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une véritable libéralité qui n'était point dans leur intention, et de dispenser par ce moyen le donataire, des obligations résultantes d'une donation expresse, telles que la nécessité de l'insinuation, la révocation pour cause d'ingratitude, de survenance d'enfans et autres cas semblables.

Attendu 3°. qu'en faisant l'application de ces principes à l'espèce de la cause, il s'ensuit que la cour d'appel de Toulouse, convaincue par l'ins- · truction qui a eu lieu au procès, que les actes de vente dont il s'agissait, n'étaient pas sérieux, et que le prix n'en avait pas été payé, n'a pas dû supposer que l'intention de la venderesse eût été d'en faire donation aux demandeurs, lorsque cette volonté n'y était point exprimée, et qu'en rejetant leurs conclusions subsidiaires à cet effet, elle n'a violé aucune des lois citées, ni fait aucune fausse application de celles de la matière, rejette, etc. >>

La section des requêtes de la cour de cassation, a encore décidé la même question dans le même sens, par deux arrêts rendus en l'an 13, l'un le 30 prairial, au rapport de M. Borel, l'autre le 15 messidor, au rapport de M. Rousseau, en rejetant des pourvois contre des arrêts des cours d'appel de Lyon et de Bordeaux.

Voici donc une dissidence d'opinions bien expressément établie, et plusicurs fois renouvelée, entre le section des requêtes et la section civile de la cour de cassation.

Cependant il paraît que la section des requêtes a fini par revenir aux principes adoptés par la section civile, et l'on est, au moins, bien autorisé à le conclure des motifs qu'elle a donnés à un arrêt qu'elle a rendu le 15 brumaire an 14, au rapport de M. Delacoste.

Dans l'espèce sur laquelle est intervenu cet arrêt, le sieur Brusley ayant vendu, en l'an 4, tous ses biens au sieur Pelletier, était mort postérieurement à la promulgation de la loi du 19 avril 1803 ( 29 germinal an 11.)

Ses héritiers attaquent la vente, comme renfermant une libéralité dé-guisée, qui était interdite, du moins pour les cinq sixièmes, aux termes de l'art. 16 de la loi du 17 nivose an 2, sous laquelle elle avait été passée.

Le tribunal de première instance déclare la vente fictive et simulée, et ordonne, au profit des héritiers, le délaissement de la moitié des biens. Mais, sur l'appel, la cour de Dijon déclare les héritiers Brusley non recevables, sur les motifs 1°. que ces héritiers n'avaient plus droit à la

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réserve légale, d'après les dispositions de la loi du 29 germinal, sous l'empire de laquelle s'était ouverte la succession du sieur Brusley; 2°. sur ce que l'art. 57 de la loi du 17 nivose an 2, disposait expressément que droit de réclamer le bénéfice de la loi n'appartenait aux héritiers qu'à dater seulement du jour où leur droit était ouvert, et que, dans l'espèce, le droit des héritiers Brusley ne s'étant ouvert que sous l'empire d'une loi qui ne leur accordait pas la réserve légale, ils ne pouvaient plus quereller une donation faite par leur auteur.

Les héritiers s'étant pourvus en cassation contre cet arrêt, ont soutenu qu'ayant droit de succéder au défunt, ils avaient, par là même, intérêt et qualité pour attaquer un acte qui tendait à anéantir ce droit ; que pour exercer une action semblable à celle-ci, il n'était pas nécessaire d'avoir une réserve légale, que cela n'était indispensable que lorsqu'on agissait en réduction sur les donations entre-vifs, ou même sur les dispositions à cause de mort; mais qu'ici ce n'était pas une action de cette espèce que l'on exerçait, que ce n'était pas un retranchement sur la chose donnée que c'était un acte frauduleux et simulé dont on demandait la nullité; et que ceux qui souffraient de cette simulation, étaient sûrement bien recevables à l'établir et à s'en plaindre.

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Sur ce qu'on leur opposait que la simulation n'existait pas, puisque le défunt ayant pu ayant pu donner ouvertement, il eut été inutile de recourir à une voie détournée, les héritiers répondaient qu'en l'an 4, au moment où les parties contractèrent, elles ne pouvaient s'avantager au delà du sixième de leurs biens;

Que la loi du 17 nivose, alors existante, leur défendait, par l'art. 17, de disposer au delà du sixième, même en ligne collatérale'; qu'ainsi il n'était pas douteux qu'à l'instant où l'acte avait été passé, les parties fraudaient la loi, et agissaient de concert pour frustrer les héritiers légitimes, de la portion que la loi leur assurait; qu'en conséquence il était également hors de doute que l'acte était vicieux dès sa naissance.

Qu'il était arrivé sous la nouvelle législation avec la nullité dont il était frappé, et que le Code civil ne lui avait pas enlevé cette nullité inhérente à son essence ;

Que, d'ailleurs, c'était évidemment, parce que l'acte ne pouvait avoir lieu dans la forme des donations, qu'on avait pris une autre forme; mais que, comme on n'avait rien changé à la convention en elle-même, et

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que, sous la couleur d'une vente, il était évidemment une donation qu'on ne pouvait faire, il était encore nul sous ce rapport.

Les héritiers terminaient par ce dilemme :

alors il ne peut.

« Ou l'on voudra considérer l'acte comme unc vente, recevoir exécution à ce titre, parce qu'il manque de tous les caractères qui constituent ce contrat, qu'il n'y a pas de prix payé, point de consentement pour un titre onéreux, puisqu'il n'est intervenu que pour un acte gratuit ; il n'est donc pas une vente, on ne peut donc le considérer comme telle?

>> Vent-on le considérer comme une donation? Alors dénué de toutes les formalités qui doivent nécessairement environner cet acte, et sans lesquelles il ne peut exister, il est encore atteint d'une nullité. »

Il est évident que tous ces moyens rentraient absolument dans le système qu'avait adopté la section des requêtes, et qu'en conséquence elle aurait dû casser l'arrêt de la cour d'appel de Dijon.

Et, en effet, elle avait décidé qu'une libéralité déguisée sous la forme d'une vente était nulle; que cette vente ne pouvait valoir, ni comme un contrat à titre onéreux, parce qu'elle était, dans le fait, un contrat à titre gratuit, ni comme une donation, parce qu'elle n'en avait pas les formes; et qu'en un mot, sans qu'il fût besoin de considérer s'il y avait eu prohibition légale de disposer, soit quant à la chose, soit quant aux personnes, l'objet réel et la forme extérieure de l'acte suffisaient pour le faire annuler, parce qu'on ne pouvait disposer de ses biens à titre gratuit, que dans la forme d'une donation entre-vifs ou d'un testament. Or, dans cette opinion, il est absolument indifférent que les héritiers qui attaquent l'acte, aient ou n'aient pas droit à une réserve légale sur les biens donnés, puisque tous les héritiers. quelconques, sans exception, peuvent également demander, pour cause de violation des formes, la nullité d'une vente, ou d'une donation, consentie par leur auteur, et qu'en ce cas, ce n'est ni par voie de réduction, ni par voie de retranchement, ni en vertu d'un droit à la réserve légale, qu'ils exercent leur action, mais en vertu du droit que leur donne leur qualité d'héritier, d'attaquer tous les actes illégalement faits par leur

auteur.

Cependant, la section des requêtes a accueilli, dans l'affaire des héritiers Brusley, la fin de non recevoir résultante de ce que ces héritiers n'avaient pas droit à une réserve légale, au moment du décès du

donateur, et en conséquence elle a laissé subsister une libéralité déguisée sous la forme d'une vente, quoique cette libéralité faite sous la loi du 17 nivose an 2, excédât la sixième portion des biens du disposant, et que le moyen qui avait été pris de la déguiser sous la forme d'une vente, constituât réellement la simulation en fraude de la loi existante.

Voici les motifs de son arrêt du 15 brumaire an 14:

« Attendu qu'il est reconnu par les demandeurs, qu'à l'époque du décès de Jacques Brusley, leur oncle, la promulgation du titre 1°. du livre 3 du Code civil, intitulé des Successions, était faite d'après le mode prescrit par son article 1o., dans le lieu où s'est ouverte la succession ; >> Que l'effet de cette promulgation a été de révoquer les dispositions des lois antérieures, et notamment de l'art. 16 de la loi du 17 nivóse de l'an 2, sur la faculté de disposer de ses biens en collatérale ;

>> Que l'arrêt attaqué, en infirmant le jugement du 22 germinal an 12, qui avait déclaré la vente consentie par ledit Brusley en faveur de Jean Pelletier, mari de sa sœur, fictive et simulée, et, à ces titres, nulle, et en décidant que les héritiers du vendeur étaient non recevables à attaquer, par voie de nullité, les actes que leur auteur, non interdit, avait souscrits pour disposer de ses biens, vu qu'ils ne pouvaient être investis de ce droit qu'au moment de son décès, si ce droit existait à cette époque, et · que les demandeurs n'ont pas pu trouver ce droit dans sa succession, d'après le changement de législation, n'a pu violer et n'a pas violé l'article énoncé de la loi du 17 nivose an 2, qui avait été abrogé pendant la vie du vendeur.

» Attendu qu'en tirant de cette fin de non recevoir, contre l'action des héritiers, la conséquence qu'il était inutile de s'occuper de la question de savoir s'il fallait annuler la vente, vu que lesdits héritiers, d'après les motifs rapportés, n'avaient ni droit ni qualité pour attaquer cet acte, les juges d'appel n'ont contrevenu ni à l'article 3 de l'ordonnance de 1731, ni aux dispositions du Code civil, dans ses articles 750 et 893, puisque leur décision ne prononce que sur le défaut de droit et de qualité, et non sur la validité de l'acte ; rejette le pourvoi, etc. »

Nous sommes donc bien autorisés à conclure de cet arrêt et de ses motifs, comme l'ont aussi conclu M. Grenier, dans son traité des donations et testamens, tom. 1., pag. 395, et les rédacteurs du Journal de Jurisprudence civile, tom. 5, pag. 297, que la section des requêtes de la

cour de cassation a abandonné sa première opinion, pour en revenir aux principes constamment adoptés par la section civile.

Et nous pensons aussi, comme M. Grenier, comme les rédacteurs du Journal de Jurisprudence civile, que ces principes méritent la préférence, parce qu'ils sont conformes au véritable esprit de l'ordonnance de 1731; parce qu'ils n'ont rien de contraire aux prohibitions légales de disposer, soit quant aux personnes, soit quant aux choses; parce qu'il n'est pas présumable qu'on ait voulu faire, d'une manière indirecte et déguisée, une libéralité qu'on avait le droit de faire, d'une manière ostensible et directe; parce qu'enfin il est absolument indifférent aux intérêts des héritiers du donateur, qu'il ait pris telle ou telle forme de disposer, lorsque la disposition était permise. On a déjà vu que, dans ce cas, les donations tacites et conjecturales étaient autorisées par les lois romaines, et il n'y avait aucune coutume qui les réprouvât expressément.

Elles ont donc été valables dans les pays coutumiers, comme dans les pays de droit écrit, soit avant, soit après l'ordonnance de 1731, et nous prouverons, dans un moment, qu'elles doivent être également valables, faites sous l'empire du Code Napoléon.

§. II.

Une donation déguisée sous la forme d'un contrat onéreux, faite sous l'empire de l'ordonnance de 1731, entre personnes capables de donner et de recevoir, mais qui comprenait, tout à la fois, des biens disponibles à titre gratuit, et des biens indisponibles, était-elle sujette seulement au retranchement des biens indisponibles, et valable pour les autres biens, ou était-elle nulle pour le tout?

D'une part, on peut dire sur cette question, que, suivant les principes établis au paragraphe précédent, les simulations en général ne sont pas frappées de l'anathème de la loi, et qu'elles ne sont réprouvées que dans les cas où elles ont eu principalement pour objet d'éluder, par une voie indirecte, une prohibition faite par la loi;

Qu'ainsi la simulation, en matière de donation, ne doit être considérée comme frauduleuse, que lorsqu'elle tend à soustraire ou une chose indisponible, ou des personnes incapables de donner ou de recevoir, à la prohibition prononcée par la loi;

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