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La demande en nullité fut rejetée par le tribunal de première instance qui établit particulièrement, dans les motifs de son jugement, que l'insinuation n'était pas nécessaire à l'égard des dons mutuels faits entre mari et femme.

L'arrêt confirmatif, rendu par la cour d'appel de Rouen, porte « que ce ne sont point les expressions insérées dans un acte, qui le caractérisent, mais les clauses qu'il contient et renferme ; qu'esaminant celui en litige, on ne peut le classer, ni par sa nature, ni par ses effets, dans le rang des donations entre-vifs, mais bien dans celui des donations à cause de mort; que la loi du 17 nivose an 2, a écarté tous les obstacles qui interdisaient ou gênaient la faculté de s'avantager cutre époux, et a eu pour but de permettre aux maris et femmes de se faire tels avantages qu'ils jugeraient convenables, en observant toutes les formalités relatives à l'essence des actes et à la capacité des personnes, d'où il suit que l'acte du 25 thermidor an 4, étant postérieur à cette loi, en oppose mal à propos la coutume de Normandie et la jurisprudence de son territoire, qui n'admettaient pas le don mutuel entre époux ; et au surplus l'arrêt adopte tous les autres motifs du jugement de première instance, sur l'inutilité de l'in

sinuation.

§. III.

Le don mutuel entre époux, fait sous l'empire d'une coutume qui n'autorisait la révocation du don, que par le consentement commun des conjoints, est-il devenu révocable de la part de l'un des époux seulement, en vertu de l'art. 1096 du Code Napoléon ? Quel doit être le sort d'un don mutuel, fait avant ou sous la loi

du 17 nivose an 2, lorsqu'il s'ouvre sous l'empire du Code, et qu'il existe, à cette époque, des enfans où descendans de l'époux qui prédécède?

En général, la forme et les effets des dons mutuels entre époux,

doivent-ils être réglés par la loi qui existait au moment où ces dons ont été consentis et non par la loi en vigueur au moment

où ils se sont ouverts?

I. Il était de droit commun dans les pays coutumiers, que le don mutuel fait par acte entre-vifs, ne pouvait être révoqué que par le consentement commun des deux époux:

Il n'y avait d'exception que dans un très-petit nombre de coutumes qui avaient autorisé chacun des époux à révoquer seul et particulièrement le don mutuel, en notifiant la révocation à l'autre époux.

La loi du 17 nivose an 2, ne contient aucune disposition précise à cet égard,

Mais l'art. 1096 du Code Napoléon, dispose expressément que toutes donations faites entre époux, pendant le mariage, quoique qualifiées entre-vifs, seront toujours révocables, et il en résulte que chacun des époux a le droit de révoquer, sans le consentement de son conjoint.

Cette disposition du Code est-elle donc applicable aux dons mutuels qui avaient été faits sous l'empire du droit commun des pays coutumiers, mais qui ne sont ouverts que postérieurement à la publication de la loi du 3 mai 1803.

La négative ne peut être douteuse,

Le don mutuel entre époux, lorsqu'il n'était révocable suivant le droit existant au moment de la donation, que par le consentement des deux époux, conférait conférait, à l'instant même, à chacun des époux, un droit certain et assuré, qui ne pouvait être détruit à son égard que par son propre consentement; c'était donc un droit qui lui était acquis définitivement et irrévocablement, s'il ne consentait pas lui-même à s'en dessaisir,

Or, le Code Napoléon ne peut anéantir, ni modifier en aucune manière, les droits qui, avant sa promulgation, étaient définitivement acquis, et avaient reçu des lois antérieures le caractère d'irrévocabilité. S'il avait le pouvoir de dépouiller les conventions et les contrats, des attributs que leur avaient conférés, d'une manière irrévocable, les lois alors existantes, il aurait l'effet rétroactif le plus désastreux..

II. La loi si unquàm avait prononcé, pour cause de survenance d'enfans, la révocation des donations entre-vifs; mais elle ne s'appliquait pas aux dons mutuels entre conjoints. (Voyez Dumoulin, de donat. in contractu matrim. factis, no. 8; et Furgole, sur l'art. 59 de l'ordon nance de 1731.)

Cette ordonnance avait pargillement admis la même cause de révocation; mais on a vu que, par son art. 46, elle avait déclaré ne pas comprendre dans ses dispositions, les dons mutuels faits entre époux.

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Ce n'était donc que par les dispositions des coutumes, ou par des statuts ou usages locaux, que les dons mutuels entre époux, pouvaient être déclarés révocables, en cas de survenance d'enfans, puisqu'il n'y avait sur ce point aucune loi générale.

L'art. 280 de la coutume de Paris, exigeait, comme une condition essentielle du don mutuel entre époux, que ni l'un ni l'autre des conjoints n'eût d'enfant, lors de la dissolution du mariage, et il en résultait que le don mutuel se trouvait révoqué, s'il y avait un ou plusieurs enfans issus, soit du conjoint, qui décédait le premier, soit des deux conjoints.

Cette disposition de la coutume de Paris formait le droit commun dans les pays coutumiers.

Ainsi, ce n'était que dans les coutumes qui, comme celles de Reims et de Péronne, avaient expressément adopté des dispositions contraires, que les dons mutuels entre époux étaient affranchis de la révocation en cas de survenance d'enfans.

La loi du 17 nivose an 2, ne prononça pas la révocation : elle ordonna seulement, par les articles 13 et 14, que les avantages singuliers ou réciproques, faits entre époux, seraient réduits à l'usufruit des choses données, mais qui ne pourrait, en aucun cas, excéder la moitié du revenu de la totalité des biens, s'il y avait des enfans issus du mariage des époux donateurs, ou d'un précédent mariage.

Suivant l'art. 1094 du Code Napoléon, les dons faits entre époux sont réduits, lorsque l'époux donateur laisse des enfans ou descendans, au quart en propriété et un autre quart en usufruit, de la totalité des biens. du donateur, ou à la moitié de tous les biens en usufruit seulement en sorte que le survivant des deux époux, peut réclamer, ou l'usufruit de la moitié des biens du prédécédé, ou un quart en propriété et un autre quart en usufruit.

Doit-on soumettre à cette disposition du Code, tous les dons mutuels faits avant ou sous la loi du 17 nivose an 2, lorsque les époux donateurs sont décédés postérieurement à la publication de la loi du 3 mai 1803, et ont laissé des enfans ou descendans?

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Il ne peut y avoir de doute à l'égard des dons qui étaient révocables de leur nature, suivant la coutume ou la jurisprudence alors existante. Ils n'étaient que de simples dispositions testamentaires qui n'ont été consom

mées, n'ont eu d'existence réelle, et ne sont devenues définitives, que sous la loi du 3 mai 1803, et à laquelle en conséquence ils doivent être soumis.

Quant aux dons qui, dès le moment où ils ont été faits, avaient reçu de la loi ou de la jurisprudence alors existante, le caractère d'irrévocabilité, c'est toujours par cette loi, qu'ils doivent être régis, à quelque époque que soient décédés les donateurs.

Ainsi, le don a-t-il été fait avant la loi du 17 nivose, sous l'empire de la coutume de Reims ou de celle de Péronne? Il ne sera ni révoqué par survenance d'enfans, ni réductible aux termes de l'art. 1094 du Code, quoique l'époux donateur ne soit mort qu'après la publication de la loi du 3 mai 1803, et ait laissé des enfans ou descendans. Le don ne sera réductible que conformément aux dispositions de la coutume sous l'empire de laquelle il aura été stipulé, c'est-à-dire, que les enfans ou descendans n'auront droit qu'à la légitime.

Le don mutuel a-t-il été fait avant la loi du 17 nivose, sous l'empire de la coutume de Paris, ou de toute autre qui n'avait pas dérogé au droit commun? Il sera pleinement révoqué, et non pas sculement réductible aux termes de l'art. 1094 du Code, si le donateur laisse des enfans ou descendans, quoiqu'il ne décède qu'après la publication de la loi du 3 mai 1803.

Mais à cet égard on doit faire observer que la survenance d'enfans après le don mutuel, n'a pas suffi pour le révoquer de plein droit, et pour l'empêcher de produire son effet, si les enfans survenus sont décédés, sans postérité, avant le donateur. On a vu que la loi si unquàm et l'ordonnance de 1731, qui prononçaient, en cas de survenance d'enfans, la révocation absolue des donations entre-vifs, n'étaient pas applicables aux dons mutuels faits entre époux: on a vu que l'art. 280 de la cou-, tume de Paris, qui formait le don commun en pays coutumier, ne révoque le don mutuel, que dans le cas où il y a des enfans existans lors de la dissolution du mariage des donateurs.

Enfin le don mutuel a-t-il été fait sous l'empire de la loi du 17 nivose. an 2? il sera réductible aux termes des art. 13 et 14 de cette loi, et non suivant l'art. 1094 du Code, quoique le donateur qui laisse des enfans ou descendans, ne soit mort qu'après la publication de la loi du 3 mai 1803. Peu importe même que les enfans ne soient survenus qu'après cette

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publication. Comme, dans cette hypothèse, il s'agirait toujours de régler les effets d'un don irrévocable de sa nature, et que la survenance d'enfans, en quelque tems qu'elle ait lieu, ne change point la nature et l'essence de la disposition, mais que seulement elle opère la réduction, il est certain que cette réduction doit être faite conformément à la lọi existante lors de la donation; autrement le don éprouverait une atteinte de la part des lois postérieures, et la volonté des donateurs ne conserverait plus son caractère primitif d'irrévocabilité.

III. Les principes que nous venons d'appliquer à deux cas particuliers, sont également applicables à tous les autres effets des dons mutuels.

Pour régler ces effets, sans aucune exception, il ne s'agit toujours 'que d'examiner la nature du don mutuel, et de savoir s'il était purement révocable, ou essentiellement irrévocable, d'après la loi ou la jurisprudence qui était en vigueur au moment où il a été consenti.

Ceux qui étaient toujours révocables, comme dans la coutume de la Marche, n'étaient réellement que des dispositions testamentaires, et il est de principe que les effets des dispositions testamentaires doivent être toujours réglés par la loi existante au moment du décès du testateur parce qu'elles ne sont jusqu'à cette époque que de simples projets, et qu'elles n'ont d'existence certaine qu'à cette époque. Omne testamentum refertur ad tempus obitús et quæcumque dependunt ex

eodem.

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Mais la forme de l'acte n'en reste pas moins soumise à la loi qui existait, lorsqu'il a été fait, parce qu'il serait absurde que sa validité en la forme, dépendît de formalités nouvelles établies par des lois postérieures. (Voyez l'article Testament. )

Quant aux dons mutuels qui, dans le plus grand nombre des coutumes, étaient déclarés irrévocables, lorsqu'ils étaient faits par actes entre-vifs, ils avaient réellement toute la force des contrats; et il est de principe que les effets des contrats doivent toujours être réglés par la loi existante au moment de leur confection, parce qu'ils confèrent des droits qui se trouvant acquis définitivement, ne pourraient être détruits, altérés ni modifiés par une loi postérieure, sans que cette loi eût à leur égard un effet rétroactif. (Voyez les articles Contrats et Donations, S. III. ) Ш.

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