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Un arrêt de la cour d'appel de Poitiers, du 2 juin 1808, a formellement décidé, conformément à cette opinion, que l'art. 911 du Code,, n'était pas applicable à un legs fait à une concubine, quoiqu'il y eût un enfant naturel reconnu, le legs étant acquis à la concubine par le décès du testateur, arrivé avant le Code. « Considérant, porte l'arrêt, que les lois n'ayant aucun effet rétroactif, on ne peut appliquer au cas présent, les dispositions de la loi du 15 floréal an 11, puisque le droit de la légataire était ouvert avant la publication de cette loi, et que cette loi ne dispose que pour l'avenir; qu'ainsi le légataire ne peut être considéré comme personne interposée; cette interposition supposée n'étant établie que dans un tems postérieur au droit déjà acquis à la légataire. »

Cet arrêt s'applique évidemment à un don entre-vifs, dont le droit est également acquis avant la publication de la loi du 3 mai 1803, dont le droit est conséquemment irrévocable.

VI. Il est sans aucune difficulté que les dons entre-vils faits entre concubinaires, doivent être réduits, comme tous les autres dous entre-vifs, à la portion disponible, telle qu'elle était réglée par la loi en vigueur au moment de la donation.

Mais, prétendre que le don entre-vifs fait entre concubinaires, doit être imputé sur la portion de biens, attribuée par l'art. 757 du Code, à l'enfant naturel reconnu par le donateur et par le donataire, c'est rentrer dans la question de rétroactivité que nous avons discutée, au numéro précédent : c'est toujours vouloir attaquer, par des dispositions du Code, un don entre-vifs, antérieur au Code, et qui ne doit être réglé que par la loi, ou la jurisprudence, existante au moment de sa confection.

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D'ailleurs, suivant l'art. 760 du Code, l'enfant naturel reconnu, tenu d'imputer sur ce qu'il a droit de prétendre, que ce qu'il a reçu du père et de la mère dont la succession est ouverte.

Il est vrai que, suivant l'art. 911, ce qui a été donné à son père ou à sa mère, serait censé lui avoir été donné indirectement, les père et mére étant déclarés indéfiniment, par cet article, personnes interposées ; mais nous avons prouvé, dans le numéro précédent, que le don entre-vifs, antérieur au Code, ne pouvait pas être soumis à la disposition de l'art. 911, et devait être jugé, conformément à l'ancienne jurisprudence, qui ne répute pas également, dans tous les cas, personnes interposées et incapables de recevoir, les père et mère de l'enfant naturel reconnu,

Il ne pourrait donc y avoir lieu à imputation, aux termes de l'art. 760, que dans le cas où, suivant les règles de l'ancienne jurisprudence, le don fait au père ou à la mère, devrait être réputé avoir été fait, non pour le donataire, mais pour l'enfant.

Mais si le don était valable, conformément aux règles de l'ancienne jurisprudence, il n'y aurait pas lieu à imputation, lors même que ce don et la portion attribuée à l'enfant naturel par l'art. 757, excéderaient, dans la succession du donateur, la portion disponible, d'après l'ancienne ou la nouvelle loi.

Et en effet, les droits accordés à l'enfant naturel reconnu, ne sont pas pris sur la disposition disponible, mais uniquement sur les biens qui se trouvent dans la succession ab intestat. Ce n'est pas comme donataire, que l'enfant naturel reconnu vient prendre une part des biens de ses père et mère décédés : ce n'est pas même à titre d'héritier; c'est uniquement comme créancier. La loi lui accorde seulement des droits, mais non pas une portion héréditaire; et comme il tient ces droits, de la disposition de la loi, indépendamment de la volonté de l'homme, il est évident qu'il ne les tient pas à titre de don; ils ne sont donc pas imputables sur la portion disponible.

Mais aussi la portion de l'enfant naturel étant prélevée, à titre de créance, sur les biens de la succession, si, dans les biens qui restent la portion disponible se trouve entamée par le legs fait à la mère ou au père de cet enfant, le legs est réductible, comme le serait celui qui aurait été fait à toute autre personne.

Ainsi l'a décidé expressément l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers, du 2 juin 1808, que nous venons de citer.

VII. C'est toujours d'après les anciens principes, qu'il faut décider, même depuis le Code, si la preuve du concubinage est admissible par témoins, et lors même qu'il n'y a pas de commencement de preuve par écrit, pour faire annuler ou réduire un don entre-vifs fait entre concubinaires, ayant la publication du Code, et quoique le donateur ait survécu à cette publication.

Le Code changerait la nature et le caractère du don, et il en réglerait les effets, s'il empêchait la preuve testimoniale à laquelle le don aurait été soumis par la loi, ou la jurisprudence, sous l'empire de laquelle il aurait été fait..

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C'est donc uniquement cette loi, cette jurisprudence, qu'il faut consulter sur la question relative à l'admissibilité de la preuve.

« Il ne peut y avoir de doute, disait Furgole (des Testamens, chap. 6, sect. 3, no. 194), que le fait du concubinage avec une fille ou une veuve, qui rend les personnes indignes de recevoir des libéralités, ne puisse être prouvé par témoins. Il est impossible, ou du moins très-difficile d'en rapporter la preuve par écrit ; ainsi, si la preuve testimoniale n'était pas reçue, on ne pourrait jamais faire valoir l'indignité. Le concubinage est un fait.... il faut donc que Ta preuve en puisse être faite par témoins, nonobstant les ordonnances de Moulins et de 1667, qui ne peuvent pas recevoir une juste application aux simples faits qui n'ont aucun rapport avec des contrats et des conventions. Aussi tous nos livres sont pleins d'arrêts qui ont admis la preuve testimoniale. >>

On connaît, en effet, cinq arrêts du parlement de Toulouse, qui ont admis expressément cette preuve.

Le premier, du 21 juin 1664, se trouve dans le recueil de Catelan, liv. 2. chap. 83.

Le second, du 21 avril 1718, est cité par Védel.

Les trois autres, des 25 juin et 4 septembre 1756, et du 6 mai 1761, sont transcrits dans le supplément au journal du palais de Toulouse tom. 2, pag. 229.

Le Recueil de Boniface, tom. I, pag. 169, rapporte un autre arrêt semblable, rendu par le parlement d'Aix, le 20 février 1642.

Louet et Brodeau, lettre D. §. 43, rapportent trois autres arrêts conformes, rendus par le parlement de Paris, en 1599, 1625 et 1629.

Enfin, on connaît ceux qui ont été rendus contre la demoiselle Gardel, le 21 février 1727, et contre la demoiselle Hamelin de Chaige, le 27 février 1731.

Presque tous les auteurs qui ont écrit sur cette matière, ont adopté les principes de cette jurisprudence.

Quelques-uns cependant soutenaient que, sans un commencement de preuve par écrit, la preuve testimoniale n'était pas admissible, en matière de concubinage.

Lapeyrère, lettre i, nombre 5, cite deux arrêts du parlement de

Bordeaux, l'un du mois de décembre 1665, et l'autre du 26 juin 1696, qui l'avaient ainsi jugé.

M. l'avocat général Séguier soutint aussi la même opinion, lors d'un arrêt rendu par le parlement de Paris, le 1er septembre 1774.

Mais de ces trois arrêts, le premier a été dicté par un motif particulier au concubinage adultérin. Les circonstances du second sont inconnues; et quant au troisième, la seule invraisemblance des faits articulés pour établir le concubinage, dut faire rejeter la preuve qu'on offrait, sans qu'il fût besoin d'examiner quelle espèce de preuve aurait été admissible.

I suffit, au reste, qu'il y ait eu des arrêts qui aient décidé expressément que le commencement de preuve par écrit n'était pas nécessaire pour qu'on puisse les invoquer comme des autorités constantes en faveur de l'admissibilité de la preuve, indépendamment de tout commencement de preuve par écrit ; au lieu que les arrêts qu'on suppose être contraires, peuvent avoir été motivés par des circonstances particulières.

On avait même admis, dans l'ancienne jurisprudence, la preuve du commerce adultérin ou incestueux, pour faire annuler les dons faits entre personnes qui avaient vécu dans ce commerce. (Voyez Furgole, à l'endroit précédemment cité, et Ricard, Traité des donations, part. 1, n°. 40. )

VIII. Les principes que nous avons précédemment établis, ne sont pas généralement applicables aux legs faits entre concubinaires.

Le don entre-vifs doit être entièrement régi par la loi en vigueur au moment où il a été fait; mais il n'en est pas de même à l'égard des dispositions faites par testamens ou par codicilles.

Ces dispositions ne sont que de simples projets, pendant la vie du testateur ce n'est qu'à sa mort qu'elles deviennent définitives, puisqu'il a eu constamment le droit de les révoquer; ce n'est donc qu'au moment de sa mort qu'elles sont réputées faites, puisqu'elles sont l'expression de sa dernière volonté ; et en conséquence c'est par la loi existante à ce moment, qu'elles doivent être régies. (V. l'art. Testamens.)

Les libéralités faites entre concubinaires, par testamens ou par codicilles, avant la publication du Code, doivent donc être régies par la loi du 3 mai 1803, si les testateurs sont morts après la publication de

cette loi, et non par la loi qui était en vigueur, lorsque les testamens et les codicilles ont été faits.

Ainsi 1°. ces libéralités sont valables et doivent être entièrement exécutées, jusqu'à concurrence de la portion disponible fixée par la loi du 3 mai 1803, s'il n'y a pas eu d'enfans issus du concubinage: elles ne doivent pas être modifiées conformément à l'ancienne jurisprudence.

2o. Ces libéralités doivent être également exécutées, si les enfans issus du concubinage, n'ont pas été légalement reconnus par les testateurs. Les enfans naturels qui ne sont pas reconnus par leurs père et mère, ne sont pas, non plus, reconnus par le Code, et comme il ne leur accorde aucuns droits, il ne les considère, sous aucun rapport, relativement aux droits d'autrui. Ils sont aux yeux de la loi, comme s'ils n'existaient pas, en tout ce qui concerne les biens de leurs père et mère ils sont traités comme absolument étrangers à la famille, et conséquemment ils ne peuvent pas plus que des étrangers, empêcher leurs père et mère ne se fassent des dons mutuels ou singuliers. Et rien n'empêche aussi qu'ils ne reçoivent directement des dons, de part de leurs père et mère putatifs.

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Vainement donc, pour faire annuler des dispositions testamentaires, comme ayant été faites entre concubinaires, on offrirait la preuve du concubinage, puisque les enfans naturels, non reconnus, non reconnus, n'étant pas eux-mêmes iucapables de recevoir à titre gratuit, leurs père et mère ne peuvent être considérés, à leur égard, comme personnes interposées, et que, d'ailleurs, les concubinaires ne sont pas déclarés par le Code, personnellement incapables de se faire ou de recevoir entr'eux des dispositions gratuites.

5°. Il n'est qu'un seul cas où les libéralités faites, avant le Code, cntre concubinaires, par testamens ou par codicilles, se trouvent annulées ; c'est celui où les testateurs décèdent, après la publication de la loi du 5 mai 1803, et laissent un ou plusieurs enfans issus du concubinage avec le légataire, et par eux légalement reconnus. Alors, en effet, il faut appliquer les articles 908 et 911 du Code, qui prohibent et conséquemment annullent les libéralités faites entre les père et mère de l'enfant naturel reconnu, comme si elles avaient été faites directement à cet enfant lui-même.

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