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qu'on ne peut créer une nouvelle classe d'emphytéotes, contre l'intention de celui qui a fait le bail emphytéotique.

» Que ces bases posées, il n'y a lieu à appliquer à l'espèce, ni l'art 752, ni l'art. 745 du Code civil; que ces lois, relatives à la matière des successions, sont étrangères au cas particulier dont il sagit: car les frères Beltrami n'acquièrent pas l'emphyteose en question, en qualité d'héritiers légitimes de leur père, qualité qui, certes, ne leur attribuerait pas le droit d'y succéder exclusivement à leurs soeurs; mais ils viennent comme seuls appelés, en vertu d'un titre constitutif de l'empbytéose, par conséquent ex pacto et providentiá. Cela est si vrai que, d'après l'ancienne législation du Piémont, ils n'auraient pu, s'ils avaient été simples légitimataires, être obligés d'imputer lesdits biens emphyteotiques sur leur légitime, et d'après même les dispositions du Code civil, art. 843, ils ne seraient pas tenus au rapport, lequel, aux termes dudit article, n'a lieu que relativement à tout ce qu'un héritier a reçu du défunt. Dans l'espèce, les frères Beltrami ne reçurent pas les biens dont il s'agit du défunt, mais dans le vrai sens légal du terme, ils les ont reçus, ils les ont reçus, à leur tour, de la main du titulaire du bénéfice qui a établi l'emphytéose. Il est bien vrai que l'ouverture à la vocation, n'a eu lieu à leur profit qu'après le décès du père ; mais autre chose est un droit de succession, autre chose est une simple transmission de biens, qui s'opère per remotionem obstaculi, dès lors que celui qui procédait dans l'ordre de vocation, a cessé d'exister. C'est sous ee dernier point de vue qu'il faut, dans l'espèce, envisager la succession des frères Beltrami aux biens en question;

>> Qu'il est inutile d'opposer aux observations qu'on vient de faire, l'exemple de primogéniture, de fidéi-commis et de fiefs, biens qui ont été, avant la promulgation du Code civil, supprimés par des lois particulières d'où il suit nécessairement que les biens qui y avaient été anciennement assujettis, doivent suivre les lois des successions en général; mais aucune loi particulière n'a jusqu'à présent supprimé ces biens d'emphytéose: et ce serait sans doute faire violence aux termes des lois susdites qui ne portent que sur les biens de primogéniture, de fidéi-commis et de fief, que d'en étendre la disposition à des biens d'une nature différente, tels que les biens emphyteotiques dont la qualité dérive d'un contrat qui est une espèce de louage. Par cette raison, il a été décidé, il a été décidé, par arrêt de la cour de cassation, du 29 termidor an 10, que les lois des 17 juillet

et 2 octobre 1793, 7 ventose et 9 floréal an 2, suppressives des droits féodaux, n'étaient pas applicables aux redevances dues en vertu de bail emphyteotique;

» Que, si l'abolition de la distinction des biens, est tirée de l'art. 732 du Code civil, cet article reçoit son application à des biens d'une nature autre que celle des biens emphyteotiques dont il s'agit, qui, d'après la remarque précédente, ne doivent pas être compris dans la disposition dudit article. »

En conséquence, par arrêt du 11 thermidor an 13, la cour d'appel de Turin a débouté les sœurs Beltrami, de leur demande en partage des biens emphy téotiques.

M. le procureur général Merlin a requis, d'office, la cassation de cet

arrêt.

«Que la cour d'appel de Turin, a dit ce magistrat, ait bien jugé, en décidant que les sœurs Beltrami n'auraient eu aucun droit à ces biens, si leur père fût mort sous l'ancienne jurisprudence du Piémont, c'est ce ne paraît ni douteux, ni susceptible d'examen devant la cour de cassa

tion.

qui

Mais qu'elle ait jugé que l'ancienne jurisprudence du Piémont, sur cette matière, n'était pas abrogée à l'époque du décès de Sérénus Beltrami, et que les lois nouvelles n'assuraient pas aux filles de celui-ci, une part égale dans les liens qu'il avait possédés en emphytéose, c'est ce qui ne se conçoit pas.

L'art. 792 du Code Napoléon, ne lui permettait d'avoir égard, ni à la nature, ni à l'origine de ces biens, pour en régler la succession: elle ne pouvait donc pas exclure les sœurs Beltrami, du partage de ces biens, sous le prétexte qu'ils provenaient d'une emphyteose ecclésiastique.

Et vainement a-t-elle dit que ce n'était point par droit de succession, que ces biens doivent être déférés aux descendans de Sérénus Beltrami qu'ils ne devaient l'être que jure contractús; et que les termes du contrat du 1°. février 1747, entendus dans le sens fixé par la jurisprudence des arrêts, n'appelaient que les descendans mâles.

De deux choses l'une: ou de la clause de ce contrat, qui appelait les descendans mâles de Sérénus Beltrami, il était résulté un fidéi-commis, en vertu duquel Sérénus Beltrami, et chacun de ses successeurs, était

tenu de conserver les biens emphyteotiques dans la famille, jusqu'à la troisième génération, sans pouvoir les aliéner, ni en disposer; ou cette clause avait laissé à Sérénus Beltrami, et à chacun de ceux qui devaient lui succéder dans ces biens, la faculté de les rendre de les donner, d'en faire telle disposition qu'il jugerait à propos, sauf le droit du bailleur d'y rentrer, soit à titre de prélation, soit à titre de commise, soit simplement à l'expiration de l'empbytéose.

Au premier cas, l'effet de cette clause a cessé du moment que les fidéicommis ont été abolis en Piémont, et l'on sait qu'ils l'ont été par la loi de la consulta piémontaise, du 6 fructidor an 8.

«< Considérant (porte cette loi) qu'il est de l'essence d'un gouvernement libre de rappeler les biens à la liberté du commerce et lever tous les obstacles à la répartition de ces biens entre les citoyens, de la manière la plus légale possible..... Décrète : 1o. les biens de fidéi-commis et de primogéniture sont dissous. »

Il est vrai que, par l'art. 2 de la même loi, il a été sursis, jusqu'à ce qu'il y eût été pourvu par une loi ultérieure, à la faculté d'aliéner et d'hypothéquer les biens alors fidél-commissés. Máis ce sursis a été levé dès le 9 nivose an 9, par une loi de la commission exécutive, qui n'a laissé subsister la prohibition d'aliéner, qu'en faveur de ceux qui étaient appelés immédiatement après les possesseurs actuels, et dans le seul cas où ceux-ci n'au— raient pas d'enfans.

Au second cas, l'effet de la clause dont il s'agit, a été neutralisé par le Code Napoléon; et c'est une vérité facile à saisir.

Le Code Napoléon ne permet d'intervertir l'ordre des successions, que par des testamens, par des donations entre-vifs, et par des institutions contractuelles en faveur des personnes qui se marient ou de leurs enfans. à naître.

A ces exceptions près, ilrejette tout pacte, toute stipulation, dont l'objet serait de donner à un homme, un autre successeur que celui qui est désigné par la loi.

« On ne peut (dit-il, art. 1130) renoncer à une succession non ouverte, ni faire aucune stipulation sur une pareille succession, même avec: le consentement de celui de la succession duquel il s'agit. »

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Et il tient tellement à ce principe, il le regarde comme tellement sacré, qu'il y assujettit même les contrats de mariage. «Les futurs époux ( dit-il,

art. 1389) ne peuvent faire aucune convention dont l'objet serait de changer l'ordre légal des successions, soit par rapport à eux-mêmes dans la succession de leurs enfans ou descendans, soit par rapport à leurs enfans entr'eux. >>

Ainsi, vainement aujourd'hui une femme, en se mariant, stipuleraitelle, comme on le faisait autrefois, qu'une somme d'argent qui compose son apport, demeurera propre aux siens de son côté et ligne : une telle stipulation n'aurait plus d'autre effet que d'exclure cette somme, de la communauté ; et elle n'empêcherait pas, comme autrefois, le mari qui viendrait à la succession de son enfant décédé après son épouse, de retenir cette somme, comme héritier de cet enfant, privativement aux collatéraux à qui l'ancienne jurisprudence la déférait.

Ainsi, et à plus forte raison, vainement aujourd'hui, l'acquéreur d'un immeuble, soit à titre de donation, soit à titre d'achat, prendrait-il envers son donateur ou son vendeur, l'engagement de le transmettre à ses enfans mâles, privativement à ses filles; un tel engagement ne conférerait à ses enfans mâles aucune espèce de droit.

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Comment donc pourrait-on encore aujourd'hui donner quelque effet à la clause du contrat d'emphytéose du 1°. février 1747, qui appelle les descendans mâles de Sérénus Beltrami, à l'exclusion de ses descendans femelles? serait-ce parce que ce contrat est antérieur au Code Napoléon? scrait-ce parce qu'à l'époque où il a été fait, il n'y avait rien dans cette clause, qui blessât les lois piémontaises sur l'ordre de succéder?

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Sans doute, cette circonstance serait décisive pour l'opinion qu'a embrassée la cour d'appel de Turin, si les descendans mâles de Sérénus Beltrami avaient été parties dans le contrat du 1. février 1747, et y avaient stipulé personnellement: on dirait alors qu'ils ont acquis, par ce contrat, un droit irrévocable à la possession exclusive des biens emphytéotiques; et le Code Napoléon n'aurait ni pu ni voulu les dépouiller de ce droit.

Mais niles descendans mâles de Sérénus Beltrami, ni Sérénus Beltrami lui-même, n'ont été parties dans ce contrat : ce contrat n'a été passé qu'entre le chanoine Luca et Barthélemy Beltrami, père de Sérénus; il n'a donc pas donné plus de droit à Sérénus Beltrami et à ses descendans mâlės, que n'en a donné aux parens collatéraux d'une femme mariée, sous l'empire des anciennes lois, la clause par laquelle, en se mariant, celle-ci a stipulé une

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somme d'argent, propre aux siens de son côté et ligne; et de même que, nonobstant cette clause, la somme ainsi stipulée propre, serait, dans une succession qui s'ouvrirait aujourd'hui, déférée à l'héritier désigné par le Code Napoléon; de même aussi, c'est aux filles, comme aux enfans måles de Sérénus Beltrami, décédé depuis la promulgation du Code Napoléon, que doivent appartenir les biens concédés en emphytéose à leurs aïeux

communs.

Autant, en effet, il est évident que le Code Napoléon respecte et maintient les droits acquis avant sa promulgation, autant il est clair que les simples expectatives, les simples espérances, qui existaient avant sa promulgation, ont cessé et se sont anéanties, à l'instant même où, par sa promulgation, il est devenu la loi commune, la règle uniforme de tous les droits à acquérir par la suite; et, encore une fois, les descendans mâles de Sérénus Beltrami n'avaient pas de droits acquis aux biens emphytéotiques de leur père, avant sa mort, ou ce qui est la même chose, avant la promulgation du Code Napoléon.

Mais, a dit la cour d'appel de Turin, ce serait violer le contrat d'emphytéose, au préjudice du bailleur ou de ceux qui le réprésentent, que d'admettre à prendre part aux biens emphyteotiques, une classe des descendans du premier emphytéote, qu'il a voulu en exclure.

Et quel préjudice lui causerait-on par-là? La cour d'appel de Turin ne s'explique point là-dessus; mais il est facile de pénétrer sa pensée. La jurisprudence piémontaise enchérissant sur le chapitre 3 de la Novelle 7 de Justinien, qui avait limité la durée des emphyteoses ecclésiastiques à trois degrés, composés chacun d'une seule personne, interprétait les trois générations auxquelles était accordée une emphyteose ecclésiastique, en ce sens que, pour que le bien emphyteotique retournât au bailleur, il fallait attendre la mort du dernier rejeton de toutes les branches de la troisième génération du preneur. Generatio (dit Richeri dans son recueil d'arrêts du sénat de Turin, tom. 4, pag. 997) filios omnes complectitur adeoquè si primus emphyteusis acquisitor tres filios habuerit ad quos bona emphyteutica in viriles portiones pervenerint, emphyteusis, licet in uná lineá tertiam generationem compleverit, non tamen ad directum dominum fundus revertitur, donec in cæteris quoque generantis lineis tertius gradus completus sit, ad quos transit, id est, de lineá in lineam, datá utique prælatione illis qui sunt in lineá ingressa; doc

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