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Moyens pour l'abolition du douaire et autres gains de survie, coutumiers ou légaux.

Il est hors de doute que le législateur est le maître de changer, à son gré, les statuts réels et personnels qui existaient avant la loi qu'il promulgue: les variations arrivées dans la législation de tous les peuples, en sont la preuve évidente.

Ces changemens dans les statuts s'opèrent, sans que la loi ait des effets rétroactifs, lorsqu'en établissant un nouvel ordre de choses, elle respecte et maintient les engagemens contractés, les droits acquis sous l'autorité des lois précédentes; mais elle peut, sans rétroactivité, révoquer ou régler, ainsi qu'elle le juge convenable, toutes les dispositions qui sont révocables de leur nature, tous les droits qui ne. sont que de simples expectatives, ou des avantages simplement éventuels, parce qu'elle a le pouvoir de régir tout ce qui n'est pas réglé d'une manière définitive, en vertu des lois antérieures.

Cette distinction se trouve formellement établie par la loi du 18 pluviose an 5, et forme aujourd'hui un principe généralement avoué, en matière de législation.

Si donc les douaires, les augmens, et les autres gains de survie que les statuts anciens conféraient, de plein droit, aux époux, sans qu'il y eût de stipulation, étaient réellement, pour ces époux, des droits acquis, ils n'ont pas été abolis par le Code Napoléon, quoiqu'il ait aboli les statuts dont ils résultaient.

Mais qu'on examine la nature de ces dons, et l'on verra qu'ils n'ont jamais été que de simples expectatives, et des avantages purement éventuels.

Ils ont toujours, en effet, été subordonnés, pour leur réalisation, ainsi que pour leur quotité, à l'événement du prédécès de l'un plutôt que de l'autre des époux, et à la fortune de l'époux qui décéderait le premier: or, qui pouvait garantir à chacun des époux, particulièrement, l'une ou l'autre de ces chances?

Il n'y a donc de droit assuré ni acquis à l'un ou à l'autre des époux, pendant que dure le mariage ce n'est qu'au décès de l'un d'eux, que s'ouvre le droit du survivant, et conséquemment ce droit ne peut être. réglé que par la loi existante à cette époque.

Un arrêt de la cour de cassation, du 20 frimaire an 14, a décidé

in terminis, qu'un gain de survie, purement statutaire, n'était acquis qu'au moment du décès de l'un des époux, et non pas au moment du mariage.

Le tiers coutumier que la coutume de Normandie accordait aux enfans sur les biens de leur père, pouvait être regardé comme un droit acquis, bien plus que ne doit l'être un simple gain de survie pour un époux, et cependant deux autres arrêts de la cour de cassation, des 27 messidor et 4 thermidor an 12, ont déclaré que le tiers coutumier avait été aboli par la loi du 17 nivose, et ne pouvait plus être réclamé dans les successions ouvertes postérieurement à la publication de cette loi. L'indissolubilité du mariage pouvait être regardée comme acquise aux époux qui étaient mariés avant le décret du 20 septembre 1792, et néanmoins cette loi et le Code Napoléon permettent de dissoudre ces la voie du divorce.

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Le Code Napoléon a donc pu également abolir, même à l'égard des époux mariés avant sa promulgation, les gains de survie purement statutaires, qui n'étaient pas des droits acquis.

Vainement on oppose que les époux, en ne disposant rien sur cette matière, sont censés, aux yeux de la loi elle-même, s'être soumis formellement au statut local qui les régissait; que dès lors il y a eu, de leur part, une convention réelle de s'avantager réciproquement de tout ce qui était conféré, de droit, par le statut ; et que cette convention étant aussi légale, aussi sacrée, que celle qui aurait été consignée dans un contrat de mariage, doit être également exécutée.

L'autorité de Louet répond à cette objection. « Quand les futurs conjoints, dit ce savant jurisconsulte, contractent sous la loi du statut, sans avoir stipulation expresse, comme d'un douaire préfix, comme que le survivant aurait quelque portion régléc, cela s'entend de la coutume qui aura lieu lors de la dissolution de la communauté. »

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A l'appui de son opinion, il cite Barthole et un arrêt du parlement de Paris, du 25 décembre 1580.

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Sans doute, dans les contrats de mariage, le silence des époux est suppléé par les dispositions de la loi; mais pour quels effets? pour deux seulement pour tout ce qui constitue l'état proprement dit des époux, et pour tout ce qui tient à la communauté des meubles et des conquêts.

Ainsi, un homme et une femme, domiciliés en France, s'y marient sans contrat. Il est certain que la femme sera sous la puissance de son mari, et qu'il y aura communauté de meubles et de conquêts entre l'un et l'autre. Il est certain, par conséquent, que la femme ne pourra pas, sans l'autorisation de son mari, aliéner les biens qu'elle peut avoir en pays étranger, et il est également certain que, si le mari fait, en pays étranger, quelques acquisitions, elles seront, de plein droit, communes entre lui et sa femme.

Mais là s'arrête, pour les contrats de mariage, le principe des conventions présumées.

«Si on l'étendait plus loin, dit Boullenois, dans son Traité des statuts réels et personnels, tom. 2, pag. 238, il faudrait donc régler le douaire, par rapport à des conjoints mariés et domiciliés à Paris, par la disposition de la coutume de Paris, en quelque endroit que le mati se trouvât avoir des biens; en sorte que, si la coutume de la situation n'en donnait pas, comme dans les pays de droit écrit, il faudrait néanmoins en donner, parce que la coutume du domicile matrimonial en donnerait un, plus ou moins fort; ou, si elle en donnait sur les biens d'une autre nature que ceux sur lesquels la coutume de la situation le donne, il faudrait encore s'y conformer: en un mot, il faudrait, en tout, suivre la coutume du domicile matrimonial, comme étant devenue une loi de convention; et cependant il est de la plus grande notoriété que le statut qui accorde, refuse ou règle le douaire, est purement réel: c'est la qualité que lui attribuent unanimement tous les auteurs, et leur opinion a été consacrée par deux arrêts du parlement de Paris; le premier du 28 août 1677, rapporté au Journal des audiences, le second du 30 décembre 1693, rapporté dans les mémoires de Froland, sur les statuts, tom. 1. -chap. 9. >>

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<«< Ainsi, dit encore Boullenois, page 239, avec ce système de convention présumée, on va tout renverser. Les conjoints mariés et domiciliés dans la coutume de Paris, qui leur défend de se donner autrement que par don mutuel, et de se donner d'autres biens Pusufruit des conquêts, ne pourraient pas se donner les biens situés en coutumes qui leur permettraient des avantages plus libres et plus étendus, parce que la soumission à la coutumé de Paris, devenant convention, il faudrait nécessairement se conformer à cette coutume; et cependant s'il y a dans la

jurisprudence française, une maxime constante et irréfragable, c'est bien celle qui établit que le statut portant permission ou défense aux époux de s'avantager, est absolument réel : ainsi l'ont jugé des arrêts sans nombre. >>

Lors de la réformation des coutumes, qui eut lieu à la fin du seizième siècle, il fut fait beaucoup de changemens sur les gains statutaires de survie entre époux, et il y eut, à ce sujet, plusieurs procès, pour savoir si ces avantages seraient réglés par la coutume qui existait lors du mariage, ou par celle qui était en vigueur, lors de sa dissolution; mais les tribunaux jugèrent constamment que c'était la coutume nouvelle qui déterminait les droits du survivant des époux.

C'est encore Louet qui nous l'apprend, lettre C, §. 6. Voici ses expressions:

« Françoise Quentin fut mariée avec Pierre Pillet, en 1557, avant la réformation de la coutume de Touraine. Son mari décéda en 1584, après la réformation de la coutume.

>> Par l'ancienne coutume, le survivant avait la jouissance de tous les acquêts, moitié en propriété, moitié en usufruit, etiàm liberis ex quocumque matrimonio existentibus. Par la coutume réformée, la jouissance de ces acquêts n'appartenait au survivant, que pour la part des enfans du second lit et pendant leur puberté sculement.

» Question de savoir si l'on devait, pour les droits de survie de Françoise Quentin, s'en rapporter à la coutume qui était en vigueur, au tems de la célébration du mariage, ou suivre celle qui régissait les biens, l'époque de la mort de Pierre Pillet.

>> Pour le premier parti, on disait que les coutumes étaient comparées aux contrats, pour en avoir les mêmes effets: ut in contractibus tempus · contractús, ità in his statutis tempus statuti spectandum est; que les contractans ne pouvaient prévoir une réformation de coutume et une nouvelle loi; que, par 'e contrat de mariage, jus quæsitum erat; qu'on ne s'était pas donné la peine de stipuler ce que la loi municipale accordait; que la coutume réformée, futuris, non præteritis, dabat formam negotiis; qu'elle n'ôtait point un droit acquis par un contrat de mariage. subsistant de soi.

>> Mais ces raisons furent repoussées, et par arrêt rendu, à mon rapport, le 17 octobre 1587, il fut jugé, comme il l'avait déjà été par un

autre arrêt rendu en la même. coutume de Touraine, le 23 décembre 1580, que, quand les futurs conjoints contractent sous la loi du statut ou de la coutume, sans y avoir de stipulation expresse d'un douaire préfix, cela s'entend de la coutume qui aura lieu lors de la dissolution de la communauté, le droit n'en étant pas plutôt acquis. »

La question qui se présente aujourd'hui, est absolument la même : elle ne peut donc être jugée d'une manière différente.

Les coutumes et statuts ont été réformés, et même abolis, par le Code Napoléon; ce n'est donc plus par la coutume ou le statut qui était en vigueur, au moment du contrat de mariage, mais par le Code existant au moment du décès, que doivent être réglés les douaires et autres gains de survie, parce que ces droits n'ont été acquis qu'à l'instant du décès.

Les auteurs de la loi du 17 nivose an 2, reconnurent si bien que les dispositions absolues de cette loi, auraient compris dans l'abolition qu'elle prononce, les dons statutaires entre époux, que, pour conserver ces dons, ils consignèrent, à leur égard, une exception formelle dans l'article 13.

Ce n'est donc que l'exception portée en cet article, qui a maintenu pour les mariages antérieurs, la vigueur des anciennes lois relativement aux gains de survie non expressément stipulés.

Mais cette exception ne se trouve plus dans le Code Napoléon.

Mais la loi du 17 nivose a été entièrement abolie par la loi du 30 ven→ tose an 12, dont l'article 7 abroge expressément les lois romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou locales, les statuts, les règlemens, enfin toute la législation ancienne, sur les matières réglées par le Code; et cette abrogation est prononcée à compter du jour où chacun des titres dont le Code est composé, est devenu éxécutoire.

On ne peut donc plus, pour les mariages qui se sont dissous dépuis la loi du 3 mai 1803, invoquer le bénéfice des anciens statuts, pour attribuer au survivant des époux des gains de survie non stipulés. La loi du 3 mai qui remplace, dans cette matière, les anciens statuts, n'accordant au survivant des époux aucun gain de survie, sans stipulation expresse, il n'en est pas dû depuis cette loi, s'il n'en a pas été

stipulé.

Les époux qui se sont trouvés dans ce cas, n'ont pas à se plaindre : en

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