés à le bâtir. On pourrait prétendre que l'ordonnance, n'a rien changé à cet égard, en regardant les pollicitations comme un genre particulier de contrat; mais elles ne sont pas moins de vraies donations entre-vifs, sujettes aux mêmes formalités que les autres, depuis que, par l'ordonnance des donations et par celle des testamens, l'exception de la cause pie a été rejetée. »

Est-il permis de douter qu'une donation déguisée sous l'apparence d'une vente, ne soit, en effet, comme toute autre donation, soumise à l'empire de l'ordonnance de 1731?

L'article 1. de cette ordonnance veut, à peine de nullité, que tous

actes portant donation entre-vifs, soient passés devant notaire, et qu'il en reste minute.

L'article 2 porte que les donations entre-vifs seront faites dans la forme ordinaire des contrats.

Tout acte à titre onéreux qui est déclaré n'être qu'une donation, est évidemment un acte portant donation entre-vifs, une donation entrevifs.

Les articles 1 et 2 sont donc textuellement applicables à cet acte.

L'article 4 déclare qu'une donation entre-vifs qui n'est pas valable en cette qualité, ne peut valoir comme donation à cause de mort, ou testamentaire, de quelque formalité qu'elle soit revêtue.

Or, peut-on penser qu'un acte à titre onéreux, qui n'est qu'une donation entre-vifs, doive en avoir tout l'effet, quoique cette donation déguisée ne soit pas revêtue des formalités prescrites par l'ordonnance de 1731?

Les formalités de la donation entre-vifs sont, outre l'authenticité de l'acte, l'acceptation, la tradition et l'insinuation.

S'il était permis de donner sous la forme d'un acte à titre onéreux, il serait facile d'affranchir les donations entre-vifs de toutes ces forma

lités.

Une donation pourrait être faite sous l'apparence d'une, vente par acte sous signature privée. Le donateur, au mépris de la règle donner et retenir ne vaut, pourrait rester dépositaire de l'acte contenant cette donation. simulée; l'acceptation du donataire et la tradition des biens donnés ne seraient pas essentiellement nécessaires pour faire produire à l'acte son véritable effet; la donation serait surtout affranchie de l'insinuation, de cette formalité essentielle dont l'objet est de rendre publics tous les engagemens d'un citoyen qui aliène à titre gratuit, et dont le défaut peut, aux termes de l'art. 27 de l'ordonnance de 1751, être opposé par les créanciers, et même par les héritiers du donateur.

Une pareille donation est nécessairement frauduleuse, quoiqu'elle n'ait pas eu pour objet d'éluder une prohibition légale.

Cette fraude consiste en ce que les parties ont, sous l'apparence d'un acte à titre onéreux, soustrait la donation à l'empire de la loi qui, en preserivant la forme des donations, ne permet pas aux parties de donner à leur gré une autre forme.

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