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onéreux, que de stipuler exigible une faible partie seulement du prix de la vente, et d'aliéner au profit de l'héritier, le capital de l'autre partie.

Il est évident, en effet, que, si ce moyen pouvait empêcher que la vente ne fût considérée comme une vente à fonds perdu, ou une donation à charge de rente viagère, rien ne serait plus aisé que d'éluder la prohibition faite de donner à son héritier présomptif, puisqu'il suffirait de stipuler, dans l'acte de vente, qu'une portio quelconque du prix a été a été payée comptant au vendeur, ou qu'elle est exigible, quoique d'ailleurs la presque totalité du prix fût convertie et aliénée en une rente viagère.

Mais, d'autre part, si une faible portion seulement du prix de la vente, avait été constituée en rente viagère, dans les intérêts du vendeur, pour augmenter son revenu, et qu'aucune autre circonstance ne vînt établir que la vente n'était pas sincère, ne serait-ce pas aller contre l'intention véritable des parties, que de supposer que l'acte contient une donation déguisée ? Faudrait-il annuler la vente dans son entier, ou la laisser subsister jusqu'à concurrence seulement de la portion du prix non aliénée en rente, ou la maintenir entièrement, mais à la charge, par l'héritier présomptif, de rapporter à la succession du vendeur, la portion du prix aliénée en rente?

En répondant, d'abord, à ces dernières questions, il nous semble que, s'il s'était établi, par les circonstances, que les parties ont eu plutôt l'intention de faire une disposition gratuite, qu'une aliénation pure et simple, l'acte ne pouvant être considéré que comme une donation, et non comme une vente, devrait être annulé pour le tout, sauf à tenir compte au donataire, de ce qu'il justifierait avoir payé au donateur.

Pour juger la nature d'un acte, pour déterminer les effets qu'il doit produire, il ne suffit pas de s'arrêter à sa dénomination, ni à la couleur qu'on a voulu lui donner; il faut s'attacher principalement à ce qu'ont voulu, à ce qu'ont fait réellement les parties contractantes.

Mais si la moindre portion du prix de la vente, avait été aliénée en rent● viagère, et qu'il n'y eût, d'ailleurs, aucunes circonstances assez fortes pour donner la conviction morale que les parties ont voulu faire, pour le tout, une donation déguisée, la vente devrait être maintenue au profit de l'héritier présomptif; et cependant, comme l'héritier ne pourrait profiter de l'avantage indirect qui résulterait en sa faveur, de l'aliénation en rente viagère, d'une portion du prix de la vente, il devrait être tenu de rapporter cette portion du prix, sur laquelle, néanmoins, il serait juste de luj

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faire compte de ce qu'il justificrait avoir payé au vendeur, en arrérages de rente viagère, au dessus des intérêts ordinaires du capital aliéné.

Pour juger, au fonds, si un acte de cette nature doit être considéré, plutôt comme une donation déguisée, que comme une vente sincère, ce n'est que d'après les faits, d'après les circonstances particulières, qu'on peut se décider. Il ne peut y avoir de règle générale à cet égard, et c'est encore une de ces questions qui sont nécessairement abandonnées à la discrétion et à la conscience des magistrats.

Voici une espèce analogue sur laquelle a prononcé la cour de cassa

tion.

Le sieur Truel étant malade d'une hydropisie de poitrine, vendit au sicur Lacarrière, son médecin, une maison située à Aurillac.

L'acte, sous seing privé, portait la date du 29 messidor an 12. Le prix de la vente était distribué en trois parties, 1o. une somme de 8000 francs, payable le 1. nivose lors prochain; 2°. une rente de 150 francs, au principal de 5000 francs, due à l'hospice civil d'Aurillac ; 3o. une rente viagère de 800 francs, au profit du vendeur; et enfin le vendeur se réserva l'usufruit de l'immeuble aliéné.

er

que

Le sieur Truel étant mort le 1. fructidor an 12, ce ne fut douze jours après le décès, que le sieur Lacarrière fit enregistrer le contrat de vente, et, le 27, il le fit signifier à la veuve Truel, avec sommation de sortir de la maison.

La Veuve soutint que la vente était nulle, comme contenant une donation déguisée de la part d'un malade, au profit de son médecin.

Le sieur Lacarrière répondit que la vente était sincère, que la preuve de cette sincérité résultait de l'acte même qui ne portait aucune quittance du prix stipulé, lequel était encore dû en entier ; que ce prix était la véritable valeur de la maison, à ne considérer même que la somme de Booo francs, et la prestation de la rente de 150 francs, au capital de 3000 francs; que la constitution de rente viagère et la réserve d'usufruit devaient être, à peu près, comptées pour rien, et qu'il ne les avait con→ senties, que parce qu'il connaissait parfaitement l'état du malade, et pour lui faire concevoir l'opinion consolante que l'on ne désespérait point de

sa vie.

Il ajouta que les médecins n'étaient pas incapables d'acquérir de leurs malades, mais seulement d'en recevoir à titre gratuit, qu'à la vérité la

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loi déclarait nulles à leur égard, les libéralités déguisées sous la forme d'un contrat onéreux, mais qu'on ne pouvait regarder comme libéralité, la vente dont il s'agissait, etc.

Le tribunal de première instance d'Aurillac annula la vente, « attendų qu'il était constant que le sieur Lacarrière était le médecin du sieur Truel, dans le cours de sa dernière maladie; qu'ainsi il n'avait pu accepter une vente dont une grande partie était représentée par une rente viagère, et par une réserve d'usufruit, qui devaient être illusoires, et qui étaient envers lui une véritable disposition, puisqu'il connaissait l'état de son malade. >>

Sur l'appel, le sieur Lacarrière demanda qu'il lui fût permis de prouver que, bien antérieurement au contrat de vente à lui consenti, la maison avait été mise en vente et affichée; que plusieurs personnes s'étaient approchées pour l'acquérir, et qu'il avait été le plus haut acquéreur: il demanda subsidiairement qu'il fût ordonné une estimation, par experts, de la maison vendue, à l'effet d'en connaître la valeur, et de savoir s'il y avait, ou non, vilité de prix.

La cour d'appel de Riom, sans avoir égard à aucun de ces moyens', confirma purement et simplement le jugement de première instance, et, par arrêt du 5 mai 1807, la section des requêtes de la cour de cassation rejeta le pourvoi, « attendu que la cour d'appel de Riom avait pu, sans contrevenir à aucune loi, juger en fait, d'après les faits et les circonstances particulières de la cause, que l'acte sous seing privé, daté du 29 messidor an 12, enregistré senlement le 11 fructidor suivant, onze jours 'après le décès du sieur Truel, était, quoique conçu sous la forme d'une vente, une disposition déguisée, faite par un malade, au profit de son médecin, pendant le cours de la dernière maladie du disposant. >>

§. V.

Les donations à charge de rentes viagères, et les ventes à fonds perdu, en faveur de successibles, ont-elles été prohibées depuis la publication de la loi du 4 germinal an 8, même pour la portion de biens que cette loi déclarait disponible?

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Il est certain, d'abord, qu'un acte de cette nature, consenti à un héritier présomptif, ou à une personne interposée, ne peut être con

sidéré que comme un avantage indirect, comme une donation déguisée ; et qu'en conséquence, ses effets doivent être, au moins, réduits à la portion de biens que la loi du 4 germinal an 8, déclarait disponible en faveur de cet héritier.

Mais on est allé plus loin, et l'on a soutenu que l'acte devait être entièrement annulé, conformément à l'art. 26 de la loi du 17 nivose an 2, lors même qu'il avait été fait sous l'empire de la loi du 4 germinal an 8; et voici comment on a essayé d'établir cette opinion.

« L'art. 16 de la loi du 17 nivose, a-t-on dit', ne permettait de disposer du sixième ou du dixième de ses biens, qu'au profit d'autres que des personnes appelées par la loi au partage des successions; cet article bornait donc la défense de recevoir, aux héritiers présomptifs, aux successibles, et ne l'étendait pas aux enfans des héritiers,

» L'art. 26 a défendu de vendre à fonds perdu, et de donner à rente viagère, à des héritiers présomptifs; mais ici la défense ne s'arrête plus aux héritiers, elle comprend encore les descendans.

» Et pourquoi lui a-t-on donné une si grande étendue? était-ce pour maintenir l'égalité entre tous les héritiers?

» Mais, d'un côté, les descendans des héritiers ne sont pas héritiers eux-mêmes, et, de l'autre, cette égalité était bien plus ouvertement rompue par une donation pure et simple, que par une vente à fonds perdu; et cependant les enfans des héritiers avaient la capacité de recevoir une donation, tandis qu'on ne permettait pas de leur vendre à fonds perdu.

» Il fallait donc que la défense qui concernait les ventes à fonds perdu, eût un motif particulier, et que ce motif ne fût pas commun à la disposition de la loi, qui déclarait les héritiers incapables de recevoir ce dont il était permis de disposer.

» Et quel est ce motif? Le voici. En interdisant, en ligne directe ou collatérale, les ventes à fonds perdu, le législateur a pensé qu'entre parens, ces sortes de ventes n'étaient ordinairement que des donations déguisées; mais dans les ventes de cette nature, tout n'est pas libéralité. N'y eût-il que la rente viagère payée par l'acquéreur, cette rente forme un titre onéreux; le même acte contient donc, tout à la fois, une vente et une donation.

» Mais comment distinguer ce qui est donné, de ce qui est vendu ?

par quelle règle, par quel principe, cette séparation pourrait-elle s'opérer? on ne peut savoir si le tiers, la moitié ou les trois quarts sont l'objet de la donation, ou celui de la vente. On manque, dans une opération de cette nature, de base d'estimation.

» Et cependant, il est important, il est nécessaire, de distinguer, dans ce contrat, ce qui est transmis à titre onéreux, de ce qui est cédé à titre gratuit. La loi n'a pas permis de franchir, dans les libéralités qu'elle autorise, les bornes qu'elle a posées.

>> Dans une vente à fonds perdu, où l'on ne connaît pas ce qui fait la matière d'une donation, comment pourrait-on réduire cette donation à la portion disponible. On ne pourrait savoir si la loi à été enfreinte ou observée, si la libéralité excède, ou non, la portion dont elle a permis de disposer, parce que l'étendue de cette libéralité est inconnue.

» Ainsi, deux motifs ont fait interdire les ventes à fonds perdu : l'un, parce qu'entre parens, ce sont ordinairement des actes simulés et des donations déguisées; l'autre, parce que le même contrat renferme un titre gratuit et un titre onéreux; qu'on est sans base pour estimer ce qui appartient à chacun de ces titres, et qu'alors on ignore si la libéralité excède la portion disponible, et si les lois ont été transgressées.

» Le premier motif suffisait pour faire interdire les ventes à fonds perdu au profit des héritiers; mais ce motif était sans force contre leurs descendans, puisque ces descendans avaient la capacité de recevoir une libéralité.

>> D'un autre côté, le second motif leur était évidemment applicable : voilà pourquoi ils ont été compris dans la défense concernant les ventes à fonds perdu.

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» Ce double motif est clairement exprimé dans la réponse à la cinquante-cinquième question insérée dans la loi du 22 ventose an 2. Cette réponse porte que la loi ayant anéanti, entre successibles, les ventes à fonds perdu, faites depuis le 14 juillet 1789, sources trop fréquentes de donations déguisées, parce que les bases d'estimation manquent, elle n'y a pas compris les autres transactions commerciales.

» Les ventes à fonds perdu entre successibles, n'ont donc pas été rejetées par la seule raison qu'elles sont des sources trop fréquentes de donations déguisées, mais encore parce que ses bases d'estimation

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