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Pourquoi le législateur a-t-il assujetti les donations à plusieurs formalités ?

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« A l'égard de l'article 1°., dit d'Aguesseau, sa disposition a paru d'autant plus nécessaire, que la donation entre-viss étant irrévocable, il est plus important d'y prévenir les fraudes et les surprises par la solennité extérieure de l'acte, suivant l'esprit de la loi 25, au Code, de donationibus. »

Tolérer des donations entre-vifs faites sous l'apparence d'actes à titre onéreux, ne serait-ce pas ouvrir la porte à la fraude et à la mauvaise foi? Un homme ne pourrait-il pas donner tout son bien, sans qu'il parût aucun changement extérieur à l'état de sa fortune? Trompés par de fausses apparences, des étrangers pourraient contracter avec lui, et ses héritiers accepter, sans hésiter, sa succession, qui leur serait onéreuse.

Enfin, contre le texte de l'art. 39 de l'ordonnance de 1731, et de la loi dernière, au Code de revocandis donationibus, la donation simulée se trouverait, dans le cas de survenance d'enfant, ou de l'ingratitude du donataire, à l'abri de la révocation.

La loi du 17 nivose considère bien comme des donations déguisées, les ventes à fonds perdu faites à des successibles; mais si elle ne prohibe ces ventes que dans ce cas, elle ne les valide pas, lorsqu'elles sont faites à des étrangers, et qu'elles ne sont que des donations déguisées.

Et ce qui achève de démontrer que, dans l'esprit de la loi, les donations déguisées dans la forme d'actes à titres onéreux, ne peuvent avoir leur effet, c'est que les droits de mutation opérée par acte de vente, sont différens de ceux fixés pour les donations entre-vifs en ligne collatérale ́et qu'aujourd'hui les uns sont portés à quatre pour cent, et les autres à cinq pour cent; il serait donc facile, si de pareilles donations étaient admises, de frustrer une partie des droits d'enregistrement auxquels les donations entre-vifs sont assujetties. »

Nous allons maintenant rapporter en entier le jugement rendu par la section civile du tribunal de cassation, le 6 pluviose an 11, au rapport de M. Cochard, lequel vidant le partage, a cassé le jugement du tribunal de Besançon.

« Vu la loi 36, D. de contrahendá emptione, qui porte: cùm in venditione quis pretium rei ponit donationis causá non exacturus, non videtur vendere.

La loi 38 du même titre, ainsi conçu: si quis donationis causá minoris vendat, venditio valet: totiès enim dicimus in totum venditionem non valere, quotiès universa venditio donationis causá facta est; quotiès verò res donationis causá distrahitur, dubium non est venditionem valere; hoc inter cæteros: inter virum verò et uxorem donationis causá venditio facta viliore pretio, nullius monumenti est.

La loi 46, D. locati conducti, qui s'exprime ainsi : si quis conduxerit uno nummo conductio nulla est, quia et hoc donationis instar inducit.

La loi dernière, D. pro donato, qui dit également donationis eausá factá venditione, non pro emptore, sed pro donato res tradita usucapitur.

La loi 3, au Code, de contrahenda emptione, qui porte si donationis causá venditionis contractus simulatus est, emptio in suá deficit substantia. Sanè in possessionem rei sub specie traditionis causâ donationis ut te aleret, induxisti, sicut perfecta donatio facilè rescindi non potest, ità legi quam tuis rebus donans dixisti, parere

convenit.

La loi 9, du même titre, ainsi conçue sed et si donationis gratið prædii factam venditionem traditio subsequatur, actione pretii nulla competente, perficitur donatio.

Vu aussi l'article 7 de la loi du 18 pluviose an 5:

Sur quoi considérant 1°. que, dans la pureté des principes puisés dans la sagesse des dispositions des lois romaines, toutes les simulations en général ne sont pas indistinctement frappées de l'anathême de la loi, parce qu'elle permet tout ce qu'elle ne défend pas, et qu'en matière de simulation de contrat, pour qu'elle soit jugée frauduleuse, il faut que celui qui en fait usage, ait eu principalement pour objet d'éluder, par cette voie indirecte, la prohibition légale qui ne peut tomber que sur la chose ou la personne;

Que si, par exemple, la loi défend de disposer, à titre gratuit, d'un immeuble de telle ou telle espèce ou qualité, si elle prohibe également de pareilles dispositions entre telles ou telles personnes, il est certain, dans ces deux cas, que l'on ne pourra éluder, par une voie indirecte, ce qu'elle prohibe directement de la manière la plus expresse, qu'il ne sera pas permis d'emprunter le nom simulé d'une vente ou de tel autre contrat à titre

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onéreux, pour légitimer, par cette apparence spécieuse, une disposition à titre gratuit qu'elle réprouve;.

Que c'est dans cet unique sens, que la simulation est considérée comme frauduleuse, parce qu'elle tend à soustraire la chose, ou la personne,“à la prohibition de la loi ;

Considérant 2°. que cette distinction est précisée dans le texte même de la loi 88, D. de contrahendá emptione, qui distingue le cas de la simulation permise, de celui où elle est défendue;

Que telle est aussi la doctrine des auteurs les plus accrédités, et notamment celle de Faber, qui, dans sa 3o. définition sur la rubrique du Code, plus valere quod agitur quàm quod simulatè concipitur, établit comme maxime certaine, que contractus simulatus valet secundùm id quod actum est, si eo modo valere possit.

Que Dumoulin, tome 1er. ., page 443, no. 29, professe également que non præsumitur fraus nec simulatio, in eo quod aliá viá obtineri potest.

Considérant 5o. que les donations tacites, c'est-à-dire, celles qui sont déguisées sous les apparences et les formes de contrats commutatifs à titres onéreux, sont permises et autorisées par les lois précitées, qui forment le* droit commun du pays où les parties sont domiciliées, et où les biens sont situés; qu'en conséquence Jean-Baptiste Henry, leur oncle commun, a pu disposer, dans la forme d'une vente à fonds perdu, de la généralité de ses biens en faveur des deman leurs en cassation, quoiqu'ils ne fussent pas les sculs successibles, et que les défendeurs eussent un droit égal à son hérédité, parce qu'à l'époque de la vente, qui remonte au 4 mars 1793, nulle loi prohibitive ne gênait ni n'entravait sa libéralité à cet égard, et qu'il pouvait alors disposer au préjudice de certains de ses héritiers présomptifs, sans que sa disposition pût être impugnée de fraude, suivant cette maxime si connue : multa dicuntur fieri in præjudicium, quæ non fiunt in fraudem

D'où il suit de deux choses l'une : ou que sa disposition devrait être soutenue comme vente, puisqu'elle en avait la forme, ou comme donation tacite, puisque toutes les présomptions et les conjectures tirées ex personá, ex causá et ex facto, se réunissaient pour lui en imprimer les caractères et lui en assurer les effets.

Considérant 4°. que les donations tacites et conjecturales autorisées par les lois romaines, n'ont point été supprimées ni abrogées par l'art, 1er.

de l'ordonnance de 1731, qui exige, pour la validité des donations entrevifs, qu'elles soient reçues pardevant notaire, parce que, suivant la judicieuse observation de Furgole, dans son commentaire sur cet article, cette ordonnance n'a voulu seulement que régler la forme des donations expresses et qui sont pratiquées le plus communément, parce que d'ailleurs ces donations sont moins l'effet de l'homme, que celui de la loi qui les induit dans certaines circonstances, et parce qu'enfin elles n'ont besoin d'aucune autre formalité, que des circonstances que la loi exige.

Considérant 5°. que les lois nouvelles sont parfaitement d'accord sur ce point avec les lois anciennes, et qu'elles ont nécessairement supposé l'existence des donations tacites et la possibilité de disposer de cette manière, puisque l'article 26 de la loi du 17 nivose an 2, révoque expressément toutes les donations à charge de rentes viagères, et les ventes à fonds perdu, faites en ligne directe ou collatérale, depuis le 14 juillet 1789; preuve certaine que le législateur a rangé cette espèce de contrat dans le même ordre, que la donation proprement dite;

Considérant 6°. que l'article 7 de celle du 18 pluviose an 5, en rapportant l'effet rétroactif de la précédente, et en comprenant dans sa disposi tion les ventes à fonds perdu, comme les donations à charge de rentes viagères, a bien certainement entendu par là décider que ce contrat particulier était une espèce de donation tacite;

Considérant 7o. que le tribunal d'appel de Besançon en jugeant que la vente à fonds perdu, passée par Jean-Baptiste-François Henry; par acte authentique du 4 mars 1793, c'est-à-dire, à une époque où il jouissait de la faculté légale de disposer librement de ses biens, était une donation simulée, et en l'annulant sous ce prétexte, comme frauduleuse, a formellement contrevenu aux dispositions des lois romaines ci-dessus citées, qui permettent les donations tacites déguisées sous les apparences et les formes de contrats commutatifs à titre onéreux, lorsque, comme dans l'hypothèse, elles ne prononcent pas de prohibition, ni relativement à la chose ainsi aliénée, ni en faveur des personnes au profit desquelles on dispose;

Considérant 8°. qu'il a également contrevenu à l'art. 7 de la loi du 18 pluviose an 5, qui, en révoquant l'art. 26 de celle du 17 nivose qui annulait les ventes à fonds perdu, passées depuis le 14 juillet 1789, a

rétabli dans leur effet primitif toutes celles qui ont été faites par acte date certaine avant la publication de celle du 17 nivose.

Par ces motifs, casse et annulle, etc. »

ayant

La même question se reproduisit encore, en l'an 13, à la cour de cassation, et par jugement du 7 frimaire, la section civile, fidèle à son système, cassa encore, par les mêmes motifs, un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles qui avait annulé, comme étant simulée, une vente consentie à un individu qui aurait pu recevoir directement.

Mais, le lendemain 8 frimaire, la section des requêtes décida, au contraire, que parcils actes devaient être déclarés nuls, et en conséquence, sur le rapport de M. Pajon, elle rejeta le pourvoi des sieurs Dallac contre un arrêt de la cour d'appel de Toulouse, qui avait déclaré nuls deux actes de vente, parce qu'ils contenaient une donation déguisée des biens qui en étaient l'objet, quoique le vendeur eût pu disposer, à titre gratuit, de ces bicus, en faveur des acquéreurs.

Voici les motifs de l'arrêt du 8 frimaire :

« Attendu 1o. que les lois du 17 nivose an 2, ct du 4 germinal an 8, en introduisant un droit nouveau, relativement à la quotité des biens disponibles, n'ont rien statué à l'égard de la forme des actes par lesquels il serait permis de disposer à titre gratuit; d'où il résulte que les lois antérieures à ce sujet, ont dû continuer de recevoir leur exécution.

« Attendu 2°. que, d'après la disposition de ces deux lois, et notamment de l'ordonnance de 1731, il n'existait que deux manières de disposer à titre gratuit, savoir, par donation entre-vifs ou par testament, chacune desquelles était assujettie à des formes particulières dont l'inobservation entraînait la peine de nullité; d'où il suit que, lorsqu'un acte ne contient pas la mention expresse de la part de l'une des parties, de disposer en faveur de l'autre à titre gratuit, et que, sans être revêtu des formes particulières à ce genre de disposition, il ne contient que la simple énonciation d'un contrat commutatif et à titre onéreux, il ne peut être regardé comme donation, par cela seul qu'il ne peut valoir comme contrat commutatif; car autrement ce serait tromper la sage prévoyance du législateur quî, exigeant l'énonciation expresse de l'intention de disposer à titre gratuit, et le soumettant à l'accomplissement de certaines formalités, n'a évidemment eu d'autre objet que de garantir les donateurs, des surprises qu'on pour rait leur faire, en déguisant, sous l'apparence d'un contrat à titre onéreux,

en

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