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puissance plus ou moins grande de disposer, et non la forme de la disposition; que, sans cela, il faudrait en conclure qu'un don mutuel fait par un acte sous signature privée, serait aussi valable que s'il avait été fait pa-levant notaires, ce qui répugne à la raison et à la loi; e

Attendu même qu'il n'y a nulle réciprocité dans l'apparence du don mutuel, entre celui de la femme, dont tous les biens étaient dotaux et inaliénables, et celui du mari qui pouvait tout vendre et ne rien laisser;

Attendu que la donation dont il s'agit, faite par forme de don niutuel, contient une donation de biens présens et à venir, prohibée par l'ordonnance de 1731; que cette forme de donner, inusitée en la coutume d'Auvergne, n'a été faussement empruntée que pour valider une disposition. qui n'aurait pu valoir par une simple donation entre-vifs, et qu'enfin elle n'a la forme ni de donation entre-vifs, ni de donation testamentaire. »

La veuve Baisle s'étant pourvue en cassation, M. le procureur général impérial Merlin, prononça le plaidoyer suivant :

« La veuve Baisle vous dénonce le jugement du tribunal d'appel de Riom, comme contraire aux articles 14 et 61 de la loi du 17 nivose an 2, comme appliquant à faux les dispositions de la coutume d'Auvergne, relatives aux avantages entre époux, enfin comme appliquant également à faux l'art. 15 de l'ordonnance de 1751.

Ainsi trois moyens de cassation à discuter.

Si le sort de la demande en cassation de la veuve Baisle était lié, comme elle paraît le croire, au premier de ces moyens, et si, du jugement que vous allez porter sur celui-ci, dépendait le jugement que vous allez porter sur les deux autres, nous n'hésiterions pas à vous proposer le rejet de cette demande.

Le veuve Baisle prétend que l'art. 61 de la loi du 17 nivose an 2, abroge toutes les lois antérieures concernant les donations entre-vifs ou à cause de mort, et elle part de là pour soutenir que les donations entre époux, faites en vertu de l'art. 14 de la même loi, ne sont pas assujetties aux dispositions de l'ordonnance de 1731.

Il nous paraît cependant qu'il n'y a d'abrogé par l'art. 61 de la loi du 17 nivose an 2, que les règles de l'ancienne jurisprudence, à la place desquelles cette loi a mis des règles nouvelles.

Sans doute, les lois et les coutumes qui permettaient les dispositions illimitées ou fort étendues, par donation ou testament, sont abolies

par

l'art. 61 de la loi du 17 nivose; mais pourquoi ? Parce que la loi du du 17 nivose elle-même ne permet de disposer que du sixième ou du dixième des biens, selon qu'on a ou qu'on n'a pas d'enfans.

Sans doute, les lois et les coutumes qui défendaient aux époux de s'avantager, ou qui ne leur permettaient qu'avec certaines réserves et sous certaines conditions, sont abolies; mais pourquoi ? Parce que la loi du 17 nivose permet indéfiniment aux époux de se faire tels avantages singuliers, ou réciproques, qu'ils jugent à propos.

Sans doute, les coutumes et les statuts qui, dans les successions, distinguaient les propres des acquêts, les propres paternels des propres maternels, et les meubles des immeubles, sont abolis; mais pourquoi ? Parce que la loi du 17 nivose déclare expressément que la transmission des biens se réglera uniformément et sans aucune différence, soit quant à leur nature, soit quant à leur origine.

Mais la loi du 17 nivose n'a rien réglé par rapport aux conditions de capacité requises pour la validité des donations et des testamens : en conclura-t-on qu'elle permet au pupille, à l'interdit, et à l'homme mort civilement, de donner ou de tester? Ce serait une absurdité manifeste.

La loi du 17 nivose n'a rien déterminé relativement au bénéfice d'inventaire en conclura-t-on qu'elle l'a abrogé? La notoriété publique, l'usage universcl de toute la France déposeraient contre une pareille conséquence.

La loi de nivose ne s'est pas expliquée sur la révocation des donations entre-vifs par survenance d'enfans: on a voulu tout récemment en conclure que, depuis cette loi, la survenance d'enfans avait cessé d'être unc cause légitime de révocation; mais par jugement rendu, le 26 messidor dernier, à la section des requêtes, au rapport du citoyen d'Outrepont, et sur nos conclusions, il a été dit, en rejetant le recours excrcé par la veuve Girault, contre un jugement d'appel de Poitiers, que l'art. 61 de, la loi du 17 nivose an 2, n'a point abrogé l'art. 59 de l'ordonnance de 1751, puisque cette loi ne traite pas de la révocation des donations par survenance d'enfans.

Et pourquoi ne ferions-nous pas le même raisonnement à l'égard des formes extérieures des donations entre-vifs et testamentaires ? La loi da 17 nivose n'a rien réglé par rapport à ces formes; elle a donc, par rapport à ecs formes; laissé subsister les anciennes lois.

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Soutenir le contraire, soutenir que l'art. 61 de la loi du 17 nivose, a effacé du Code de la législation française, toutes les dispositions des ordonnances de 1731 et 1735, c'est vouloir que, pendant tout le ten s qui s'est écoulé depuis la publication de la loi du 17 nivose an 2, jusqu'à celle du 13 floréal an II, les formes extérieures des donations et des testamens aient été absolument abandonnées aux caprices des donateurs et des testateurs.

Mais ce système que condamne déjà sa seule absurdité, est encore proscrit bien formellement par l'art. 1er. de la loi du 4 germinal an 8 lequel, en parlant de libéralités qui seront faites, soit par actes entrevifs, soit par actes de dernière volonté, dans les formes légales, suppose et prouve tout à la fois que les formes légales précédemment établies subsistent encore, et que conséquemment elles n'ont pas été abrogées par la loi du 17 nivose.

Disons donc que, si dans les lieux où elle était permise avant la loi du 17 nivose an 2, la donation mutuelle du 12 prairial an 4, était assujettie par les anciennes lois à des formes qui n'ayant pas été remplies par l'acte qui la contient, le tribunal d'appel de Riom a très-bien jugé, en la déclarant nulle.

Et vainement dans cette hypothèse, cherche-t-on ici à se prévaloir de la manière dont est conçu l'art. 14 de la loi du 17 nivose.

L'art. 14 de la loi du 17 nivose, n'emploie, il est vrai, les mots légalement stipulés, que par rapport aux avantages faits entre époux dont l'un est décédé avant le 14 juillet 1789, et il ne répète plus la même expression, en parlant des avantages qui pourront avoir lieu à l'avenir; mais si l'on pouvait inférer de là qu'à l'avenir les donations entre époux seront affranchies des formalités auxquelles les lois antérieures auraient pu les soumettre, il faudrait en inférer aussi qu'elles seront également affrauchies de toutes les conditions possibles de capacité: il faudrait par suite aller jusqu'à dire qu'un mari mort civilement, ou interdit, peut donner à sa femme, tout aussi bien que s'il jouissait de la plénitude de son état civil, et si l'on est forcé de rejeter ce corollaire, il faut bien aussi rejeter le principe dont il découle; il faut bien par conséquent reconnaître que, par les mots, avantages qui pourront avoir lieu à l'avenir, l'art. 14 de la loi du 17 nivose an 2, entend des avantages légalement stipulés, et que les expressions, stipulés légalement, quoiqu'employées

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seulement dans la première partie de l'article, sont nécessairement sousentendues dans la deuxième.

Ce n'est pas que l'on doive ni que l'on puisse regarder comme maintenues par cet article, les dispositions des coutumes qui, en faisant aux époux une défense générale de s'avantager, et en établissant des exceptions à cette défense générale, entouraient ces exceptions, de formes et de conditions particulières, qui avaient pour but d'en rendre l'exercice plus difficile. Il est évident que ces formes et ces conditions particulières ont été abolies par la loi du 17 nivose, puisque la loi du 17 nivose a aboli la défense générale de s'avantager, dont elles n'étaient que les conséquences, et en quelque sorte les gardiennes.

Ainsi, dans certaines coutumes, le don mutuel entre époux n'était valable que lorsqu'il précédait d'un certain intervalle, soit la mort du mari, soit la mort de la femme. Dans d'autres, telles que celles de Tournay, de Bapaume, d'Arras, il fallait que les deux époux fissent le don mutuel en présence des échevins de leur domicile, et s'embrassassent devant eux, en signant l'acte. Ces conditions, ces formalités n'étaient de la part des coutumes qui les prescrivaient, que des précautions pour empêcher les époux d'abuser de l'exception qu'elles faisaient en leur faveur, à la règle générale qui leur défendait de s'avantager; et la loi du 17 nivose, en faisant disparaître cette règle générale, a nécessairement rendu sans objet les conditions et les formalités dont cette règle générale avait suggéré l'introduction. C'est ainsi que vous l'avez jugé, le 30 messidor dernier, au rapport du citoyen Vasse, dans la cause de la veuve Château Challon, et la section des requêtes avait jugé la même chose, le 12 fructidor an Io, au rapport du citoyen Gandon, dans la cause des héritiers Bollaert.

Mais si, dans les pays où les époux jouissaient, avant la loi du 17 nivose, de la plus grande liberté de s'avantager, ils étaient assujettis, pour le faire, à des formes qui tinssent, soit à l'authenticité des actes en général, soit a l'essence des donations entre-vifs, ou à cause de mort, n'en doutons pas, ils sont restés, dans toute la France, assujettis à ces formes, depuis la loi du 17 nivose, comme ils l'étaient auparavant.

Et inutilement, pour établir le contraire, yous a-t-on cité l'art. 10 de la loi du 22 ventose, et l'art. 35 de la loi du et l'art. 55 de la loi du 9 fructidor an 2.

L'art. 10 de la loi du 22 ventose, rappelle seulement que, par l'art. 14 de la loi du 17 nivose, il est permis aux époux de faire, pour s'avantager,,

telles stipulations qu'il leur plaît: il ne dit pas qu'ils pourront faire ces stipulations sans aucune forme.

L'art. 55 de la loi du 9 fructidor an 2, établit, il est vrai, par sa combinaison avec les lois des 9 fructidor an 3 et 3 vende niaire an 4, que les donations entre époux, dont l'effet s'est ouvert depuis la publication de la loi du 17 nivose, n'ont d'autres règles que les art. 15 et 14 de cette dernière loi; mais quel est l'objet de cet article, lorsqu'il s'explique ainsi? c'est uniquement de répondre à la question qui avait été proposée à la Convention nationale, et qui tendait à savoir si l'on devait exécuter sans réserve les donations entre mari et femme, qui, faites sous l'empire des anciennes lois, excédaient le point indiqué, soit par les conventions, soit par les lois elles-mêmes; la disposition de cet article se réduit done à dire, comme l'a jugé la section des requêtes, le 28 germinal dernier, au rapport du citoyen Target, dans l'affaire de Crugeot, que, pour déterminer l'étendue à donner aux libéralités entre époux, il faut considérer non le plus ou le moins de liberté qu'ils avaient de s'avantager dans le tems où les donations ont été faites, mais le plus ou le moins de liberté que leur laisse à cet égard la loi du 17 nivose. Cet article n'a donc aucune espèce de rapport à la question de savoir dans quelle forme doivent être passées les donations entre mari et femme.

Il n'y a donc rien dans la loi du 17 nivose, ni dans celles qui en sont interprétatives, qui puisse justifier le premier moyen de cassation de la demanderessc.

Le deuxième moyen consiste à dire, comme nous l'avons déjà annoncé, que le tribunal d'appel de Riom a fait une fausse application des dispositions de la coutume d'Auvergne, relatives aux avantages entre époux.

Et, en effet, qu'a dit sur ce point le tribunal d'appel de Riom?

« Le don mutuel n'avait pas lieu dans la coutume d'Auvergne, avant la loi du 17 nivose; il n'y peut donc encore avoir lieu aujourd'hui ; car c'est une forme de disposer, et la loi du 17 nivose n'a pas dérogé aux anciennes formes des dispositions gratuites. >>

Mais, en raisonnant ainsi, le tribunal d'appel de Riom a visiblement confondu deux choses très-distinctes: il a confondu la capacité de donner, avec la forme de la donation.

La coutume d'Auvergne ne prohibe pas le don mutuel, comme forme de disposer; elle ne parle même pas du don mutuel. Seulement elle le

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