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DONS MANUELS.

Les dons manuels qui ont été faits antérieurement à la publication de la loi du 5 mai 1803 (15 floréal an 11), mais dont les auteurs ne sont décédés que postérieurement à cette publication, sont-ils valables? Sont-ils toujours sujets à rapport?

I. On entend par don manuel, la donation qui a été faite, de la main à la main, et sans acte, d'un meuble, d'un effet mobilier, d'une somme d'argent.

Avant l'ordonnance de 1731, on ne pouvait douter que ces donations ne fussent valables. Il y a dans le Commentaire de Ferrière, sur la Coutume de Paris, tit. 1, §. 2, no. 55, deux arrêts de 1607, et du 4 août 1654, qui les ont jugé telles.

Mais l'art. 1. de l'ordonnance de 1751, n'avait-il pas dérogé à cette jurisprudence, en statuant que tous actes portant donations entrevifs, seraient passés devant notaires?

pas,

Voici comment s'explique, à cet égard, Furgole: «L'article ne dit toutes donations; il dit tous actes, pour décider qu'il ne peut pas y avoir de donation entre-vifs, d'écriture privée, qui soit valable: il faut qu'il y en ait un acte public par notaire, et qu'il en reste minute; mais si la donation était de meubles dont la tradition eût été réellement faite, elle ne serait pas nulle. >>

C'était dans le même sens que M. le chancelier d'Aguesseau interprétait l'art. 1o. de l'ordonnance de 1731, tom. 9, lett. 290.

« A l'égard d'un don qui se consommerait sans acte, par la tradition réelle d'un meuble ou d'une somme modique, l'art. 1o. de l'ordonnance nouvelle (1751) ne parlant que des actes portant donation, n'a pas d'application à ce cas qui n'a besoin d'aucune loi. »

Tel était aussi le sentiment de Pothier, dans son Traité des Donations entre-vifs, section 2, art. 1o. « Les donations de meubles corporels, dit-il, lorsqu'il y a tradition réelle, ne sont sujettes à aucune formalité, puisqu'on peut même n'en passer aucun acte. »

On cite deux arrêts conformes, l'un par le parlement de Rouen, du 25 juin 1755, l'autre par le parlement de Paris, du 19 janvier 1768.

Et, en effet, c'était une maxime généralement reconnue, qu'en fait de meubles, possession vaut titre.

« Les lois présument, dit Domat, part. 1, liv. 3, tit. 7, sect. I, no. 13, que la propriété et la possession sont jointes en la personne du possesseur, en sorte que jusqu'à ce qu'il soit prouvé qu'il n'est pas le maître, elles veulent qu'il soit considéré comme s'il l'était. »

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Bourjon disait également qu'en matière de meubles, il suffit de la session pour la de la translation de la propriété, et que preuve public l'a exigé ainsi.

La confession même faite par le donataire, que l'objet mobilier lui avait été donné de la main à la main, ne l'obligeait pas à la restitution, parce que cette donation ne se trouvait pas prohibée par l'ordonnance de 1731; et cela fut expressément jugé par l'arrêt du parlement de Paris, précé¬ demment cité,

La loi du 3 mai 1803, n'a rien changé à ces principes.

L'article 948 du Code Napoléon dit, précisément comme l'art. 1o. de l'ordonnance de 1731, TOUT ACTE de donation ne sera valable; et conséquemment il doit être interprété de la même manière.

L'art. 2279 dit aussi qu'en fait de meubles, la possession vaut titre. Il est donc permis, sous la loi du 3 mai 1803, de faire des dons manuels, comme on pouvait en faire, avant qu'elle fût intervenue.

Mais ils ne peuvent être valables, comme ils l'étaient avant, que lorsqu'ils n'ont pas été faits en fraude d'une prohibition légale, et pour l'éluder.

Ainsi, point de doute qu'entre personnes incapables de donner ou de recevoir, ils auraient été et seraient encore nuls: autrement, les dons manuels auraient été et seraient encore des moyens indirects de disposer clandestinement, ou de la part de personnes incapables de disposer à titre gratuit, ou en faveur de personnes incapables de recevoir.

Et il en est de même, quant aux portions de biens, qui sont indisponibles. En admettant indistinctement les dons manuels, ils auraient servi et serviraient encore à disposer indirectement d'une quotité plus considérable de biens, que celle dont la loi permet de disposer d'une manière ostensible et directe.

L'excédant serait donc sujet à réduction, quoique le don n'eût été fait que manuellement, comme s'il avait été consigné dans un acte.

Il ne faudrait pas, non plus, conclure des principes que nous avons établis, que le don, fait sans acte, d'une rente ou d'une créance appartenant au donateur, et qui sont déclarés meubles par l'art. 529 du Code, pourrait être valable, si le donateur n'avait pas remis au donatairé les titres constitutifs de la rente, ou de la créance. Comme la propriété d'une rente, ou d'une créance, ne pouvait être transférée, et ne peut l'être encore, suivant l'article 1689 du Code, que par la remise des titres constitutifs, à défaut d'acte de cession ou de donation, il est évident qu'à défaut de ces actes, et sans remise des titres, le prétendu donataire nc peut ni établir le don, ni invoquer la maxime qu'en fait de meuble, la possession vaut titre de propriété. La possession d'un meuble ne pouvant avoir lieu, sans tradition de la part du propriétaire, il faut que cette tradition, à l'égard d'une rente, ou d'une créance, soit établie dans la forme que prescrit la loi.

II. Pour qu'un don manuel soit sujet à rapport, il faut qu'il soit prouvé qu'il a été fait à titre gratuit.

C'est ainsi que l'a décidé, par arrêt du 13 janvier 1807, la section des requêtes de la cour de cassation.

Dans l'espèce sur laquelle est intervenu cet arrêt, la demoiselle Mittaut, avait reçu, par don manuel, de Marie-Radegonde Cibert, sa grand'tante, une somme de 2400 livres ; plus, quelques bijoux et effets précieux : elle avait été, en outre, instituée sa légataire du sixième de ses biens.

Lorsqu'elle demanda la délivrance de son legs, on prétendit qu'elle devait rapporter à la succession le don manuel.

Un jugement du tribunal de première instance rejeta cette prétention, sur le motif « que l'on ne peut considérer comme dons, et que les lois ne l'entendent pas ainsi, les transmissions manuelles faites par un défunt, pendant tout le cours de sa vie, à des personnes surtout non successibles, de sommes d'argent, meubles et effets mobiliers, en ce que ces transmispouvant avoir pour objet le paiement ou l'acquittement d'une dette quelconque, ou enfin la récompense d'un service, ne sont susceptibles d'aucun recours, n'ayant aucuns caractères de donations soit entre-vifs, soit à cause de mort. >>

sions

Sur l'instance d'appel, on voulut faire qualifier soustraction, ce qui était don manuel; mais la cour d'appel de Poitiers, saisie de l'affaire, ne

vit pas que la soustraction fût prouvée, et adoptant, au surplus, les motifs des premiers juges, elle confirma leur décision.

Sur le pourvoi en cassation, est intervenu, le 13 janvier 1807, un arrêt de rejet, dont le principal motif porte sur ce qu'il n'était pas pronvé que les effets réclamés eussent été donnés à titre gratuit, ce qui excluait toute action en rapport.

DONS MUTUELS ENTRE CONJOINTS.

Il a été fait, avant et sous la loi du 17 nivose an 2, un très-grand nombre de dons mutuels entre époux, qui ne se sont ouverts ou ne s'ouvriront que sous l'empire du Code Napoléon, et sur la validité desquels il peut s'élever beaucoup de contestations, soit à cause des conditions et des formalités prescrites par les lois anciennes, générales ou particulières soit à cause des dispositions nouvelles du Code; il sera donc très-utile d'examiner cette matière avec quelque étendue, et il faut savoir d'abord comment elle était réglée avant le Code Napoléon.

Le don mutuel était une disposition faite par des époux, depuis leur mariage, au profit du survivant d'eux, de la propriété, ou de l'usufruit seulement, de la totalité, ou seulement d'une portion, des biens qui appartiendraient au premier mourant, à l'époque de son décès.

Cette disposition ne pouvait évidemment produire d'effet, qu'au moment du décès de l'un des époux, puisqu'il était incertain jusqu'alors quel était celui des deux qui devait profiter du don, et conséquemment c'était une véritable disposition à cause de mort, quoiqu'elle fût généralement irrévocable.

Le don mutuel pendant le mariage, était inconnu chez les Romaius: les conjoints avaient toute liberté de s'avantager par testamens ; mais ils ne le pouvaient par actes entre-vifs, ou, du moins, la donation entre-vifs entre conjoints, ne produisait d'effet, que lorsque le donateur était décédé, sans l'avoir révoquée, en sorte qu'elle n'était considérée que comme une espèce de testament.

En France, l'origine du don mutuel entre époux, remonte à une époque très-éloignée: on voit dans le chap. 12 du liv. 1°. des formules de Marculphe, que déjà il était en usage sous la première race de nos rois.

Il fut introduit, à ce qu'il paraît, afin que le survivant des époux, au

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cas où il n'y avait pas d'enfans, n'eût pas le chagrin de voir passer à des collatéraux, héritiers du prédécédé, la moitié du fruit des travaux communs des conjoints, et que ceux-ci concourussent, par leurs soins, augmenter la communauté, dans l'espérance que chacun d'eux pourrait jouir de la totalité, en vertu du don mutuel.

En conséquence, la coutume de Paris et plusieurs autres n'autorisaient le don mutuel, que dans les cas où les conjoints étaient communs en biens et n'avaient aucun enfant, lors de la dissolution du mariage. celles de Reims et de Péronne, maintenaient le don mutuel entre conjoints, lors même qu'il y avait des enfans nés du mariage.

Mais d'autres, telles que

D'autres encore, telles que celles de Bretagne et de Châteauneuf, privaient du don mutuel, le conjoint survivant qui avait des enfans, et qui convolait en secondes noces.

Suivant la coutume de Paris, et le plus grand nombre des autres, le don mutuel ne pouvait être révoqué que par le consentement commun des deux conjoints.

Mais dans quelques autres, telles que celles de Poitou et de Mantes chacun des époux avait particulièrement le droit de révoquer le don mutuel il lui suffisait de notifier sa révocation.

La coutume de Dunois exigeait, pour la validité du don muttiel, qu'i fût confirmé par un testament mutuel.

Suivant la coutume d'Auvergne, la femme ne pouvait rien donner au mari, même par don mutuel; mais le mari pouvait donner à sa femme. Quelques coutumes, notamment celles de Normandie, de Metz et dè Romorentin, ne permettaient le don mutuel, dans aucuns cas.

Les coutumes variaient pareillement sur la nature des biens dont elles permettaient aux conjoints, de faire l'objet du don mutuel.

Les unes, telles que celles de Paris et d'Orléans, défendaient aux conjoints d'étendre le don muituel au delà des biens de leur commu

nauté.

D'autres n'admettaient pas cette restriction, et permettaient aux corjoints de se donner mutuellement tous leurs meubles, acquêts ét cònquêts.

Il y en avait même qui permettaient aux conjoints de comprendre dans le don mutuel, une partie de leurs propres ; et d'autres distinguaient,

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