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§. II.

La femme mariée avant le Code Napoléon, sous l'empire d'une coutume qui lui défendait de tester sans l'autorisation de son mari, a-t-elle le droit de tester sans cette autorisation, et sans permission de justice, depuis la publication de la loi du 17 mars 1803 ( 26 ventose an il?)

Parmi les anciennes coutumes, il y en avait plusieurs, et notamment celles de Bretagne et de Bourgogne, qui ne permettaient pas à la femme de tester, sans l'autorisation de son mari.

L'article 1, chapitre 4, de la coutume de Bourgogne, disait expressément que la femme ne pouvait, « par testament, ni ordonnance de dernière volonté, disposer de ses biens, sans la licence et autorité de son mari. >>

Le Code Napoléon a statué, au contraire, conformément aux lois romaines, que la femme n'a besoin, pour tester, ni du consentement du mari, ni d'autorisation de la justice. (Art. 226 et 905.)

Mais cette disposition peut-elle s'appliquer aux femmes dont l'incapacité, à cet égard, se trouvait établie par le statut matrimonial? A-t-il pu être dérogé à ce statut, même pour l'avenir ? Le mari, en contractant sous l'empire d'une coutume qui prononçait cette incapacité, n'a-t-il pas dû compter que sa femme ne pourrait jamais tester, sans son autorisation? N'est-ce pas lui enlever un droit qui lui était acquis, et qui a pu entrer en considération pour le mariage, que de donner à sa femme la faculté de tester sans son autorisation, faculté dont elle peut user contre sa volonté, et même à son préjudice? En un mot, n'est-ce pas violer la loi sur la foi de laquelle les époux se sont mariés, et qu'ils ont voulu être leur règle, pendant toute la durée du mariage?

Cette question trouve sa décision dans les principes et les arrêts que nous avons rapportés, au précédent paragraphe.

On a vu que l'état des personnes est dans le domaine exclusif du législateur, qu'il est absolument indépendant des conventions, et qu'en conséquence une loi nouvelle peut, dès l'instant de sa promulgation et pour tous les actes postérieurs, modifier et changer, à l'égard de toutes sortes de personnes, la capacité ou incapacité civile qui résultait de la loi qu'elle abroge.

Le Code Napoléon a donc pu donner à la femme la capacité de faire, à l'avenir, un testament, sans l'autorisation de son mari, quoiqu'elle fût soumise à cette autorisation, par la loi antérieure ; comme il a pu la soumettre, pour l'avenir, à se faire autoriser par son mari ou par justice, dans les cas où elle en était dispensée par les lois précédentes.

Vainement on voudrait opposer un arrêt de la section des requêtes de la cour de cassation, du 19 janvier 1807, comme ayant jugé qu'à l'égard d'une femme mariée, la faculté de tester est irrévocablement réglée, tant que dure le mariage, par le statut sous l'empire duquel elle s'est mise, en

se mariant.

Dans l'espèce sur laquelle est intervenu cet arrêt, il s'agissait de savoir si une femme à qui le statut matrimonial défendait de tester sans l'autorisation de son mari, avait pu tester sans cette autorisation, en vertu du statut d'un nouveau domicile qu'elle avait acquis après sa séparation de corps. Cette femme avait testé et était morte, long-tems avant la publication du Code Napoléon.

La cour de cassation a bien décidé que la séparation de cette femme d'avec son mari, et la fixation qu'elle avait faite de son domicile dans un pays où il était permis de tester sans autorisation, n'avaient pu la soustraire à l'empire du statut personnel qui avait fixé irrévocablement, pendant la durée du mariage, son incapacité de tester sans l'autorisation de

son mari.

Mais il résulte seulement de cet arrêt, que la femme n'avait pu se soustraire d'elle-même, et par sa propre volonté, au statut auquel elle s'était soumise en se mariant: il n'en résulte pas qu'une loi nouvelle n'aurait pu faire cesser ce statut, même à l'égard de la femme qui s'y était expressć

ment soumise.

Cette distinction nous ramène aux principes que nous avons établis dans le paragraphe précédent.

Sans doute, des époux ne peuvent se délier eux-mêmes des engagemens qu'ils ont contractés par leur contrat de mariage, même en ce qui concerne leur capacité civile: entr'eux, leurs conventions sont des lois qu'il ne leur est pas permis de rompre.

Mais le législateur peut rompre ou modifier ces engagemens, dans tout ce qui concerne l'état des personnes et leur capacité civile, parce qu'il est

incontestable que cet état, cette capacité et toutes les qualités civiles per sonnelles, dérivent, comme nous l'avons déjà fait observer, d'institutions sociales qui ne sont pas à la disposition des individus, mais à la disposition de la société générale, et qu'en conséquence le législateur seul a le droit d'établir, de modifier, d'abroger, nonobstant toutes conventions, et suivant qu'il le juge convenable pour le bien de la société et pour l'ordre public.

Si ce principe ne pouvait s'appliquer à une femme qui se serait soumise, en se mariant, à un statut dont la disposition lui prohibait de tester sans l'autorisation de son mari, il ne pourrait pas, non plus, s'appliquer à la femme qui se serait mariée et aurait stipulé ses conventions matrimoniales, sous l'empire d'un statut dont la disposition lui permettait d'ester en jugement, d'administrer ses biens, et même de contracter, sans l'autorisation de son mari : il est évident que, dans l'un comme dans l'autre cas, les conventions matrimoniales devraient avoir la même force et produire les mêmes effets.

Il en résulterait donc que les divers articles du Code Napoléon, qui ont soumis, dans tous les cas, la femme à l'autorisation maritale, ne devraient être appliqués à aucune des femmes qui, avant le Code, se seraient mariées sous l'empire des statuts ayant des dispositions différentes..

Ainsi, ces femmes pourraient encore s'obliger sur leurs biens paraphernaux, et même les aliéner, sans l'autorisation de leurs maris : celles qui étaient marchandes publiques, ou séparées de biens, pourraient également,, sans avoir besoin de cette autorisation, s'obliger, aliéner, ester en juge

ment.

Mais on a vu que le contraire a été expressément décidé par les arrêts mêmes de la cour de cassation..

On ne pourrait donc, sans tomber dans une inconséquence évidente, adopter cette décision, et cependant soutenir que la femme ne peut aujourd'hui tester sans l'autorisation de son mari, lorsqu'elle s'était mariée sous l'empire d'une coutume qui la soumettait à cette autorisation..

AVANTAGES ENTRE CONJOINTS.

Suivant les anciens usages des Romains, la femme était tellement sous l'asservissement de son mari, qu'ils n'étaient considérés que comme une seule personne, et, en conséquence, il ne pouvait y avoir entre eux aucuns avantages.

Mais, par la suite, cette législation s'étant adoucie, les avantages entre époux furent permis, sous la condition cependant qu'ils seraient toujours révocables.

Ainsi, dans les pays de droit écrit, les époux ponvaient se donner respectivement, même après le mariage, la totalité de leurs biens, sous la seule réserve de la légitime en faveur de ceux qui avaient droit de la réclamer.

Ils pouvaient se donner, soit par testament, soit par acte entr-evifs. Mais la donation, quoiqu'elle fût faite entre-vifs, était essentiellement révocable, et ne produisait conséquemment d'effet que dans le cas où le conjoint donateur décédait, sans l'avoir révoquée.

Elle valait done, en ce cas, comme testament, et il ne fat pas dérogé à cet égard, par les articles 3 et 4 de l'ordonnance de 1731; l'article 46 de cette ordonnance ayant formellement excepté de ses dispositions, les dons entre époux.

C'est ce qu'enseigne Furgole sur l'article 4.

« Quoique cet article, dit-il, soit conçu en termes généraux, et que par conséquent il semble comprendre les donations entre mariés, consmais tante matrimonio, qui ne valent pas comme donations entre-vifs, seulement comme donations à cause de mort, l. 10 et 25, Cod. de donat inter vir. et uxor. ; toutefois il n'a pas lieu pour ces sortes de donations, parce qu'elles sont nommément exceptées par l'art. 46. »

Dans les pays coutumiers, il était admis, en général, que le mari et la femme ne pouvaient s'avantager directement ni indirectement, de quelque. manière que ce fût, si ce n'est par don mutuel.

L'article 282 de la coutume de Paris, contenait, à cet égard, une disposition formelle, et formait le droit commun..

Quelques coutumes, cependant, avaient permis aux conjoints de se faire respectivement des avantages, même à titre singulier, c'est-à-dire sans que l'avantage fût mutuel..

Dans les unes, comme celle de la Marche, il était permis au mari et à la femme de tester l'un en faveur de l'autre, jusqu'à concurrence du tiers de leurs biens.

Dans d'autres, comme en Auvergne, le mari pouvait tester en faveur de sa femme, et non la femme en faveur de son mari.

Ici, la disposition ne pouvait porter que sur certains biens: là, il fallait que les époux se fussent expressément réservé par leur contrat, la faculté de s'avantager pendant le mariage.

Il existait sur cette matière une très-grande variété entre les coutumes qui n'étaient pas prohibitives. (Voyez Pothier, Traité des Donations entre mari et femme, no. 7 et suivans. )

Mais la prohibition, sauf le cas de don mutuel, formait, comme nous l'avons déjà dit, le droit commun dans les coutumes qui n'avaient pas de dispositions contraires.

Cependant cette prohibition était purement locale : c'était un statut réel, ainsi que l'attestént Dumoulin, d'Argentrée, Chopin, Boullenois Voet, et que l'ont constamment décidé les arrêts.

En conséquence, la prohibition ne s'étendait que sur les biens qui étaient situés dans le ressort des coutumes prohibitives, et non sur ceux qui étaient situés dans le ressort des coutumes où les avantages étaient permis.

En sorte que les époux domiciliés sous l'empire d'une coutume prohibitive, pouvaient s'avantager des biens situés dans le ressort des autres coutumes où la prohibition n'avait pas lieu.

Mais comme le mobilier était toujours régi par la coutume du domicile, la disposition du mobilier était nulle, si la coutume du domicile était prohibitive, et le mobilier ne pouvait être pris sur les immeubles situés dans le ressort des coutumes où la disposition eût été permise.

Il a même été jugé par arrêt de la cour de cassation, du 2 juin 1806, qu'un legs de deniers, fait entre époux domiciliés dans un pays où la loi leur défendait de s'avantager, ne pouvait être exigé sur les immeubles que le testateur avait laissés dans un autre pays où les époux pouvaient se faire tous avantages.

« Attendu, porte l'arrêt, que, bien que la dame Talaru eût des immeubles en pays de libre disposition, et que le legs de 125,000 liv. fait à son mari, fût à prendre sur tous ses biens, elle avait son domi

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