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S. IX.

Lorsque, par un acte antérieur au Code Napoléon, le père ou la mère d'un enfant naturel a fixé ses droits à une portion plus considérable que celle qui est déterminée par les articles 757 et 758, doit-il y avoir lieu à réduction? si la succession dans laquelle s'exercent les droits, est échue postérieurement à la publication du Code, quelle doit être la réduction?

I. La première question se trouve textuellement décidée par l'art. 2 de la loi transitoire, pour les successions ouvertes dans l'intervalle de lapublication de la loi du 12 brumaire, à la promulgation du titre du Code, sur les successions.

On a vu dans le passage du discours de M. Treilhard, rapporté au paragraphe précédent, que l'objet de cet article a été, d'une part, de réduire à la quotité disponible, suivant le Code Napoléon, les libéralités excessives qu'avaient faites les père et mère de l'enfant naturel, en lui attribuant des droits plus considérables, et, d'autre part, d'élever les> dispositions trop parcimonieuses, au taux fixé au taux fixé par l'art. 761..

La même décision doit s'appliquer aux successions ouvertes sous l'empire du Code, non pas seulement par voie d'induction et parce qu'il y a mêmes motifs, mais parce qu'il est incontestable que l'état et les droits. de tous les enfans naturels dont les pères et mères ont survécu à la publication de la loi du 12 brumaire an 2, ou sont encore vivans, doivent être, en tous points, réglés par les dispositions du Code, nonobstant tous traités faits entre les pères et mères et les enfans. Ces traités doivent être toujours ramenés, dans leur exécution, à ce qui a été prescrit par le Code, ainsi que nous l'avons établi dans les deux précédens paragraphes.

L'article 958 du Code porte que les enfans naturels ne pourront, par donation entre-vifs ou par testament, rien recevoir au-delà de ce qui leur est accordé au titre des successions.

C'est sur le fondement de cet article, que la loi transitoire a réduit à la portion disponible, pour toutes les successions ouvertes avant le Code, les dispositions entre-vifs, ou testamentaires, faites en faveur des enfans

naturels reconnus, et cet article doit également s'appliquer, pour les successions ouvertes sous l'empire du Code, à toutes les dispositions de la même espèce.

II. On a prétendu que ces expressions de l'art. 2 de la loi transitoire, sauf la réduction à la quotité disponible aux termes du Code civil, ne devaient pas s'entendre de la quotité disponible en faveur des enfans naturels, aux termes des art. 757, 758 et 908 du Code, mais de la quotité disponible en faveur de tous autres individus, conformément aux art. 915, 915 et 916 du Code, en sorte que l'enfant naturel, en faveur de qui aurait été faite une disposition entre-vifs, ou testamentaire, et qui se trouverait en concours avec cinq enfans légitimes, ne devrait être réduit qu'au quart des biens du père, qui est la portion dont le père pouvait disposer, même en faveur d'étrangers, et non pas à la douzième portion, faisant moitié de la part qu'il aurait eue, s'il avait été légitime.

Mais cette prétention a été rejetée par arrêt de la cour d'appel d'Aix, du 18 thermidor an 12, rendu à l'égard de l'enfant naturel de Jean-Pierre Reynier, et le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par la section des requêtes de la cour de cassation, le 22 messidor an 15.

Cette question ne pent, au reste, se présenter pour les successions ouvertes sous l'empire du Code, puisque l'art. 908 porte expressément que les enfans naturels ne peuvent, par donation entre-vifs, ou par testament, rien recevoir au-delà de ce qui leur est accordé au titre des successions.

§. X.

La reconnaissance d'un enfant naturel a-t-elle été révocable de la part de son auteur, soit avant, soit depuis le Code? Doit-elle, malgré la révocation expresse et formelle par acte authentique, produire tous ses effets dans une succession ouverte sous l'empire du Code?

On sent mieux encore qu'on ne pourrait l'exprimer, que l'homme qui s'est une fois déclaré le père d'un enfant, n'est pas recevable à revenir contre son aven; que la paternité n'est pas un objet de caprice qu'il lui soit libre de prendre et d'abandonner à son gré; qu'après avoir déchiré lúi-même le voile que la nature avait jeté sur la conception, il ne peut plus repousser l'enfant dont il s'est avoué le père; que le jugement qu'il

L

a porté volontairement sur sa paternité, et qui lui fut inspiré par sa conscience, par les sentimens de la nature, est un arrêt en dernier ressort ́qu'il ne peut plus révoquer de sa propre autorité, sur de simples soupçons, ou de misérables motifs d'intérêt; et qu'enfin après avoir fixé le sort de son enfant, après lui avoir donné un état, il ne lui est plus permis de les lui enlever arbitrairement, et de se dégager ainsi des obligations qu'il a contractées à son égard.

Aussi voit-on que ni la loi du 12 brumaire, ni même le Code beaucoup moins favorable aux enfans naturels, n'ont autorisé une semblable révocation, et il suffit, sans doute, qu'elle n'ait pas été expressément autorisée , pour qu'en aucun tems elle n'ait été permise, parce qu'elle est évidemment contraire à la nature du contrat et même à la morale.

Le Code a voulu que la reconnaissance de paternité fût absolument libre et volontaire : il a voulu, pour mieux en assurer la vérité, qu'elle fût faite par acte authentique: il n'a même admis, pour le passé, que les reconnaissances qui avaient ce double caractère, et ces précautions prouvent assez clairement qu'il n'a pas entendu que la reconnaissance fût révocable.

C'est aussi ce qu'ont expressément décidé l'arrêt de la cour d'appel de Pau, du 5 prairial an 13, que nous avons rapporté, §. II, et l'arrêt de la cour d'appel d'Aix, du 10 février 1806, rapporté, §. III.

On a vu, dans l'espèce sur laquelle est intervenu l'arrêt de la cour d'appel de Pau, que Léon--François Picot se repentit d'avoir reconnu Jean-Baptiste, son fils naturel, et que, par testament du 27 floréal an 11, il révoqua formellement cette reconnaissance, tant à cause de l'immoralité de la mère lors de la conception, que de la terreur générale qui l'avait contraint à se déclarer père, et qu'en conséquence il institua, pour héritiers, ses enfans légitimes.

Dans la contestation qui s'éleva, les enfans légitimes ne manquèrent pas d'opposer cette révocation à la reconnaissance qu'invoquait l'enfant naturel; mais l'arrêt n'y eut aucun égard, et voici comment il s'explique sur ce point:

« Considérant que la reconnaissance faite par Léon-François Picot, est consignée dans un acte authentique, qu'il était en son pouvoir de ne pas la faire, mais qu'une fois qu'elle l'a été, elle a donné à Jean-Baptiste

Picot, un droit que Léon-François Picot n'a pu anéantir par un changement de volonté, contractus sunt initio voluntatis, sed, ex post facto, necessitatis; que ce ne serait que tout autant qu'elle aurait été arrachée par le dol, la violence, ou une crainte telle qu'elle aurait pu lui faire une impression qui l'aurait obligé à faire ce qu'il n'aurait pas fait dans d'autres circonstances, qu'il aurait pu la faire annuler par les tribunaux; mais qu'il n'a jamais pu la rendre inefficace, en manifestant, dans son testament, une volonté contraire. >>

La cour de cassation ayant rejeté le pourvoi contre cet arrêt, on doit en conclure qu'elle a également décidé qu'une reconnaissance d'enfant naturel n'était pas révocable.

On a vu encore dans l'espèce sur laquelle est intervenu l'arrêt de la cour d'appel d'Aix, que, le 15 brumaire an 5, Déodaty qui avait antérieurement reconnu Anne-Rose, sa fille naturelle, souscrivit, chez Dejan, notaire à Marseille, un acte par lequel il déclara qu'il n'était pas le père de cette fille, et qu'après sa mort, son héritier légitime invoqua cette révocation comme suffisante pour annuler la reconnaissance.

L'arrêt a rejeté ce moyen, et a donné pour motif, que le désaveu tardif, consigné dans l'acte du 15 brumaire an 5, ne pouvait enlever à la fille naturelle l'étai dont elle avait joui, ni détruire la reconnaissance que son père en avait faite volontairement, et qu'il n'était plus ert son pouvoir de lui ravir.

S. X I.

L'enfant naturel reconnu avant le Code Napoléon, mais dont la reconnaissance ne se trouve pas conforme aux dispositions du Code, peutil réclamer ce qui lui a été promis par son père ou par sa mère qui la reconnu?

S'il ne lui a rien été promis, peut-il exiger des alimens, lorsqu'il a été reconnu, avant la loi du 4 juin 1793?

I. On a vu que l'enfant naturel dont la reconnaissance n'a pas été faite par un acte authentique et volontaire, quelle que soit la date de cette reconnaissance, ne peut jouir, sous l'empire du Code Napoléon, de l'état d'enfant naturel légalement reconnu, et qu'en conséquence il ne peut réclamer les droits qui ne sont accordés par les art. 757 et 758 du Code, qu'aux enfans naturels légalement reconnus ; mais ne peut-il, au moins

réclamer ce que son père, ou sa mère, s'est obligé de lui payer, soit dans l'acte même qui contient la reconnaissance, soit dans un acte postérieur? Il nous paraît incontestable que ce droit acquis à l'enfant naturel par une convention expresse, ne peut lui avoir été ravi par la loi nouvelle.

Déjà nous avons eu occasion de faire observer que le Code n'avait pas annulé les reconnaissances antérieures qui ne se trouvaient pas conformes à ses dispositions, que seulement il ne leur avait pas accordé les mêmes effets qu'à celles qui avaient été faites volontairement et dans la forme authentique; mais que, si elles ne pouvaient conférer les droits établis le Code, elles n'en conféraient pas moins, encore sous l'empire du Code, les droits qui leur étaient attachés, ou par une convention expresse, ou par la législation qui était en vigueur au moment où elles. avaient été faites.

par

Il est évident, en effet, que le Code rétroagirait, s'il avait le pouvoir d'anéantir, dans leur forme ou dans leurs effets, des reconnaissances et des conventions qui étaient autorisées par les lois existantes au moment de leur confection.

Il faut dire la même chose desjugemens passés en force de chose jugée, qui ont fixé les droits des enfans naturels.

C'est ainsi que l'ont décidé l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens, du 11 floréal an 12, et l'arrêt de la cour de cassation, du 1o. messidor an 13, rapportés, au II §.

Ces deux arrêts ont bien déclaré insuffisantes pour conférer les droits attribués par le Code, des reconnaissances faites par des transactions sur procès; mais ils ont aussi déclaré que les sommes promises aux enfans naturels par ces transactions, devaient être acquittées.

« Considérant, porte l'arrêt de la cour d'Amiens, qu'Angélique-Apolline Frémont ne se prévalant et ne justifiant que des jugemens et de la transaction des 8 mars, 9 juillet et 23 novembre 1779, ne remplit aucunement le vœu de la loi, parce que ces actes ne peuvent produire d'autre effet que d'assurer à ladite Angélique-Apolline le nom de Frémont et une pension alimentaire limitée à huit années, et ne peuvent équivaloir à la reconnaissance par acte authentique, exigée par l'art. 534 du Code civil. »

« Attenda, porte l'arrêt de la cour de cassation, que, pour qu'une reconnaissance d'enfant naturel, ait les effets qu'ont voulu lui donner les

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