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nations; mais il est nécessaire de rapporter ici, d'une manière plus particulière, les motifs de cet arrêt, qui sont relatifs aux dispositions faites en contrats de mariage, ainsi que la discussion qui eut lieu sur cette matière nous rappellerons brièvement l'espèce sur laquelle il est intervenu.

On a vu que, par un contrat de mariage, fait sous seings privés, le 27 août 1792, dans le ressort de la coutume de Normandie, le sieur Besognet consentit une donation à la demoiselle Gosselin, future épouse du sieur Huguès, et aux enfans qui naîtraient du mariage;

Que cette donation que la donataire déclara accepter, consistait dans la quatrième partie de tous les immeubles que le donateur avait recueillis dans la succession de son père, et de tous ceux qu'il avait acquis ou pourrait acquérir; qu'elle fut stipulée pure, irrévocable, et en la meilleure forme que donation entre-vifs pût valoir; mais qu'elle fut faite sous la condition qu'elle n'aurait son effet qu'après le décès du donateur, et qu'alors seulement, et non plutôt, la donataire prendrait, en propriété et jouissance, les biens donnés, et que, dans le cas où elle décéderait sans enfans, la donation deviendrait comme non avenue;

Que le sieur Besognet étant décédé le 2 vendemiaire an 9, ses héritiers contestèrent la donation;

Qu'ils soutinrent 1°. que c'était une véritable donation entre-vifs, et qu'en conséquence elle était nulle, aux termes de l'ordonnance de 1751, pour n'avoir pas été faite par acte devant notaire, et insinuée ; 2°. que, considérée comme donation à cause de mort, elle ne pouvait avoir d'effet relativement aux propres, l'art. 427 de la coutume de Normandie défendant de disposer de ces biens, par donation à cause de mort ou par testament;

Que les sieur et dame Huguès répondirent que la donation était essentiellement à cause de mort, parce qu'il n'y avait pas eu tradition des biens donnés ; que par conséquent elle avait pu être faite par acte sous signaturęs privées ; qu'au surplus, étant donation à cause de mort, son effet devait être réglé, non par la loi qui régissait les biens donnés, à l'époque de la donation, mais par celle existante lors du décès du donateur, et qu'en l'an 9 les lois nouvelles avaient aboli toutes distinctions des biens, et conséquemment fait cesser la prohibition prononcée, quant aux propres, par la coutume de Normandie ;

Que, par jugement du 17 floréal an 10, la cour d'appel de Rouen

valida la donation quant aux acquêts, et l'annula relativement aux propres, sur le fondement que cette donation était bien irrévocable, mais qu'il n'y avait eu aucune tradition, le donateur s'étant préféré à la donataire, et que ce défaut de tradition ne permettait de la considérer que comme une donation à cause de mort ; mais que, lors de la confection de cette donation, la distinction des propres avec les acquêts, et la défense faite par l'art. 427 de la coutume, de disposer des propres par donation à cause de mort, subsistant dans toute leur force, la donation dont il s'agit n'était valable que pour les acquêts, et se trouvait illégale et caduque, en ce qui concernait les propres ;

Qu'enfin toutes les parties se pourvurent respectivement en cassation de ce jugement.

Nous allons voir maintenant la discussion qui eut lieu devant la cour de cassation.

La demande particulière des héritiers Besognet était dirigée contre la disposition relative à la forme de la donation.

Ces héritiers soutenaient qu'en déclarant valable la donation, quant aux acquêts, la cour d'appel de Rouen avait violé les articles 1, 19 et 20 de l'ordonnance de 1731, qui veulent, à peine de nullité, que les donations entre-vifs soient faites par actes devant notaires, et qu'elles soient insinuées, et ils ont, et ils ont, en conséquence, cherché à établir que la donation consentie par leur auteur, ne pouvait être considérée comme une donation à cause de mort.

Le donateur, disaient-ils, déclare qu'il fait la donation en la meilleure forme que donation entre-vifs puisse être faite; il fixe donc luimême la nature de la disposition qu'il fait : c'est une donation entre-vifs.

Il déclare la faire pure et irrévocable: or l'irrévocabilité est le caractère essentiel d'une donation entre-vifs.

Il fait la donation de la quatrième partie de tous ses immeubles; mais il ne pouvait, suivant l'art. 427 de la coutume, disposer de ses propres, que par donation entre-vifs et non par donation à cause de mort.

Il stipule un droit de retour, si la donataire vient à décéder avant lui, sans postérité : il veut que, dans ce cas, la donation soit regardée comme non avenue. Or, cette clause serait sans objet dans une donation à cause de mort, le donateur restant saisi, de plein droit, de l'objet dunne, sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation.

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Enfin la donataire intervient dans la donation pour l'accepter expressément, et cette clause ne peut encore appartenir qu'à une donation entreyifs, parce qu'il n'est pas nécessaire qu'une donation à cause de mort soit acceptée.

Les parties ont donc entendu donner et recevoir entre-vifs.

En effet, la contemplation de la mort n'est entrée pour rien dans les dispositions de l'acte. S'il y est question de mort, c'est seulement pour fixer l'époque de l'exécution de la donation.

Il est vrai qu'il a été stipulé que la donataire ne jouirait des biens donnés, qu'après le décès du donateur; mais la conséquence qu'il faut tirer de cette stipulation, c'est que le donateur n'a donné qu'une nue propriété, que de cette nue propriété, il n'y a eu et n'a eu et n'a pu y avoir qu'une tradition fictive, une tradition de droit , et non une tradition réelle, matérielle, qui ne pouvait avoir lieu que lorsqu'on se dessaisit, tout à la fois, de la nue propriété et de l'usufruit. Cette tradition fictive a si bien suffi et dû suffire pour dépouiller le donateur, de la nue propriété, qu'elle était la seule possible.

Le donateur a donc préféré la donataire à lui-même, quant à la nue propriété.

D'ailleurs, il faut distinguer, dans la donation, l'exécution, qui, à quelque époque qu'elle doive avoir lieu, n'influe, en aucune manière, sur la nature de la donation, de la disposition en soi, et indépendamment de cette exécution.

Or, il n'est pas possible d'élever un doute raisonnable sur la nature et le sens de la disposition : bien évidemment, elle constitue une donation entre-vifs; elle devait être faite par acte public, et revêtue de l'insinuation.

Tel était le moyen de cassation présenté par les héritiers Besognet. Le pourvoi des sieur et dame Huguès, avait pour objet la disposition de l'arrêt, relative aux propres.

Ils soutenaient que, par cette disposition, la cour d'appel de Rouen, avait violé les lois nouvelles qui ont aboli la distinction entre les propres et les acquêts, et fait une fausse application de l'art. 427 de la coutume de Normandie.

Tout leur système se réduisait à prétendre qu'en supposant qu'au moment de la donation, le sieur Besognet ne pût disposer de ses propres,

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par donation à cause de mort, il suffisait, pour la validité de la donation, même quant aux propres, que le donateur eût, avant son décès, acquis le droit de disposer librement de tous ses biens sans distinction. Et pourquoi? parce que, dans les donations à cause de mort, la transmission ne s'opère qu'à l'instant du décès du donateur, et que ce n'est qu'à cette époque que l'on s'attache à la capacité du donataire, suivant la loi 22, ff. de mortis causá donat.

Or, disaient-ils, en l'an 9, le sieur Besognet pouvait disposer de ses propres, par testament : la loi du 17 nivose an 2, le lui permettait. En effet, si, quelques jours avant son décès, il eût légué à la dame Huguès le quart de tous ses biens, eût-on pu distraire du legs le quart des propres du testateur? non sans doute.

Eh bien ! la donation dont il s'agit, étant à cause de mort, doit produire le même effet, quoiqu'elle soit antérieure à l'abrogation de l'art. 427 de la coutume de Normandie.

Tels étaient les moyens présentés par les sieur et dame Huguès.
Ainsi la cause présentait à décider les questions suivantes :

1o. La donation faite à la future épouse et à ses descendans, par son contrat de mariage, était-elle une donation à cause de mort, même quant aux biens présens qui avaient été donnés, attendu que le donateur n'avait pas fait tradition des biens, et que la disposition ne devait produire son effet, tant pour la propriété que pour la jouissance, qu'à la mort du donateur, quoique, d'ailleurs, la disposition eût été qualifiée donation entre-vifs, et acceptée.

2o. Si c'était une simple donation à cause de mort, était-elle irrévocable?

3o. Devait-elle être régie, dans tous ses effets, et notamment pour la disponibilité des biens, par la loi en vigueur au moment où elle avait été consentie, et non par la loi existante au décès du donateur.

M. Thuriot, substitut du procureur général, donna des conclusions dans cette affaire, et dit que la donation n'avait pu être considérée comme une donation à cause de mort, qu'elle réunissait les deux caractères essentiels d'une donation entre-vifs, l'irrévocabilité et la tradition; qu'elle était irrévocable, puisqu'elle avait été faite par contrat de mariage; qu'il y avait eu tradition fictive des biens donnés, puisque le donateur n'aurait pu disposer de ces biens, au préjudice du donataire; qu'ainsi la donation ne pouvait être faite que par acte public.

En conséquence il conclut à la cassation, dans l'intérêt des héritiers Besognet seulement.

Mais la section civile de la cour de cassation n'adopta pas cette opinion, quant à la nullité, et, après un long délibéré en la chambre du conseil, elle rendit, le 7 ventose an 13, l'arrêt suivant:

« Attendu (quant au pourvoi des héritiers Besognet ) que la donation faite par ledit Besognet, au profit de la dame Marie-François Gosselin, épouse du sieur Joseph Huguès, dans son contrat de mariage, du 27 août 1792, bien qu'elle soit qualifiée donation entre-vifs, ne peut être jugée telle, parce qu'ayant été stipulée par le donateur, sous la condition qu'elle n'aurait d'effet qu'après sa mort, et dans le cas seulement où il n'y aurait aucun enfant à lui survivant, que ce ne serait qu'à cette époque que la donataire prendrait, en propriété et jouissance, les biens à elle donnés, et non plutôt, il résulte d'une disposition ainsi conçue, qu'elle n'a été ni pu être saisie de rien, avant le décès du donateur; d'où il suit que ladite donation, ainsi dépourvue du principal caractère distinctif d'une donation entre-vifs proprement dite, ne peut valoir comme telle, puisque le donateur ne transmettait rien à son donataire, ni en propriété, ni en usufruit, avant sa mort, rejette ledit pourvoi. »

<< Prononçant ensuite sur le pourvoi formé par les sieur et dame Huguès: Attendu 1°. que, bien que ladite donation ne puisse valoir comme donation entre-vifs, rien n'empêche cependant qu'elle ne puisse être soutenue comme donation à cause de mort, et qu'en la considérant comme telle, elle ne puisse participer à la nature de l'institution contractuelle, et qu'en conséquence elle ne soit irrévocable.

>> Attendu 2o. qu'elle tire principalement son caractère d'irrévocabilité, de la circonstance de son insertion dans un contrat de mariage dans lequel on stipule, non-seulement pour les époux, mais en considération des enfans à naître dudit mariage; raison pour laquelle toutes les dispositions qu'il renferme, sont, de droit, présumées irrévocables, à moins que leurs auteurs n'aient stipulé, par une clause bien expresse, leur révocabilité, ce qui n'a pas été fait dans le cas particulier.

que

>> Attendu 3°. que ladite donation n'en est pas moins valable, bien le contrat de mariage qui la renferme, ait été rédigé sous signatures privées, parce qu'il était d'un usage constant dans la ci-devant province de Normandie, de les rédiger dans cette forme, et que l'ordonnance de

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