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vie, laquelle pension le testateur ne fixe pas, attendu qu'il connaît la délicatesse de son héritier ci-après nommé, sur un pareil objet, et qu'il est persuadé d'avance qu'il fournira aux besoins de l'enfant ou enfans à naître, une pension honnête. »

L'héritier nommé est le frère du testateur.

Le 3 février 1781, la demoiselle Oddos met au jour une fille qui n'est baptisée que sous les noms d'Anne-Rose, née de parens inconnus. Le 10 septembre suivant, transaction sous seing privé entre Gabric! Déodaty et la demoiselle Oddos, dans laquelle on lit:

« 1o. La demoiselle Oddos emmènera sa fille Rose; 2o. la mère pourvoira à la subsistance et à l'entretien de sa fille, sur les pensions à elle assurées par M. Déodaty; mais du moment que sa mère me la remettra pour avoir soin de son éducation, je la recevrai et me chargerai dès lors de tous les frais de son entretien. >>

Dans quelques lettres postérieures écrites à la mère et à la fille, Gabriel Déodaty appelle Anne-Rose, son enfant, sa fille.

Dans une note écrite de sa main, on lit : « J'ai fait mon testament, le 27 septembre 1781; je l'ai déposé chez Dejean, notaire; voici la copie de l'article qui regarde ma fille: je laisse à ma petite fille naturelle, née le 3 février 1781, et baptisée à Saint-Ferrol, le 8 du même mois, sous le nom d'Anne-Rose, quatre cents francs de rente annuelle, et je la recommande à mon frère. »

Il s'agit, dans cette note, d'un second testament mystique, déposé dans le tems chez un notaire, et retiré de suite.

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Une autre note, également écrite de la main de Gabriel Déodaty, était ainsi conçue : « J'ai fait encore à cet enfant un placement en viager, de cent vingt francs, chez Chay, et cent soixante francs chez Ailhaud. Mon frère fera davantage, s'il le croit juste, déclarant que cet enfant être à moi ; mais que l'inconduite de sa mère m'a persuadé du contraire; c'est pourquoi je la fis baptiser, comme venant de père et mère inconnus. >> En l'an 4, la demoiselle Oddos forma, au nom de sa fille, une demande en dotation, contre Gabriel Déodaty.

Cette demande acheva d'aigrir Déodaty contre la mère et la fille : le 15 brumaire an 5, il souscrivit, chez Dejean, notaire, un acte par lequel il déclare n'être point le père de la fille de Jeanne Oddos, née le 3 février. 1781, et qu'elle avait fait baptiser sous le nom d'Anne-Rose.

Il meurt en l'an 12, et, bientôt après, Anne-Rose, devenue femme Caussc, se pourvoit contre l'héritier légitime, pour obtenir la moitié de la succession, aux termes de l'art. 757 du Code Napoléon, et de la loi du 14 floréal an 11.

Le tribunal de Marseille ayant adopté sa demande, l'héritier légitime interjette appel, et développé ainsi ses moyens.

La dame Causse n'a pas, dans le testament du 6 novembre 1780, la preuve exigée par l'art. 354 du Code, parce que cet acte, authentique il est vrai, est antérieur à la naissance de l'enfant, tandis que la loi a évidemment entendu que la reconnaissance fût faite dans un acte postérieur. Tel est le résultat et de la lettre et du sens de la loi.

La lettre; car l'article dit, en effet, que la reconnaissance sera faite par un acte authentique, lorsqu'elle ne l'aura pas été par l'acte de naissance; donc la loi a entendu qu'on ne put suppléer au silence de l'acte de naissance, que par des actes authentiques postérieurs à celui-là.

Le sens ; le but du législateur ne serait pas rempli par une preuve telle que celle qu'on offre en fait : le testament reconnaît seulement un enfant à naître.

L'enfant, une fois né, n'a jamais été reconnu; la dame Causse, qui se dit cet enfant, a été, au contraire, formellement désavouée par un acte authentique.

Ainsi, elle a contre elle une preuve positive et directe, et l'acte qu'elle invoque, ne fournit en sa faveur qu'une preuve incomplète, et dont l'application est incertaine, puisqu'elle dépend de la vérification de son identité avec l'enfant à naître, dont il était parlé dans cet acte.

Or, cette identité n'est justifiée par aucun acte authentique: on est obligé d'avoir recours à des indices, à des conjectures, à des notes, à des titres privés.

D'où il arrive qu'on tombe véritablement dans une recherche de la paternité, recherche que la loi a soigneusement prohibée.

En un mot, la loi a voulu, en pareille matière, s'en rapporter au père lui seul, et n'admettre d'autres preuves que celles qu'il aurait volontairement fournies lui-même dans un acte authentique.

Ici, a-t-il reconnu dans un acte de cette nature, Anne-Rose? Non, sans doute. Il a fourni, si l'on veut, par la déclaration précoce, insérée dans son testament, une forte présomption, un commencement

que Gabriel Déodaty, dans un acte public reçu par Déjean, notaire, le 15 brumaire an 5, l'a établie encore plus, en voulant la désavouer; qu'en vain, dans cet acte, il déclare n'être point le père de la fille, née de Jeanne Oddos, le 3 février 1781, et qu'elle avait fait baptiser sous le nom d'AnneRose; le désaveu tardif ne peut enlever à l'intimée l'état dont elle avait joui, et détruire la reconnaissance que son père naturel en avait faite, 6 novembre 1780, et qu'il n'était plus en son pouvoir de lui ravir. » La cour d'appel d'Aix a rendu encore la même décision, par arrêt du 3 décembre 1807, à l'égard de l'enfant naturel de Michel - Hilarion Etienne, matelot, timonier à bord de la frégate l'Incorruptible.

le

« Considérant, porte cet arrêt, que, conclure de la disposition de l'art. 334 du Code, qu'il ne peut pas y avoir lieu à une reconnaissance de paternité, avant la naissance de l'enfant, c'est supposer une conséquence que la loi n'eût pas manqué d'établir par une disposition expresse, si telle eût été sa volonté; que cette volonté ne saurait être présumée, d'abord parce qu'elle serait en contradiction manifeste avec cette règle du droit ancien, consacrée par l'art. 906 du Code, qui in utero est jam pro nato habetur, quotiès de commodis agitur: il suffit que l'enfant soit conçu, pour être capable de tous les avantages qui peuvent lui être faits après sa naissance; que cette volonté ne peut être présumée non plus, parce qu'il faudrait admettre que la loi a voulu interdire à un pèré prêt à expirer, la consolation d'assurer, avant sa mort, un état à T'enfant qui lui devra bientôt le jour. »

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La cour d'appel de Bruxelles a aussi, par arrêt du 12 janvier 1808 déclaré valable une reconnaissance d'enfant naturel, faite avant la nais sance de cet enfant, quoique le père eût survécu pendant cinq ans, et fût décédé postérieurement à la promulgation du Code Napoléon, sans

avoir réitéré la reconnaissance.

On ne peut dissimuler cependant que la décision des cours d'appel de Paris, d'Aix et de Bruxelles, no paraît pas conforme à la disposition textuelle de l'art. 554 du Code, puisque cet article, en exigeant que la reconnaissance soit faite par un acte authentique, lorsqu'elle ne l'aura pas été dans l'acte de naissance, semble dire assez clairement que l'acte de naissance est le premier acte dans lequel peut être faite la recnnasi

sauce.

Mais on peut répondre que réellement l'art. 334 du Code n'a pas prévu le cas où la reconnaissance serait faite avant la naissance de l'enfant naturel; qu'il ne s'est occupé que du cas le plus ordinaire, celui où la reconnaissance est faite après la naissance; que, s'il n'avait pas voulu ad-mettre la reconnaissance antérieure, il l'aurait expressément déclaré mais que sa disposition est seulement en termes impératifs pour le cas qu'il a prévu, mais non pas en termes prohibitifs pour les autres cas.

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On peut ajouter que la véritable intention du législateur a été de prescrire formellement que la reconnaissance d'un enfant naturel ne pourrait être faite que dans son acte de naissance, ou par un acte authentique, et que, par cette précaution salutaire, il a voulu écarter tous les actes sous seings privés qu'il serait trop facile, en semblable matière, de se procurer par des voies de séduction; mais que l'intention du législateur se trouve remplie, lorsque la reconnaissance antérieure à la naissance a été faite par un acte authentique.

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On peut ajouter encore que le législateur ayant adopté et consigné dans les art. 906 et 925 du Code, cette maxime tirée des lois romaines, qui in utero est, pro jàm nato habetur, quotiès de commodis illius agitur, il en résulte qu'il a admis la reconnaissance de l'enfant naturel qui était seulement conçu, puisqu'à cet égard il n'a pas prononcé de dérogation expresse au principe qu'il avait adopté.

que

On peut dire aussi que la reconnaissance antérieure à la naissance, ne peut pas plus que la reconnaissance postérieure, donner lieu à la recherche de la paternité, puisqu'il ne s'agit, dans l'un comme dans l'autre cas, de constater l'identité de l'enfant qui a été reconnu, et que l'es preuves à faire à cet égard, sont fort étrangères aux preuves de paternité. On peut dire, enfin, que, s'il fallait s'en tenir rigoureusement au texte de l'art. 334 du Code, dans l'interprétation qui ferait considérer l'acte de naissance comme le premier acte où puisse être faite la reconnaissance, il en résulterait qu'un homme qui serait atteint d'une maladie grave et qui verrait sa mort prochaine, ne pourrait reconnaître valablement un enfant naturel, seulement conçu, dont il saurait être le père, et que, s'il mourait avant la naissance de cet enfant, la reconnaissance qu'il aurait faite, se trouverait nulle et sans effet.

Mais nous avons déjà prouvé qu'on ne peut supposer à la loi une telle injustice que repoussent également et la nature et la morale.

de preuve; mais c'est une preuve entière et complète qu'on a besoin d'y trouver. Dès qu'elle est obligée d'aller chercher ailleurs, dans d'autres pièces et dans d'autres circonstances, pour la compléter, le vœu de la loi n'est pas rempli; il y a inquisition sur une paternité non reconnue. >>

La réponse que fit la femme Causse à tous ces moyens, va se trouver analysée dans l'arrêt de la cour d'appel d'Aix, que nous croyons utile de rapporter en entier,

<< Considérant, en droit, que l'article 334 du Code civil s'exprime ainsi....

» Que la dame Causse a été reconnue par feu Gabriel Déodaty, dans son testament du 6 novembre 1780, reçu par Dejean, notaire à Marseille; qu'elle l'a donc été par un acte authentique, un testament ayant par lui-même tous les caractères d'un pareil acte;

Que, quoiqu'à l'époque de ce testament, la dame Causse ne fût point née, elle n'en était pas moins capable de tous les avantages qui pouvaient lui être faits, et ce, d'après les anciens principes de droit qui établissent que, qui in utero est, jàm pro nato habetur, quotiès de commodis agitur : la disposition de l'art. 906 du Code civil, est l'expression et l'application des mêmes principes;

» Que la reconnaissance d'un enfant par son père naturel, est un bienfait et un avantage dont cet enfant est capable, quoiqu'il ne soit pas né et qu'il soit encore dans le sein de sa mère,

la

» Considérant que c'est sans succès que l'appelant a querellé la reconnaissance dont il s'agit, comme n'étant pas faite dans l'acte de naissance, ou dans un acte postérieur la loi, en ordonnant que reconnaissance d'un enfant naturel serait faite par un acte authentique, lorsqu'elle ne l'aurait pas été dans son acte de naissance, a disposé dans une hypothèse commune et ordinaire; mais elle n'a point entendu parlà, rejeter la reconnaissance qu'un père naturel pourrait faire de son enfant avant sa naissance, ct le priver par ce moyen, s'il était en danger de mort, ou s'il venait à mourir avant la naissance de son enfant, de la consolation de lui assurer un état, en le reconnaissant; ce serait calomnier la loi, de le supposer ainsi.

>> Inutilement l'appelant se prévaut encore de ce que les partics ne sont point dans cette hypothèse, puisque Gabriel Déodaty a survécu long

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