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rend impossible, par la défense qu'elle fait à la femme (chap. 9, art. 46), d'avantager son mari, et de faire avec lui aucune espèce de contrat, quoiqu'elle permette au mari ( même chap., art. 39), de donner tous ses biens à sa femme.

Et qu'a fait à cet égard la loi du 17 nivose? elle a rendu la femme habile à donner à son mari; elle a par conséquent levé l'obstacle qui dans cette coutume, s'opposait précédemment à ce qu'il se fît des donations mutuelles entre époux. Dès lors, pourquoi des époux ne pourraientils pas aujourd'hui, dans la coutume d'Auvergne, comme dans les autres, se faire des donations mutuelles?

C'est, a dit le tribunal d'appel de Riom, parce que la donation mutuelle ne peut avoir lieu que dans les coutumes qui l'autorisaient, et sous les modifications que prescrit chacune de ces coutumes.

Oui, sans doute, lorsque le don mutuel faisait exception à la prohibition générale des avantages entre époux, il fallait, dans les coutumes qui contenaient cette prohibition générale, une disposition particulière pour autoriser le don mutuel, et partout où n'existait pas cette disposition particulière, partout où n'étaient pas observées les conditions et les modifications auxquelles cette disposition particulière était subordonnée, la prohibition générale conservait toute sa force et toute son étendue.

Mais depuis que la loi du 17 nivose, a fait cesser la prohibition générale des avantages entre époux, le don mutuel a nécessairement cessé d'être une exception aux statuts qui contenaient cette prohibition ; il a donc pu avoir lieu depuis, même dans les coutumes qui ne l'autorisaient pas expressément.

Et cela est si vrai que, par les deux jugemens que nons citions tout à l'heure, par celui de la section des requêtes, du 12 fructidor an 10, et par celui de la section civile, du 30 messidor dernier, il a été décidé formellement que, dans les coutumes où le don mutuel est autorisé, il peut avoir lieu, sans remplir les conditions auxquelles le soumettent ces coutumes, sans même se renfermer dans les limites dans lesquelles ces coutumes le circonscrivent.

C'est donc une grande erreur, de la part du tribunal d'appel de Riom, d'avoir basé son jugement sur des dispositions de la coutume d'Auvergne, qui n'existent plus.

Cependant, comme il ne l'a pas basé sur ces seules dispositions, comme

il a encore cherché à le justifier par l'art. 15 de l'ordonnance de 1731, nons devons examiner, et c'est à quoi nous amène le troisième moyen de la demanderesse, si, en effet, l'art. 15 de l'ordonnance de 1751 peut mettre son jugement à l'abri de la cassation.

Cet article contient deux dispositions: par l'une, il prohibe les donations de biens à venir; par l'autre, il exige, par la validité de la donation des effets mobiliers dont l'acte ne porte pas la tradition actuelle, qu'il en soit fait un état signé des parties, et que cet état demeure annexé à la minute du contrat.

Or, dans l'espèce, la donation mutuelle embrasse à la fois et des biens à venir, et des effets mobiliers dont il n'existe point d'état ; cette donation est donc nécessairement nulle. Ainsi a raisonné le tribunal d'appel de Riom, et nous devons le dire, son raisonnement serait parfaitement juste, s'il s'agissait ici d'une donation entre parens ou amis.

Mais l'article 15 de l'ordonnance de 1731, est-il applicable aux donations entre mari et femme ? L'article 46 de la même loi va répondre à cette question : « N'entendons comprendre dans les dispositions de la présente ordonnance, ce qui concerne les dons mutuels et autres donations entre mari et femme, autrement que par le contrat de mariage...... à l'égard de toutes lesquelles donations, il ne sera rien innové jusqu'à ce qu'il y ait été autrement par nous pourvu. »

Il résulte clairement de cet article, qu'aucune des dispositions de l'ordonnance de 1731 ne fait loi à l'égard des donations entre époux, et c'est ce que remarque Furgole sur cet article même : « Cette exception, dit-il, s'applique en général à toutes les dispositions comprises dans la présente ordonnance, et à tous les articles en particulier, en sorte que les dons mutuels et autres donations faites entre mari et femme, autrement que par les contrats de mariage, ne sont nullement compris dans les différens règlemens que Sa Majesté a faits dans la présente ordonnance, mais que les questions qui surviendront au sujet de ces donations, devront être jugées par les lois, les coutumes et usages observés sur ces sortes de donations, tout de même que si cette ordonnance n'avait pas été portée. Delà vient que, si les lois ou les contumes particulières ne s'y opposent pas, ces donations peuvent être faites.... par écriture privée. »>

Ainsi, pour juger de la validité ou de l'invalidité de la donation mutuelle du 12 prairial an 4, nous devons faire une abstraction complète de

l'ordonnance de 1731, et nous reporter aux autres lois qui, d'une part, déterminent la capacité des donaterrs, et, de l'autre, règlent la forme dans laquelle les donateurs doivent exprimer leur intention.

La capacité des donateurs est fixée par l'art. 14 de la loi du 17 nivose an 2; par conséquent nulle difficulté à cet égard.

Quant à la forme de la disposition, deux questions se présentent à résoudre.

Parmi les lois qui ont précédé l'ordonnance de 1751, en est-il quelqu'une qui ait proscrit les donations de biens à venir ? C'est la première.

Parmi ces mêmes lois, en est-il quelqu'une qui ait exigé un état des effets mobiliers dont la donation ne contenait pas une tradition réelle? C'est la seconde.

Sur la première question, il est certain que les lois romaines permettaient les donations universelles de biens présens et à venir; c'est ce que prouvent fort au long, et par plusieurs textes, Cujas, sur la loi 35, C. de donationibus; Cambolas, liv. 5, chap. 55; et Furgole, sur l'art. 15 de l'ordonnance de 1751.

Il est vrai que l'on jugcait le contraire dans les coutumes qui, par une extension, ou, si l'on veut, par une interprétation fausse, de la règle donner et retenir ne vaut, exigeaient que la donation fût accompagnée de la tradition des objets donnés, et que, sur ce fondement, un arrêt du parlement de Paris, du 5 février 1713, a déclaré nulle une donation de tous les biens que le donateur aurait, au jour de son décès.

Mais cette jurisprudence d'exception n'était pas reçue dans la ci-devant province d'Auvergne : elle y était même expressément condamnée par le statut local : « Donation entre-vifs de tous biens présens et à venir, ou de partie, retenue certaine somme de deniers, ou partie desdits biens, pour en disposer à son plaisir et volonté, est bonne et valable quant ès biens desquels le donnant n'en retient la disposition. Et quant ès biens retenus, ladite donation est nulle, et appartiennent lesdits biens retenus aux héritiers ab intestat, si d'iceux le donateur n'a autrement valablement disposé. »

Ainsi dispose la coutume d'Auvergne, chap. 14, art. 22 et 23; et par-là, il demeure très-constant que la donation mutuelle du 12 prairial an 4, ne peut pas être annulée, sous le prétexte qu'elle porte à la fois sur les biens présens et sur les biens à venir des époux codonateurs.

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Peut-elle l'être pour défaut d'état des effets mobiliers, annexé à la donation même, ou, en d'autres termes, y avait-il en Auvergne, avant l'ordonnance de 1731, une loi qui fit de la jonction de cet état à la minute de l'acte portant donation d'effets mobiliers, une condition essentielle de la validité de cet acte? Non, il n'existait point en Auvergne de pareille loi, et cela était impossible, puisque la coutume permettait de donner des biens à venir.

Le tribunal d'appel de Riom n'a donc pu annuler la donation du 12 prairial an 4, ni parce qu'elle comprenait des biens à venir, ni parce qu'il n'avait pas été annexé à la minute un état des effets mobiliers compris dans cette donation; il a donc faussement appliqué l'article 15 et violé l'article 46 de l'ordonnance de 1731, et par ces considérations, nous estimons qu'il y a lieu de casser son jugement. >>

Ces conclusions ont été adoptées par la section civile de la cour de cassation, qui a rendu, le 25 fructidor an 11, au rapport de M. Rupérou,

un arrêt ainsi motivé:

« Vu les articles 14 et 61 de la loi du 17 nivose an 2;

» Attendu qu'il résulte de l'ensemble et de la généralité des expressions de ces deux articles, que le but de la loi a été d'écarter tous les obstacles qui interdisaient ou génaient la faculté de s'avantager entre époux, et de permettre aux maris et femmes de se faire tels avantages qu'ils jugeront convenables, en observant toutefois les formalités relatives à l'essence des contrats et à la capacité des personnes; d'où il suit que, dans l'espèce, il n'y avait lieu à appliquer ni la coutume d'Auvergne qui défend les dons mutuels entre époux, ni l'article 15 de l'ordonnance de 1731, qui n'en fait pas même mention, casse et annulle le jugement du tribunal d'appel de Riom. »

On voit que cet arrêt a décidé expressément les trois premières questions que nous avons proposées en tête de ce paragraphe. Voici un autre arrêt qui a décidé in terminis la quatrième.

La coutume de la ci-devant châtellenie de Cassel, département du Nord, était du nombre de celles qui, avant la loi du 17 nivose an 2, prohibaient les avantages entre mari et femme. Seulement, et par exception à cette prohibition générale, elle permettait aux époux, par son art. 268, de se donner, par radvestissement, l'usufruit de leurs immeubles respectifs.

Mais, par l'article 269, elle soumettait ce radvestissement à deux condil'autre tions indispensables; l'une, qu'il fût fait et passé en justice; qu'il eût précédé, au moins d'un mois ou quatre semaines complètes, la premier décès des conjoints,

A défaut d'accomplissement de l'une et de l'autre de ces conditions, on a demandé la nullité d'un acte du 19 floréal an 8, par lequel deux époux domiciliés dans le ressort de la coutume de Cassel, s'étaient fait un don réciproque, et l'on se fondait sur ce que, 1o, l'acte avait été fait devant notaire, et non en justice; 2o, sur ce que l'un des époux était mort cinq jours seulement après l'acte,

Voici comment on répondait à ces moyens,

Le but de l'art, 269 est évidemment de rendre les radvestissemens plus difficiles et plus rares, d'entraver l'exercice de l'exception que l'art. 268 met, en les autorisant, à la prohibition générale de tout avantage entre époux, et, par une suite nécessaire, de donner le moins de latitude possible à cette exception,

Les deux conditions prescrites par l'article 269, dérivent donc de la prohibition générale des avantages entre conjoints; elles dépendent dong de cette prohibition, comme de leur cause; elles en dépendent, comme l'accessoire dépend du principal,

Or, cette prohibition n'existe plus ; les art, 13 et 14 de la loi du 17 nivose an 2, l'ont abolic.

Comment, d'après cela, les deux conditions dont il s'agit, subsisteraient-elles encore? elles ne peuvent pas survivre à un ordre de choses pour lequel seulement elles ont été faites, et sans lequel elles n'ont plus d'objet, Cùm principalis causa non substitit, nec ea quæ sequuntur locum habeant,

Vainement on opposerait l'art. 24 de la loi du 20 avril 1791,

Sans doute, avant la loi du 17 nivose an 2, cet article pouvait êtro invoqué avec succès, pour faire annuler les radvestissemens qui n'avaient pas été passés en justice, même depuis le mois d'avril 1791; car ce n'était pas pour la réalisation de ces radvestissemens, ce n'était pas pour leur faire opérer deshéritance et adhéritance, que la coutume de Cassel voulait qu'ils eussent été passés en justice. Si telle oût été son intention, elle n'aurait pas exigé simplement qu'ils fussent passés en justice: elle aurait voulu qu'ils le fussent dans chacune des justices des lieux où étaient situés

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