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Ainsi, pour la forme du don mutuel entre conjoints, après comme avant la loi du 17 nívose an 2, il ne faut consulter que les dispositions

de la coutume sous l'empire de laquelle a été fait le don, ou des lois particulières qui pouvaient avoir été rendues sur cette matière, ou de l'usage qui s'était établi; mais il ne faut pas consulter les dispositions de l'ordonnance de 1731.

C'est ainsi que l'a décidé la cour de cassation, dans l'espèce suivante :

Par un acte devant notaires, du 5 brumaire an 7, deux époux domiciliés à Valenciennes, avaient stipulé que le survivant d'eux serait et demeurerait héritier universel des biens meubles et usufruitiers des biens immeubles du prédécédé, à la charge par ledit survivant d'acquitter les dettes de la communauté, avantages néanmoins qui n'auraient lieu qu'autant que le prédécédé ne laisserait aucun héritier direct, auquel cas lesdits avantages seraient réduits et convertis en simple usufruit de la moitié des biens meubles et immeubles du prédécédé, mais sans aucune charge des dettes de la communauté.

La femme est décédée la première, et comme elle laissait des enfans d'un premier lit, les avantages stipulés au profit du survivant, se sont trouvés réduits, ainsi que l'acte même l'avait réglé, d'après la disposition expresse de la loi du 17 nivose an 2; il n'y a eu, à cet égard, aucune difficulté.

Mais les enfans du premier lit sont allé plus loin. Ils ont prétendu que l'acte du 5 brumaire an 7, ne pouvait avoir aucun effet; que l'institution réciproque d'héritier qui y était écrite, caractérisait un testament conjonctif, manière de disposer absolument prohibée par l'art. 77 de l'ordonnance de 1735; qu'ainsi la disposition était irrégulière dans la forme, et par conséquent nulle pour le tout.

Ils ont ajouté que, suivant l'art. 3 de l'ordonnance de 1731, il n'y avait plus, depuis cette ordonnance, que deux formes de disposer de ses biens à titre gratuit, l'une par donation entre-vifs, l'autre par tes tament ou par codicille; et qu'ainsi l'acte du 3 brumaire an 7, n'étant revêtu des formalités ni des donations entre-vifs, ni des testamens, était évidemment nul.

On leur répondait que, d'après les dispositions de l'art. 46 de l'ordonnance de 1731, et de l'art. 77 de l'ordonnance de 1755, ces lois n'étaient pas applicables aux dons mutuels faits entre époux, que la coutume de

:

Valenciennes et la loi du 17 nivose an 2, autorisaient cette espèce de dons, sans les assujettir aux formalités des donations entre-vifs ni des testamens, et que, d'ailleurs, l'institution d'héritier comprise dans l'acte du 5 brumaire an 7, étant une institution in re certá, puisque l'effet en était limité à l'usufruit de la moitié des biens meubles et immeubles du prémourant, ne pouvait être considérée que comme un legs, ou, ce qui revient au même, comme une donation à cause de mort.

Un jugement du tribunal d'appel du département du Pas-de-Calais, du 5 thermidor an 8, ayant rejeté les prétentions des enfans du premier lit, ils se sont pourvus en cassation; mais leur requête a été rejetée par arrêt de la section des requêtes, rendu au rapport de M. Desfougère, le 1. ventose

an 9.

« Attendu, porte l'arrêt, que l'acte du 5 brumaire an 7, n'est ni un testament, ni une donation entre-vifs, mais une disposition particulière, autorisée par l'art. 17 de la coutume de Valenciennes qui régit les partics;Attendu que l'art. 46 de l'ordonnance de 1731 et l'art. 77 de l'ordonnance de 1755, exceptent de leurs dispositions, les dons mutuels et autres donations entre mari et femme, après mariage; - Attendu que les art. 13 et 14 de la loi du 17 nivose an 2, autorisent les dispositions qui ont été faites entre Jean Guille et sa femme, par l'acte du 5 brumaire an 7, et que la coutume de Valenciennes qui les régit, y est conforme, d'où il résulte que le jugement attaqué n'a violé aucune loi, rejette. >>

Ainsi l'a pareillement décidé, conformément aux conclusions de M. Merlin, l'arrêt du 25 fructidor an 11, rapporté au précédent paragraphe.

Il faut même remarquer que, dans l'espèce sur laquelle est invervenu cet arrêt du 25 fructidor, les époux s'étaient donné réciproquement, à titre de donation entre-vifs, la propriété, possession et jouissance de tous leurs biens meubles et immeubles, présens et à venir, et que cependant la cour de cassation a décidé que ce don mutuel ne devait pas être considéré, même quant aux biens présens, comme une donation entrevifs, quoiqu'il fût à ce titre, et qu'il n'avait pas été assujetti aux formalités. prescrites par l'ordonnance de 1751.

La même décision a été rendue par la cour d'appel de Rouen, le 21 germinal an 12, dans une espèce où les époux s'étaient également donné, à titre mutuel et réciproque, en faveur du survivant, la propriété de tous

les biens à eux appartenans, avec dessaisine de la propriété, et simpla rétention de l'usufruit. L'arrêt sera rapporté à la fin de ce paragraphe.

C'est par les mêmes principes que doit se décider la question de savoir si généralement le don mutuel devait être insinué, à peine de nullité.

Sans doute, l'insinuation était nécessaire, à peine de nullité, dans la coutume de Paris qui, par son art. 284, exigeait impérieusement que le don mutuel fût insinué dans les quatre mois,

Mais cette disposition de la coutume de Paris formait-elle le droit commun sur la matière, et, dans les coutumes muettes, le don mutuel était-il, du mains, sujet à l'insinuation, à peine de nullité, lorsqu'il était irrévocable, qu'il comprenait des biens présens, et qu'il était fait, à titre et en forme de donation entre-vifs?

Cette question a été très-amplement discutée dans l'espèce suivante :

Le 15 avril 1792, contrat de mariage entre Jacques Beugon et Marie Victoire Thomas, domiciliés dans le département de la Haute-Marne : les deux époux se promettent respectivement, en cas de survie, l'usufruit de tous leurs biens respectifs,

Le 9 thermidor an 8, ils se font, pardevant notaire, au profit du survivant, une donation mutuelle entre-vifs, pure et simple, et irrévo cable, en la meilleure forme que donation puisse valoir et avoir lieu, de tous les biens qui se trouveront appartenir au prémourant, au moment de son décès,

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Le 27 du même mois, le sieur Beugon fait insinuer la donation; mais les héritiers collatéraux de la femme demandent la nullité, par le motif que l'insinuation n'avait pas été faite, ayant la mort de la dame Beugon.

Leur demande rejetée par le tribunal de première instance, fut adoptée par arrêt de la cour d'appel de Dijon, du 3o messidor an II; mais cet arrêt fạt cassé par la cour de cassation, conformément aux conclusions de M. Merlin, le 14 prairial an 11.

Nous rapporterons, en entier, les motifs de ces deux arrêts, pour que les moyens respectifs soient bien connus.

<< Considérant, porte l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, qu'il n'est pas possible, sans se faire illusion, de méconnaître, un instant, le caractère de la donation qui est l'objet du procès, que les parties y ayant déclaré qu'elles se donnaient entra-vifs et d'une manière irrévocable,

le bon sens dit nécessairement qu'elles se sont fait une donation entrevifs;

» Que cette conséquence déduite des simples lumières de la raison, se trouve fortifiée par l'avis des anteurs les plus respectables qui ont défini la donation mutuelle. La donation mutuelle, dit Duplessis, en sa 47. consultation, est une véritable donation entre-vifs, qui lie les parties an moment où elle est faite; elle en a le principal caractère, qui est l'irrévoeabilité.....; son exécution, à la vérité, est remise au tems de la mort ; elle ne doit avoir d'effet que par le décès de l'un des conjoints; et, par rapport à chacun d'eux, elle est suspendue par l'incertitude de l'événement mais dans la donation, il y a deux choses à considérer la disposition et l'exécution de l'acte. Lorsque la disposition lie sur le champ la liberté des parties contractantes, c'est une véritable donation entre-vils, quoique son exécution ait trait à mort. In donatione, dit Dumoulin, sunt duo, dispositio et executio; dispositio statim ligat et ab ea fit denominatio, licèt executio habeat tractum ad

mortem

» Que l'on retrouve les mêmes principes et la même définition dans Ricard, dans Furgole, dans Pothier, etc., tous auteurs professant, en effet, que le don mutuel entre conjoints est un don entre-vifs qu'ils se font respectivement l'un à l'autre, et dont le caractère consiste dans son irrévocabilité;

>> Qu'en appliquant ces règles à l'espèce, il est impossible de voir dans la donation qui est l'objet du procès, autre chose qu'une donation entre-vils;

» Que le caractère de cet acte une fois déterminé, la conséquence naturelle est qu'il devait être insinué;

» Que cette formalité essentielle était implicitement commandée par l'art. 132 de l'ordonnance de 1559, lequel a ordomé que toutes donations entre-vifs qui seraient faites ci-après, seraient insinuées et enregistrées; autrement seraient déclarées nulles; et par la déclaration interprétative du mois de février 1549, qui, en posant la ligne de démarcation entre les actes sujets à l'insinuation et ceux qui en seraient exempts placé dans le premier cas toutes les donations simples ou mutuelles faites entre-vifs, c'est-à-dire, irrévocables, et dans le second, celles qui pouvent se révoquer jusqu'à la mort }

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» Mais qu'elle l'était d'une manière plus formelle encore, par l'art. 58 de l'ordonnance de Moulins de 1566, qui, rappelant les dispositions des précédentes ordonnances, porte que « dorénavant toutes donations entre-vifs, mutuelles, réciproques, onéreuses, en faveur de mariage, et autres, en quelque forme et qualité qu'elles soient faites entre-vifs, comme dit est, seront insinuées et enregistrées dans les quatre mois du jour de la date autrement et faute de ladite insinuation seront lesdites donations nulles et de nulle valeur, tant en faveur des créanciers; que de l'héritier du donateur » ; par la déclaration du 5 décembre 1622, dans laquelle la volonté du législateur d'assujettir à l'insinuation les dons mutuels entre mari et femme, se trouve exprimée de la manière la plus formelle; et enfin par l'art. 2 de l'édit de 1705, où ces sortes de libéralités sont de nouveau reprises dans la nomenclature des actes sujets à cette formalité;

» Qu'en vain pour atténuer la force de ces deux dernières lois, objecte-t-on que l'une n'est relative qu'à la ci-devant coutume de Poitou, et que l'autre est purement bursale;

» Qu'il faut distinguer, dans la première, la disposition particulière, et le principe général posé par le législateur, dont elle n'est que la conséquence; et que, dans la seconde, il faut également distinguer l'article précité, des autres articles de la loi dans lesquels seulement se trouvent les dispositions bursales.

» Mais que ce qui tranche toute difficulté sur l'application de ces lois aux dons mutuels entre mari et femme, c'est l'avis unanime de tous les auteurs et de tous les jurisconsultes qui se sont occupés de la question ; que Duplessis, Ricard, Furgole, Ferrière, Bourjon, Pothier, Denisart, Delaistre sur la coutume de Chaumont, Legrand sur celle de Troyes, etc. sont en effet univoques sur ce point;

» Qu'à cette masse d'autorités, vient encore se joindre celle résultante de l'art. 284 de la coutume de Paris, formant en cela le droit commun de la France; autorité d'autant plus imposante que tout le monde est d'accord que cet article, en assujettissant le don mutuel à l'insinuation, n'a fait qu'ordonner l'exécution des anciennes ordonnances, et que cette disposition coutumière n'est ainsi qu'un hommage rendu à la loi par les rédacteurs de cette coutume, presque tous jurisconsultes et membres des premières magistratures de l'état ;

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