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naturels ont obtenus contre leurs pères et mères, soit pour faire reconnaître leur état, soit pour faire régler leurs droits définitifs ou provisoires?

Les héritiers légitimes des pères et mères qui ont souscrit ces conventions, ou contre lesquels ont été rendus les jugemens, sont-ils non recevables, en vertu de l'article 3 de la loi transitoire, à contester l'état et les droits des enfans naturels ?

Déjà il résulte bien clairement de tout ce que nous avons établi dans les précédens paragraphes, que l'article 3 de la loi transitoire ne peut s'appliquer, ni sous le rapport de l'état, ni sous le rapport des droits de l'enfant naturel, aux conventions et jugemens intervenus entre lui et ses père et mère.

Et d'abord, quant aux jugemens, nous avons démontré, dans le 2°. paragraphe, que seuls ils ne peuvent suffire ni pour établir l'état, ni pour conférer les droits, parce que l'état ne peut résulter que d'une reconnaissance libre et volontaire; et que, si l'état n'est pas acquis conformé ment au Code, l'enfant naturel ne peut réclamer les droits que le Code attribue aux enfans naturels légalement reconnus.

Quant aux conventions, si elles ont été faites par actes sous seings privés, il a été prouvé, dans le quatrième paragraphe, qu'elles ne sont pas valables, dans quelque tems qu'elles aient été faites.

Mais si les conventions ont été faites par actes authentiques, et qu'elles contiennent des reconnaissances formelles, libres et volontaires, des enfans naturels, alors c'est en vertu de l'article premier de la loi transitoire, que l'état se trouve établi conformément à l'article 334 du Code, et que les droits se trouvent fixés par les articles 756 et 757.

Ainsi, dans ce dernier cas, l'article 3 de la loi transitoire est inutile et indifférent dans les deux premiers, il est inapplicable.

Si l'on voulait prétendre aujourd'hui qu'une convention sous seing privé et même un jugement passé en force de chose jugée, intervenus entre un enfant naturel et son père ou sa mère, doivent être exécutés selon leur forme et teneur, quoiqu'il n'y ait pas eu de reconnaissance par acte authentique, il est évident que ce serait entièrement mécon¬ naître l'esprit de la loi transitoire et son véritable objet.

Nous avons déjà cité une foule d'arrêts, même de la cour de cassation qui ont jugé constamment que des conventions ou reconnaissances sous

seings privés de la part du père ou de la mère, que des jugemens qui ont reconnu l'état de l'enfant naturel, et qui même ont condamné le père ou la mère, sous le rapport des droits, ne doivent pas étre exécutés; qu'ils sont, au contraire, insuffisans sous le rapport des droits, comme sous le rapport de l'état ; qu'ils ne peuvent même, dans aucun cas, produire d'effet à l'égard du père dont la reconnaissance a dû nécessairement être authentique et purement volontaire; et qu'à l'égard de la mère, les conventions privées, émanées d'elle, et qui contiennent reconnaissance de l'enfant naturel, ne peuvent servir que de commencement de preuve par écrit, pour faire admettre la preuve de la maternité.

Au reste, la question que nous examinons en ce moment, se trouve décidée in terminis, par l'arrêt de la cour de cassation du 18 floréal an 13, intervenu sur la demande des enfans naturels de Philippe Richon, et dont nous avons rapporté l'espèce au paragraphe 2.

Dans cette affaire, il y avait des actes, même authentiques, dans les– quels le père avait reconnu ses enfans naturels, et avait fixé leurs droits, puisque, dans son testament mystique du 30 floréal an 2, il les avait institué ses héritiers universels, avec son fils légitime.

On prétendait en conséquence faire appliquer à ces actes émanés du père, la disposition de l'art. 3 de la loi transitoire du 14 floréal an 11 : c'était un des moyens de la demande en cassation, formée par les enfans naturels.

Mais voici comment s'est expliquée à cet égard la cour de cassation, dans les motifs de son arrêt qui a rejeté la demande.

« La cour, vu la loi transitoire du 14 floréal an 11, considérant que toutes les dispositions de cette loi doivent être entendues, de manière que chacune d'elles soit en harmonie avec le principe général posé dans l'article premier; que l'art. 2 en fournit la preuve, en même tems qu'il donne un exemple; que l'art. 3 n'y déroge que pour un cas particulier qui suppose des droits ouverts par le décès du prétendu père naturel, et ne s'entendre que peut des conventions et jugemens postérieurs à ce décès, par lesquels ces droits auraient été rappelés entre les héritiers du père naturel et les prétendans au titre de ses enfans nés hors mariage.... Considérant que, si l'art. 3 de la loi transitoire contient une exception à l'art. 1er. de la même loi, c'est parce que les conventions et les jugemens,

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dont cet art. 3 ordonne l'exécution, ayant eu lieu entre parties dont les droits étaient ouverts, ces partiés étaient devenues ALORS mattresses d'étendre ou de restreindre à leur gré ces mêmes droits, et qu'en souscrivant ces conventions, ou en laissant acquérir force de chose jugée à ces jugemous, elles se sont ainsi volontairement créé une loi spéciale, qu'il est sage de maintenir; mais que, hors ce cas d'exception, l'art. 5 3 de la loi transitoire est sans exception, et laisse au principe général toute sa latitude; considérant en fait que les sieurs Richon-Brassier et RichonGrammont ne sont pas dans ce cas d'exception, puisque tous les actes par eux invoqués, sont antérieurs au décès du sieur Philippe de Richon, et étrangers à son héritier légitime, etc.; rejette, etc. >>

Nous avons rapporté encore, au paragrahe 2, un autre arrêt de la cour de cassation, du 1o. messidor an 15, qui, pour ne pas admettre une transaction authentique par laquelle Jean Lalo avait reconnu son enfant naturel, et assuré des droits à cet enfant, dit expressément dans ses motifs; « qu'il est évident que l'art. 5 de la loi du 14 floréal an 11, n'est applicable qu'aux conventions faites entre l'enfant naturel et les héritiers de son père prétendu.»

Il est donc hors de doute qu'on ne doit pas appliquer l'art. 3 de la loi transitoire aux conventions, traités ou jugemens intervenus entre l'enfant naturel et son père ou sa mere; mais que ces conventions, traités et jugemens doivent être appréciés et réglés suivant la disposition de l'art. 1. de la loi, et de la manière que nous l'avons établi dans les précédens paragraphes.

Les héritiers légitimes peuvent donc en opposer la nullité, l'insuffisance; et si l'on disait qu'ils ne peuvent se soustraire à l'exécution ni des. conventions faites par le père ou la mère qu'ils représentent, en qualité d'héritiers, ni des jugemens rendus contre l'un ou l'autre, et qui ont acquis la force de chose jugée, ils seraient bien fondés, sans doute, à répondre qu'en repoussant ces conventions et ces jugemens, ils ne font qu'user du même droit dont pourrait user leur auteur lui-même, s'il vivait, puisqu'il ne serait pas lié par des reconnaissances qui ne sont pas consignées dans des actes authentiques, par des jugemens qui ne sont pas des reconnaissances libres et volontaires; et comme l'art. 3 de la loi transitoire ne serait pas applicable à son égard, ainsi qu'on vient de l'établir, il ne peut pas plus être applicable contre ses héritiers, sous le rapport des actes

et jugemens intervenus avec leur auteur; en un mot l'article n'est applicable contre les héritiers, pour les actes qu'ils peuvent avoir souscrits euxmêmes après le décès de leur auteur; que pour les jugemens rendus contre eux personnellement, après ce décès.

C'est ce qui se trouve encore tex tuellement décidé par les deux arrêts de la cour de cassation, qui viennent d'être cités et qui ont été rendus entre les héritiers légitimes et les cufans naturels, sur des conventions et des jugemens qui avaient eu lieu avec les pères de ces enfans.

II. Nous avons maintenant à examiner si les héritiers légitimes ne peuvent, dans aucun cas et même pour cause d'erreur de droit, réclamer contre les conventions qu'ils ont faites avec l'enfant naturel, ni contre les jugemens qu'il a obtenus contre eux, et qui ont acquis force de chose jugée.

On a vu qu'après la publication de la loi du 12 brumaire an 2, il y cut entre les jurisconsultes, et même entre les tribunaux, une grande division sur la question de savoir si l'état et les droits des enfans naturels dont les pères et mères n'étaient morts que depuis la publication de la loi, et avant l'émission du Code civil, devaient être réglés suivant les dispositions de cette loi, ou s'il fallait attendre que le Code civil eût été décrété, pour les régler conformément aux dispositions qu'il ferait sur cette matière.

On a vu que, pendant long-tems, le tribunal de cassation adopta la première opinion, et sans doute, d'après cette jurisprudence qui était aussi celle du plus grand nombre des autres tribunaux, les héritiers légitimes, induits en erreur, durcnt reconnaître l'état d'enfans naturels qui n'avaient pas de reconnaissances authentiques, mais qui prouvaient leur possession d'état, conformément à l'art. 8 de la loi du 12 brumaire : ils durent, par suite de la même erreur, délaisser à ces enfans naturels les droits fixés par l'art. 2 de la loi, ou bien condamnés de cette manière par des jugemens, ils se trouvèrent sans récours réels, et les jugemens passèrent en force de chose jugée, avant que le tribunal de cassation cût changé sa jurisprudence.

Ne serait-il donc pas juste d'admettre ces héritiers à réclamer pour cause d'erreur de droit, et de les faire jouir du bénéfice de l'art. 1°. dé la loi transitoire, pour tous les cas où l'état aurait été reconnu et les droits fixés, autrement que ne l'a disposé le Code Napoléon?

· Ce moyen fut en effet proposé et discuté, lors de la présentation du projet de loi, au mois de floréal an 11, et nous trouvons les motifs qui s'opposèrent à son admission, dans le discours prononcé au Corps législatif par M. Grenier, comme orateur du tribunat, le jour même où le projet de loi fut sanctionné.

« Cette disposition de l'art. 2, dit M. Grenier, est conforme à un principe de droit public qu'il n'est pas inutile de rappeler.

>> Lorsqu'une loi interprétative devient nécessaire, les contestations qui s'étaient élevées sur l'application de la loi obscure, et qui ne sont pas définitivement jugées, doivent l'être d'après la loi déclarative ou interprétative.

» Mais s'il y a eu des jugemens qui aient l'autorité de la chose jugée, alors les droits sont acquis aux parties; ils ne peuvent plus être sous l'empire du législateur; tout est consommé. On ne pourrait dépouiller de ces droits, sans tomber dans le vice de rétroactivité.

» Les mêmes motifs engagent à respecter les transactions ou autres conventions passées entre les parties intéressées : elles doivent se tenir à la loi qu'elles se sont faite. »

Ainsi l'art. 3 du projet fut adopté, tel qu'il avait été proposé, et comme sa disposition est générale, et sans aucune distinction, on ne peut aujourd'hui la soumettre à une exception, en décidant qu'elle ne s'applique pas aux conventions et aux jugemens qui ont le vice de l'erreur de droit introduite dans les premiers tems.

La question s'est présentée à la cour d'appel de Bordeaux, entre l'hé– ritier légitime et l'enfant naturel d'Antoine Berge.

Un jugement du 6 floréal an 10, avait ordonné le partage de la succession en deux lots égaux entre les parties, et avait nommé des experts à cet effet.

L'héritier légitime en demanda la rétractation, après la loi transitoire du 14 floréal an II, attendu que le Code civil n'accordait plus qu'un quart à l'enfant naturel, l'héritier légitime qui était en concours, se trouvant le frère du défunt.

Il soutenait qu'en principe on peut être relevé contre un jugement même auquel on a acquieseé, quand on réunit ces deux conditions, 1o. qu'on est tombé dans une erreur de droit ; 2°. qu'on ne cherche point à bénéficier.

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