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tier présomptif, la donation à charge de rente viagère, ou la vente à fonds perdu, consentie à cet héritier, déguisait, presque toujours, une donation réelle, et que, ce déguisement n'était employé que pour éluder la prohibition légale.

Cependant, comme la loi du 17 nivose an 2, est la première qui ait expressément prohibé, à l'égard des héritiers présomptifs, les donations à charge de rentes viagères et les ventes à fonds perdu, on ne peut pas dire qu'un acte de cette nature dût être nécessairement annulé avant, la loi du 17 nivose.

On a déjà vu que ni les prohibitions ni les nullités ne peuvent se suppléer, mais qu'elles doivent être expressément écrites dans la loi.

Mais comme un principe établi doit être appliqué dans toutes ses conséquences immédiates, il faut convenir aussi que, dans les coutumes où les avantages à l'égard d'un héritier présomptif, étaient prohibés, soit généralement, soit pour une portion de biens, la prohibition s'étendait nécessairement à tous les actes quelconques qui pouvaient contenir un avantage défendu, quelles que fussent leurs dénominations et leur forme.

L'application du principe était donc dans le domaine des tribunaux. Ils avaient à examiner si la donation à charge de rente viagère, ou la vente à fonds perdu, consentie à un héritier, contenait réellement un avantage déguisé; et comme la présomption de fraude résultait déjà de la nature de l'acte et des qualités des parties, si elle était, d'ailleurs, fortifiée par d'autres circonstances, comme l'âge avancé du donateur ou vendeur, et la modicité de la vente, il était bien rare que les tribunaux pussent se dispenser de faire l'application du principe de la probibition.

Cependant on ne peut nier qu'ils n'eussent aussi le droit de maintenir l'acte, s'ils étaient convaincus qu'il n'y avait pas d'avantage réel, et que le donateur ou le vendeur, avait traité à des conditions aussi onéreuses avec son héritier présomptif, qu'il aurait pu le faire avec un étranger; car, toute espèce de transactions n'étaient pas prohibées avec les héritiers présomptifs, et ce principe se trouve rappelé dans l'article 55 de la loi du 22 ventose an 2.

Les tribunaux avaient le droit de maintenir l'acte, suivant les circonstances, et lorsqu'ils n'y trouvaient pas d'avantage prohibé, puisque les coutumes ne prononçaient pas expressément la prohibition des donations à charge des rentes viagères et des ventes à fonds perdu.

Mais ce droit, ils ne l'ont plus conservé à l'égard des actes de même nature, faits depuis la publication de la loi du 17 nivose an 2; cette loi les ayant expressément prohibés, il n'y avait plus lieu de rechercher s'ils contenaient, ou non, avantage réel.

Telle est donc la différence qui existait, à cet égard, entre les coutumes et la loi du 17 nivose, que les coutumes laissèrent à juger en fait, par les tribunaux, s'il y avait avantage prohibé dans les donations à charge de rentes viagères, dans les ventes à fonds perdu, au lieu que la loi du 17 nivose a elle-même décidé la question de fait, en prohibant formellement, comme avantages simulés, la donation à charge de rente viagère et la vente à fonds perdu, consenties à des héritiers présomptifs. Il était important de faire remarquer cette différence.

§. III.

Après la publication de la loi du 17 nivose an 2, les ascendans, les descendans et le conjoint d'un des héritiers présomptifs, devaient-ils être tous également considérés comme des personnes interposées, soit à l'égard des dons purs et simples, soit à l'égard des donations à charge de rentes viagères et des ventes à fonds perdu?

D'une part, on soutient qu'il résulte et de l'article 16 de la loi du 17 nivose, et de l'article 26, et de l'esprit de la loi toute entière, que les dons faits aux ascendans et au conjoint de l'héritier présomptif, sont prohibés, comme ceux faits aux descendans, parce qu'ils sont tous également des avantages indirects en faveur de cet héritier;

Qu'en effet, le législateur a formellement consigné dans l'art. 16, sa volonté de prohiber tous avantages en faveur de l'un des héritiers présomptifs, et que cependant il eût fourni lui-même les moyens de violer impunément sa volonté, s'il n'eût prohibé qu'une espèce de donations indirectes, s'il cût autorisé celles qui seraient faites en faveur des ascen'dans ou du conjoint du successible, puisqu'il devait bien prévoir qu'on ferait toujours usage de ces dernières, lorsqu'on voudrait avantager un des héritiers présomptifs ;

Qu'ains Particle 26 qui, pour donner plus de force à la prohibition générale établie par l'article 16, interdit les donations à charge de rentes viagères et les ventes à fonds perdu, faites en faveur de l'un de ses successibles, ou de ses descendans, doit évidemment s'appliquer, dans le

sens de l'article 16, aux ascendans et au conjoint de l'héritier présomptif, qui, dans la circonstance, doivent être considérés comme une seule et même personne avec lui.

D'autre part, on répond que, dans l'article 16 qui prohibe en général les avantages en faveur de l'un des héritiers présomptifs, le législateur n'ayant pas indiqué les personnes qui devraient être considérées comme personnes interposées, ce n'est, en effet, que dans l'article 26, qu'on peut trouver quelle a été sa volonté à cet égard; mais que, article 26, le législateur n'a désigné, comme personnes interposées, que les descendans de l'héritier, et non ses ascendans, ni son conjoint.

dans cet

On ajoute qu'il n'est pas permis d'étendre les prohibitions d'un cas à un autre, même par raison d'analogie, parce qu'elles sont de droit rigoureux, et qu'il n'appartient qu'au législateur lui-même de les prononcer.

On dit, enfin, que d'après la longue controverse qui avait eu lieu avant la loi du 17 nivose, sur l'étendue des prohibitions dans cette matière, on ne peut pas supposer que ce soit sans connaissance et sans intention, que le législateur ait borné aux descendans de l'héritier présomptif, la prohibition qu'il prononçait, et que, sans doute, il a été le maître, en admettant le système prohibitif, d'y mettre les bornes qu'il a jugées convenables. La première opinion a été consacrée par deux jugemens de la section civile du tribunal de cassation, des 28 ventose an 8 et 4 germinal

an 10.

Mais il existe deux jugemens absolument contraires, rendus par la même section, les 21 ventose et 18 fructidor an 9, et la question s'étant présentée, de nouveau, à la section des requêtes, elle y a été décidée, après la discussion la plus approfondie, d'une manière conforme à ces deux derniers jugemens.

Nous allons faire connaître les motifs sur lesquels ont été fondées ces décisions diverses, et il sera facile de juger quels sont ceux qui se concilient le mieux avec la loi.

Le 28 pluviose an 5, vente d'une maison par Lebatteur et sa femme, à Frédéric Osmont, mari d'une nièce du vendeur, et l'une de ses héritières présomptives: le prix fut fixé à une somme de 400 francs, une fois payée, et à une rente viagère de 800 francs : les vendeurs se réservèrent, en outre, l'usufruit de la maison.

Après la mort de Lebatteur, ses autres héritiers présomptifs demandé

rent que la vente fût déclarée nulle, comme frauduleusement faite en contravention à l'article 26 de la loi du 17 nivose an 2.

Leur demande fut accueillie par jugement du tribunal civil du département de la Seine-Inférieure, du 13 pluviose an 6.

Mais, sur l'appel, jugement du tribunal civil du département de l'Eure, du 23 messidor an 7, qui infirme, et qui déclare la vente valable, sur le fondement que la prohibition portée par l'article 26 de la loi du 17 nivose, ne s'étend pas au mari de l'héritière présomptive.

Le 28 ventose an 8, jugement du tribunal de cassation, au rapport de M. Rataud, et sur les conclusions de M. Lefessier, qui casse celui du tribunal civil de l'Eure. Voici ses motifs :

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«Attendu que la prohibition des ventes à fonds perdu aux successibles, n'a pour objet que d'empêcher que les biens des vendeurs ne parviennent, directement ou indirectement, au successible ou à ses enfans, à l'exclusion des autres successibles, prohibition qu'il serait facile d'éluder, si elle ne s'étendait pas au conjoint du successible; la vente qui lui serait faite, devant produire plutôt ou plus tard l'effet de transmettre le bénéfice de la jouissance au conjoint, et la propriété à ses enfans ; et que, par conséquent, les ventes à fonds perdu faites au conjoint du successible, doivent êtrę considérées comme si elles l'avaient été au successible lui-même, et que, sous ce rapport, elles se trouvent comprises dans la prohibition légale. » L'affaire ayant été portée au tribunal d'appel de Rouen, et ce tribunal ayant adopté la même opinion, les héritiers Osmont se pourvurent, à leur tour, devant le tribunal de cassation, qui, par un second jugement du 4 germinal an 10, au rapport de M. Doutrepont, maintint sa première décision.

que

« Attendu, porte ce jugement, que, dans la vente dont il s'agit, la rente viagère de 800 francs, et l'usufruit de la maison vendue, réservé aux vendeurs, forment la majeure partie du prix d'achat, qu'ainsi cette vente ne peut être censée faite qu'à fonds perdu; attendu l'intention bien prononcée de la loi du 17 nivose an 2, a été d'établir une égalité parfaite entre tous les héritiers légitimes de la même personne; — que, pour éviter qu'on éludât cette intention, elle a, par son article 26, interdit les ventes à fonds perdu, à un héritier présomptif, ou à ses descendans ; que cette intention de la loi serait visiblement éludée, si l'on déclarait valables des ventes faites à fonds perdu, à une personne interposée, telle

que l'époux d'un successible, lorsque, comme dans l'espèce, le successible est appelé par la loi à recueillir la propriété d'une partie et la jouissance d'une autre partie des objets achetés par son époux, et que les héritiers de l'époux acheteur, sont leurs enfans communs : in fraudem legis facit, qui, salvis verbis legis, sententiam ejus circumvenit, (loi 29, ff. de legibus); — que, selon les articles 329 et 389 de la coutume de Normandie, les époux ne sont pas communs en biens, soit meubles, soit conquêts immeubles, et que les femmes ne commencent à avoir droit à la moitié de ces objets, qu'à la dissolution du mariage; qu'ainsi la maison vendue à Osmont, le 28 pluviose an 5, par Nicolas-Philippe Lebatteur, appartenait en totalité à ce dernier, au moment de la vente à laquelle on a fait intervenir sa femme, bien moins comme partie nécessaire, que comme moyen nouveau d'éluder la loi ; — qu'enfin, les droits qu'a pu acquérir la veuve Lebatteur, par la mort de son mari, en vertu de l'article 329 de ladite coutume, sur la maison vendue lui sont absolument personnels, et n'appartiennent ni directement, ni indirectement, à Osmont, ni à ses enfans. >>

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Nous allons voir maintenant les espèces et les motifs des jugemens

contraires.

Louis Benoist, célibataire, vivait en communauté avec Jeanne Catinat, sa belle-sœur, et avec ses neveux, issus de ladite Catinat.

Le 9 pluviose an 4, il vend à sa belle-sœur, le tiers qui lui appartenait dans la totalité des meubles et immeubles communs : le prix de la vente est fixé à la somme de 1700 francs, que le vendeur déclare avoir reçue avant le contrat.

Louis Benoist meurt en l'an 7, laissant pour héritiers, les enfans de ladite Catinat, et d'autres neveux, issus d'autres frères.

Ceux-ci demandent la nullité de la vente, sous le prétexte qu'elle n'était réellement qu'un ayantage indirect en faveur des enfans de Jeanne Catinat, qui étaient alors héritiers présomptifs du vendeur, et qui étaient,' d'ailleurs, en communauté avec leur mère, laquelle paraissait avoir acquis: ils appuient leur demande sur la disposition de l'article 26 de la loi du 17 nivose.

Déboutés de cette demande par le tribunal civil du département de la Creuse, ils se sont pourvus en cassation, et par jugement du 21 ventose an 9, rendu au rapport de M. Poriquet, conformément aux

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