Images de page
PDF
ePub

Le tribunal civil de l'arrondissement de Lisieux et la cour d'appel de Caen, déclarèrent cette renonciation tardive et nulle, et condamnerent la dame Brière, représentant la veuve Mahieu, à acquitter les dettes et charges de la succession.

La dame Brière crut trouver dans ces décisions, une violation de la loi du 17 nivose an 2, et se pourvut en cassation.

Il est très-vrai, disait-elle, que la coutume de Normandie accordait à la femme des droits sur les biens mobiliers de son mari décédé, que ces droits lui étaient conférés à titre de succession, qu'elle était héritière, et, comme telle, tenue de payer les dettes, ainsi que les autres héritiers, et qu'enfin elle devait renoncer dans un délai déterminé : ces principes sont établis par les art. 392 et 394 de la coutume, 81, 82 et 83 du règlement de 1666: on ne peut les nier.

Ainsi, dans l'ancien ordre de choses, l'arrêt de la cour d'appel de Caen, aurait eu bien jugé et aurait été inattaquable.

Mais la succession du sieur Mahieu ne s'est ouverte que le 19 prairial an 5, et à cette époque était intervenue la loi du 17 nivose, qui changeait

tout.

Par cette loi, les législateurs s'étaient attachés à ramener les divers systèmes de succession, à un mode uniforme, en abrogeant toutes les distinctions, tous les priviléges, tous les droits établis par les coutumes, et qui semblaient sortir de la ligne commune et naturelle. L'article 61 ne permet pas de consulter d'autres règles que celles qui sont tracées par cette loi elle-même.

Or, nulle disposition de la loi du 17 nivose, n'accorde à l'épouse survivante, un droit d'hérédité sur la succession de son mari.

On ne peut donc lui en attribuer.

Avoir fait revivre les dispositions de la coutume, c'est avoir violé les dispositions de la loi du 17 nivose, et du décret interprétatif du 9 fructidor suivant, qui confirme l'abolition prononcée par l'article 61 de cette loi.

La cour de cassation n'adopta pas ces moyens. Le 4 août 1806, elle rendit, sur le rapport de M. d'Outrepont, et les conclusions de M. Jourde, un arrêt dont voici le texte : « Attendu que le droit que la coutume de Normandie donne à la veuve dans la succession de son mari, doit être

considéré comme un avantage matrimonial que la loi du 17 nivose an 2 n'a point aboli, rejette, etc.

La cour de cassation a encore décidé de la même manière, par un autre arrêt du 27 germinal an 12, que nous allons bientôt rapporter.

On ne peut donc pas plus prétendre aujourd'hui, qu'on ne le pouvait sous l'empire de la loi du 17 nivose, que les droits de cette nature sont de véritables droits successifs, qui ne doivent pas être régis comme les, avantages matrimoniaux.

Enfin on invoque, pour l'abolition générale des gains de survie statutaires, la jurisprudence du parlement de Paris, à l'époque de la réformation des coutumes, qui eut lieu sur la fin du 16°. siècle.

Nous pourrions bien faire observer à cet égard, qu'alors il ne s'agissait pas, comme aujourd'hui, de l'abolition totale des gains de survie statutaires, et que la réformation des coutumes n'apporta que de légers changemens sur la quotité et les effets des douaires.

Mais comme cette observation ne pourrait être qu'un moyen de considération, nous n'y insisterons pas, et il suffira, sans doute, d'opposer à l'ancienne jurisprudence duparlement de Paris, la jurisprudence nouvelle et de notre cour de cassation et de nos cours d'appel.

Déjà, plusieurs fois, la cour de cassation a formellement décidé que les avantages entre époux, qui résultaient des coutumes, étaient de même nature que ceux qui provenaient des dispositions expresses, qu'ils étaient également irrévocables, stipulés de même, et qu'ils devaient avoir la même force et les mêmes effets.

Déjà trois cours d'appel, en adoptant les mêmes principes, ont décidé in terminis, qu'entre époux qui s'étaient mariés avant la publication de la loi du 17 nivose an 2, le survivant avait le droit de réclamer les gains de survie purement statutaires, dans la succession du prédécédé, ouverte postérieurement à la publication de la loi du 3 mai 1703.

Nous allons rapporter ces arrêts, et les espèces sur lesquelles ils sont

intervenus.

L'art. 13 de la loi du 17 nivose an 13, avait bien maintenu les avantages singuliers ou réciproques, stipulés entre les époux encore existans, ou qui se trouveraient établis dans certains lieux par les coutumes, statuts ou usages; mais il avait ordonné en même tems que ces avantages seraient, en cas d'existence d'enfans, réduits à un simple usufruit des biens donnés.

,་

Cependant la loi du 18 pluviose an 5, qui eut pour principal objet de régler le rapport des dispositions retroactives de celle du 17 nivose, statua par son art. 1er., que les avantages, donations entre-vifs et autres dispositions irrévocables de leur nature, légitimement stipulés entre individus non parens, antérieurement à la publication de la loi du 5 brumaire an 2, auraient leur plein et entier effet, conformément aux anciennes lois, tant sur les successions ouvertes, que sur celles qui s'ouvriraient à l'avenir.

Alors s'éleva la question de savoir si les avantages entre époux, qui ne résultaient que des coutumes, statuts ou usages, étaient réellement des dispositions irrévocables de leur nature, et si en conséquence ils étaient entièrement exigibles, conformément aux coutumes, usages ou statuts dont ils résultaient, sans être réductibles au simple usufruit des biens, conformément à la seconde partie de l'art. 13 de la loi du 17 nivose, si d'ailleurs les époux s'étaient mariés avant la loi du 5 brumaire précédent. Cette question se présenta dans l'espèce suivante :

Marguerite Cloes, veuve d'Antoine Pultzeis, épousa en secondes noces Arnold Boes, avant la publication des lois des 5 brumaire et 17 nivose

an 2.

Il n'y eut pas de contrat, et le mariage fut contracté sous l'empire de la coutume du comté de Looz, pays de Liége.

Cette coutume accordait au survivant des deux époux, la propriété de tous les meubles de la communauté.

Marguerite Cloes décéda, après la publication de la loi du 17 nivose, dans le pays de Liége, et laissa plusieurs enfans qu'elle avait eus de son premier mariage avec Antoine Pultzeis.

Ces enfans demandèrent le partage des meubles de leur mère. Arnold Boes prétendit que ces meubles lui appartenaient en toute propriété, et non pas seulement en usufruit, attendu que l'avantage dont il devait, comme époux survi ant, jouir, aux termes de la coutume de Looz, étant irrévocable de sa nature, se trouvait maintenu indéfiniment par l'art. 1o. de la loi du 18 pluviose an 5.

Ainsi s'éleva la question de savoir si cet avantage avait été acquis dès l'instant du mariage, et s'il ne devait pas être, sous ce rapport, régi par la loi qui était alors en vigueur, ou s'il devait être considéré comme un simple gain de survie éventuel et incertain, comme un droit successif ou héréditaire, qui ne pouvait être réglé que par la loi existante lors du décès du prémourant des époux.

Le 12 thermidor an 10, jugement du tribunal de première instance de Hasselt, qui adjuge aux enfans Pultzeis leur demande.

Le 26 messidor an 11, jugement du tribunal d'appel de Liége, qui déclare, au contraire, ces enfans non-recevables, sur le fondement «< que les avantages accordés au survivant par la coutume de Looz, sont irrévocables de leur nature, et que, suivant la disposition de l'art. 1o. de la loi du 18 pluviose an 5, ces avantages doivent être maintenus, tout comme s'ils avaient été stipulés par un contrat de mariage, puisque les époux, en contractant mariage, sans régler leurs droits par des conventions expresses, sont censés adopter la disposition de la coutume à cet égard.»

Pourvoi en cassation, fondé sur une violation de l'art. 13 de la loi du 17 nivose an 2, et sur une fausse interprétation de l'art. 1°. de celle du 18 pluviose an 5.

On va voir que les enfans Pultzeis employèrent précisément les mêmes moyens dont on fait usage aujourd'hui, pour faire prononcer l'abolition des gains de survie statutaires.

L'avantage, dirent-ils, qu'accorde la coutume de Looz à l'époux survivant, est un droit purement successif; cette coutume le dit expressément: conjuges lossenses sibi succedunt in mobilibus.

En effet, cet avantage n'est pas acquis à l'un des époux, pendant leur vie ; il est éventuel, il ne s'ouvre que lors du décès du prémourant ; alors seulement l'un des époux reste saisi des meubles de l'autre, et en devient propriétaire.

Il est vrai que la coutume lui en attribue la propriété, pleno jure; mais quel sens faut-il attribuer à ces mots? Ils signifient qu'à l'époque du prédécès, l'époux survivant est, de plein droit, propriétaire des meubles du prédécédé, et qu'il peut en disposer, sans avoir besoin de remplir aucune formalité, ni d'obtenir aucun envoi en possession; mais ces mots, ainsi entendus, ne changent pas la nature du droit.

Les avantages établis par les anciennes lois, en faveur des aînés, leur étaient aussi attribués ipso jure, et pourtant le législateur a considéré ces avantages comme des droits successifs, et non pas comme des droits matrimoniaux.

Nul doute qu'on ne doive envisager sous le même point de vue, l'avantage accordé par la coutume de Looz, à l'époux survivant, et si cet avantage est un droit de succession, nul doute encore qu'il ne doive être réglé

· par la loi existante lors du décès du prémourant; car il est de principe que le préciput légal, le gain de survie, en un mot tout avantage à cause de mort, sc règle par la loi du domicile des époux, au moment du décès du prémourant.

Ce principe a été consacré par un arrêt du 17 octobre 1587, rapporté par Louet, dans ses arrêts notables, lettre C, uo. 6.

Pothier professe le même principe : il dit, dans son traité de la communauté, no. 415, que le préciput légal, qui peut être assimilé à l'avantage établi par la coutume de Looz en faveur de l'époux survivant, n'ayant

point pour objet la matière de la communauté, mais étant plutôt une espèce de gain de survie, déféré au survivant par le prédécès de l'autre, c'est la loi en vigueur à l'époque de ce prédécès, que les parties doivent suivre, pour se régler à l'égard de ce préciput.

Or, Marguerite Cloes est morte sous l'empire de la loi du 17 nivose laissant des enfans de son précédent mariage, et conséquemment l'avantage accordé à son second mari par la coutume de Looz, doit être réglé, non par cette coutume, mais par l'art. 13 de la loi du 17 nivose, qui le réduit à un simple usufruit.

L'art. 1o. de la loi du 18 pluviose an 5, n'est pas applicable à l'epèce, ajoutaient les enfans Pultzeis.

Cet article ne maintient que les avantages et autres dispositions, irrévocables de leur nature, légitimement stipulés.

Ici, point de stipulation, point d'avantage promis ni stipulé, point de disposition expresse, point de disposition irrévocable de sa nature.

Il ne s'agit que d'un avantage coutumier, d'un droit éventuel.

Ce droit était si peu irrévocable, qu'Arnold Boes aurait pu rendre sans effet la disposition de la coutume de Looz qui l'établit, soit en aliénant tout le mobilier de la communauté, soit en changeant son domicile, et en allant se fixer so s l'empire d'une autre coutume.

La réponse à tous ces moyens se trouve dans l'arrêt même rendu par la section des requêtes de la cour de cassation, le 27 germinal an 12, et dont voici le texte :

<<< Attendu que la coutume de Looz, sous l'empire de laquelle le mariage d'Arnold Boes avait été contracté, donnait à l'époux survivant, la propriété des meubles du prédécédé; qu'il ne faut pas confondre les

« PrécédentContinuer »