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conclusions de M. Merlin, la section civile du tribunal de cassation a rejeté le pourvoi, en donnant pour motifs, « que la vente faite par Louis Benoist à la veuve Catinat, sa belle-sœur, le 9 pluviose an 4, n'est ni une vente à rente viagère, ni une vente à fonds perdu; et que d'ailleurs la veuve Catinat n'était ni la successible, ni descendante des successibles de Louis Benoist; d'où il résulte que le jugement qui a déclaré cette vente valable, n'a violé aucune des dispositions de la loi du 17 nivose an 2. D

Le second jugement rendu, dans le même sens, par la section civile du tribunal de cassation, le 18 fructidor an 9, est intervenu sur un legs fait par Philippine Waghenard de Mons, au mari d'une de ses héritières présomptives.

Les autres héritiers demandèrent la nullité du legs, comme étant un avantage indirect en faveur de la femme. Ils disaient que vainement il était allégué par le mari que sa femme seule était successible de la testatrice et non pas lui, puisque lui et sa femme ne faisaient qu'une scule et même personne, au moyen surtout de la communauté qui était établie entr'eux par leur contrat de mariage; que la loi serait toujours éludée, si l'on pouvait, par une personne interposée, favoriser un héritier présomptif; qu'enfin la loi voulait qu'en ligne collatérale, la succession fût divisée en deux parts égales, l'une pour la ligne paternelle, l'autre pour la ligne maternelle; et que, dans le cas particulier, la ligne maternelle aurait la moitié, plus le sixième, puisque ce sixième serait transmis par le mari légataire à ses enfans qui étaient dans la ligne maternelle, et devaient, par conséquent, un jour, recueillir la portion afférente à cette ligne!

Un jugement du tribunal civil du département de Jemmapes, les ayant déboutés de leur demande, ils le dénoncèrent au tribunal de cassation qui, sur le rapport de M. Zangiacomi et les conclusions de M. Arnaud, rejeta le pourvoi, par le motif, « que l'art. 26 de la loi du 17 nivose an 2, ne regarde que le successible, et que cette disposition étant prohibitive, ne peut être étendue à l'époux du successible.

Dans la troisième espèce que nous avons annoncée, Denis-Samuel Dulau, avait vendu, le 25 germinal an 6, à Marie Bonneau, veuve de René Dulau, son frère, l'universalité de ses biens, moyennant une rente viagère de 400 francs.

Marie Bonneau avait alors plusieurs enfans qui, après le décès de leur père, étaient restés, par continuation, en communauté avec elle. `

Le vendeur étant décédé en l'an 7, ses héritiers provoquèrent le partage de sa succession. :

Marie Bonneau soutint qu'en vertu de l'acte du 25 germinal, tous les biens de l'hérédité lui appartenaient.

Un jugement du tribunal civil de l'arrondissement des Sables d'Olonne, du 24 frimaire an 9, déclara l'acte nul, et ordonna le partage entre les héritiers, attendu que l'art. 26 de la loi du 17 nivose an 2, prohibait les donations à charge de rente viagère, aux héritiers présomptifs, et que les enfans de René Dulau, étant en communauté avec Marie Bonneau, leur mère, au moment de l'acte du 25 germinal an 6, cet acte avait nécessairement profité à ses enfans, et qu'en conséquence il se trouvait en contravention à la loi.

Mais le tribunal d'appel de Poitiers infirma ce jugement, le 7 thermidor an 9, et motiva sa décision sur ce que; 1o. la disposition de l'art. 26 de la loi du 17 nivose étant prohibitive, ne pouvait s'étendre hors des termes dans lesquels elle était exprimée; 2°. que la loi du 22 ventose an 2, ayant déclaré par l'art. 55, que la loi valide ce qu'elle la loi valide ce qu'elle ne défend pas,

ne pouvait comprendre, sous aucun prétexte, dans la prohibition prononcée par l'art. 26 de la loi du 17 nivose, d'autres personnes que celles que cette loi exprime elle-même.

Sur le pourvoi en cassation, M. Merlin porta la parole.

« Les rédacteurs de la loi du 17 nivose, dit ce magistrat, connaissaient parfaitement toutes les fluctuations qu'avait essuyées l'ancienne jurisprudence sur la question de savoir si l'incapacité de la personne prohibée, était applicable à ses enfans et à ses ascendans. Pourquoi donc n'ont-ils parlé que des enfans du successible? Sans contredit, c'est parce qu'ils n'ont pas voulu que la prohibition s'étendit à d'autres individus ; c'est conséquemment parce qu'ils n'ont pas voulu que les ascendans y fussent sujets. >>

M. Merlin ayant ensuite invoqué l'ancienne jurisprudence sur les dons faits au conjoint du successible, les arrêts déjà rendus par le tribunal de cassation, et l'art. 55 du décret du 22 ventose, conclut au rejet du pourvoi, et ses conclusions furent adoptées, le 6 prairial an 10, par la section des requêtes du tribunal de cassation, dont le jugement est ainsi motivé :

-

« Attendu que l'art. 26 de la loi du 17 nivose an 2, est prohibitif, et ne peut, par conséquent, s'étendre d'un cas à un autre, qu'il ne comprend que les successibles et leurs descendans, et que, s'il y a quelques inconvéniens à ne l'avoir pas étendu, soit aux ascendans, soit à l'époux en communauté avec le successible ou avec les descendans du successible, il y en aurait encore davantage à créer, sous le prétexte d'analogie, des prohibitions que la loi n'a pas établies; Attendu que créer ces nouvelles prohibitions, ce serait, quelques justes qu'elles puissent être, entreprendre sur l'autorité législative, ce qui, dans l'espèce, serait d'autant moins pardonnable, qu'il n'y avait pas de questions plus controversées avant la loi du 17 nivose, que celle de l'étendue des prohibitions, d'où il suit que c'est en connaissance de cause, que les législateurs l'ont restreinte expressément aux successibles et à leurs descendans, >>

Ces motifs nous paraissent sans réplique : Ils sont bien plus imposans, bien plus conformes à la loi, que ceux sur lesquels ont été fondés les premiers jugemens du tribunal de cassation, des 28 ventose an 8 et 4 germinal an 10: ils sont, d'ailleurs, en harmonie avec les principes invoqués par Bouguier, et qui dirigèrent l'ancienne jurisprudence sur cette question,

Nous estimons, en conséquence, qu'on doit déclarer valables, même après la publication de la loi du 3 mai 1803, les dons entre-vifs purs et simples, ou à charge de rente viagère, ou sous la forme de ventes à fonds perdu, consentis, sous la loi du 17 nivose an 2, à un ascendant, où au conjoint de l'un des héritiers présomptifs du donateur,

S. IV.

Une vente faite à un héritier présomptif, avec rétention de l'usufruit, ou dont une partie seulement du capital était aliénée en rente viagère, devait-elle être considérée comme une vente à fonds perdu, et entièrement annulée comme donation indirecte?

I. Il est certain qu'une vente faite avec rétention d'usufruit, n'est pas une vente à fonds perdu, et que, sons ce rapport, on n'a pu la considérer comme comprise dans la disposition de l'art. 26 de la loi du 17 nivose an 2.

On appelle fonds perdu, ( dit le Dictionnaire de l'Académie Française,

article fonds) une somme d'argent employée de telle sorte, que celui auquel elle appartenait, s'est dépouillé entièrement de son principal, et ne s'en est réservé qu'un revenu, sa vie durant.

« Ainsi, disait M. Merlin, dans le plaidoyer qu'il a prononcé à la section civile de la cour de cassation, le 23 brumaire an 12; ainsi vendre à fonds perdu, c'est vendre moyennant un prix dont, par le contrat même, on aliène le capital, pour en recevoir un intérêt purement viager. -Vendre à fonds perdu, c'est donc vendre à la charge d'une rente viagère. — On ne peut donc pas dire que ce soit vendre à fonds perdu, que de vendre avec réserve d'usufruit, moyennant une somme que l'on reçoit comptant. — Où serait alors, en effet, le fonds perdu? Consisterait-il dans la somme qu'on reçoit ? mais cette somme, on ne l'aliène pas, on ne s'en dépouille pas, on ne la convertit pas en un intérêt à vie. Consisterait-il dans l'usufruit que l'on réserve? mais, par cela même qu'on le réserve, il est clair qu'on ne le vend pas. Que vend-on donc, en ce cas? On vend la nue propriété, et rien de plus; mais, pour que la nue propriété pût être censée vendue à fonds perdu, il faudrait que le prix en fût aliéné par le contrat; il faudrait que, par le contrat, ce prix fût échangé contre une rente viagère. >>

Le tribunal d'appel de Rouen avait dit, dans un jugement contraire à cette opinion, que la réserve d'usufruit présentait une disposition aléa'toire, et que, par cette disposition, le contrat participait de la vente à fonds perdu.

« Raisonner ainsi, répondit M. Merlin, c'est évidemment ajouter à l'article 26 de la loi du 17 nivose an 2. Cet article ne prohibe pas entre successibles toutes les ventes qui offrent quelque chose d'aléatoire; il ne vous défend pas de vendre à votre héritier présompuf, ce que le droit romain appelle jactus retis ; il ne vous défend pas de vendre à votre héritier présomptif, un navire que vous avez dans les mers lointaines, où il est exposé à tous les hasards des élémens et de la guerre; il ne vous défend pas de faire à votre héritier présomptif, une vente subordonnée à une condition absolument usuelle; il ne vous défend pas de régler le prix de ces sortes de ventes, sur les risques que court votre héritier présomptif, en traitant ainsi avec vous; il vous défend seulement de lui vendre à fonds perdu. Donc, annuler une vente qui n'est pas à fonds perdu, sous le prétexte qu'elle offre quelque chose d'aléatoire, c'est ajouter à là loi.

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C'est trop peu dire annuler une pareille vente, c'est violer la loi ellemême; car, dit l'article 55 du décret du 22 ventose an 2, interprétatif de l'article 26 de la loi du 17 nivose précédent, la loi valide ce qu'elle n'annulle pas.

Deux arrêts conformes ont été rendus par la section civile de la cour de

cassation.

Le premier, du 24 frimaire an 5, porte : « Attendu que la vente n'était point une vente à fonds perdu, puisque la venderesse en a reçu le prix dont elle a donné quittance par le contrat même, sous la déduction seulement d'une somme qui représentait l'usufruit par elle réservé. »

Le second, du 23 brumaire an 12, porte: « Attendu que le jugement attaqué n'a pris pour base, ni lésion, ni défaut de paiement, ni aucun des vices qui peuvent faire annuler les contrats; mais a seulement jugé, en point de droit, que la réserve d'usufruit dans un contrat de vente, est une disposition aléatoire, qui fait participer le contrat, de la nature d'un contrat de vente à fonds perdu; · attendu que le contrat dont il s'agit au procès, ne présente aucune trace de fonds perdu, puisque la nue propriété, seul et unique objet aliéné par ce contrat, est vendu pour un prix fixe payé comptant; d'où il suit que le jugement attaqué a faussement appliqué l'article 26 de la loi du 17 nivose an 2, et violé l'article 55 de celle du 22 ventose suivant; Casse et annulle, etc. »>

Le Code Napoléon en a décidé autrement pour l'avenir; mais aussi la disposition qu'il a faite à cet égard, comprend nominativement la vente faite avec réserve d'usufruit.

L'article 918 porte que la valeur, en pleine propriété, des biens aliénés, soit à charge de. rente viagère, soit à fonds perdu, soit avec réserve d'usufruit, à l'un des successibles en ligne directe, sera imputée sur la portion disponible, et l'excédant, s'il y en a, rapporté à la masse.

Il résulte bien clairement de cette disposition, que le Code a considéré la vente faite avec réserve d'usufruit, à un successible, comme un avantage réel et indirect, puisqu'il l'a soumise aux règles des donations; mais il l'a dit expressément, au lieu que l'article 26 de la loi du 17 nivose ne parle que

des donations à charge de rentes viagères, et des ventes à fonds perdu. C'est donc une disposition nouvelle qui ne peut s'appliquer qu'aux ventes faites postérieurement à la publication de la loi du 3 mai 1803.

II. C'était et ce serait encore aujourd'hui un moyen indirect de faire un avantage prohibé, à un héritier présomptif qui paraîtrait acquérir à titre

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