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L'acquéreur soutint qu'il n'avait commis aucun dol, et qu'au reste, pour la validité d'un contrat de rente viagère, il suffisait, aux termes de l'art. 1975 du Code Napoléon, que la personne sur laquelle avait été créée la rente, eût survécu pendant vingt jours.

Les héritiers répondirent qu'on ne pouvait appliquer à un acte de vente fait en l'an 7, une loi qui n'avait été promulguée qu'en l'an 12, et qu'au surplus l'art. 1975 ne devait s'appliquer qu'au cas où la rente viagère était créée sur la tête d'une personne absente,

L'acquéreur répliqua que le Code Napoleon était applicable, même aux contrats antérieurs, chaque fois que cette application ne blessait aucune loi préexistante; que telle avait été la décision du sage Domat et de la cour d'appel de Paris; qu'ainsi aucune loi n'ayant déterminé jusqu'alors le nombre de jours d'après lequel le contrat viager devient inattaquable, il fallait recourir à l'art. 1975 du Code Napoléon, qui l'avait fixé.

Par arrêt du 5 fructidor an 12, la cour d'appel de Grenoble a fait l'application de l'article du Códe, pour déclarer le contrat valable.

« Considérant, est-il dit dans l'arrêt, qu'Euphrosine jeune a survécu six mois à la vente, que son existence pouvant se prolonger plus longil y avait pour lors incertitude d'événemens;

tems,

>> Considérant que, pour la validité d'un contrat de rente viagère, le Code, art. 1975, n'exige que la survie pendant vingt jours, de la personne sur la tête de laquelle la rente a été crééc. »

Le troisième arrêt que nous avons annoncé, a été rendu dans l'espèce

suivante :

Le 11 vendemiaire an 8, Bourdoyseau légua, par testament, à Catherine Gourmand, sa domestique, tout ce que les lois lui permettraient de donner, lors de son décès.

Ensuite, par acte du 15 prairial an 9, il lui vendit tous les biens qu'il possédait, à la charge par elle de lui servir une pension viagère, de lui laisser l'usufruit d'une métairie, et de payer 300 francs à des personnes désignées.

Après le décès de Bourdoyseau, ses héritiers requirent l'apposition des scellés.

Catherine Gourmand s'y opposa, et réclama la succession, soit en vertu du testament, soit en vertu de la vente.

Ayant été sommée par les héritiers, d'opter entre ces deux titres, elle

opta, d'abord, pour la vente; mais ensuite elle s'en désista, pour s'en

tenir au testament.

Alors les héritiers soutinrent que le testament était nul, parce qu'il avait été révoqué par la vente.

Le tribunal de première instance donna acte à la fille Gourmand de son désistement de la vente, et ordonna l'exécution du testament.

Les héritiers se pourvurent en la cour d'appel de Poitiers, et soutinrent que la question de savoir si un testament était révoqué par une vente postérieure de la chose léguée, avait été fortement controversée, même dans le droit romain; qu'au moins, suivant le texte de plusieurs lois, l'héritier était obligé de prouver que la vente de la chose léguée n'avait été faite que dans l'intention d'annuler le legs. Nisi probetur adimere ei testatorem voluisse, l. 11, §. 12, ff. D. leg. 3.- Si non adimendi animo vendidit nihilominùs deberi. Inst., §. 12, de legat.;

Mais qu'à Rome même, la preuve prescrite par ces lois, n'était pas demandée dans l'usage, comme l'indique le jurisconsulte Paul, au livre 4 de ses sentences, tom. 1, §. 9, testator supervivens, si eam rem quam reliquerat, vendidit, extinguitur legatum;

Qu'une pareille preuve n'eût pu être exigée en France, qu'en contravention à nos ordonnances qui défendaient de chercher l'intention des contractans, ailleurs que dans les actes;

Qu'il en résultait que le principe de la révocation du testament par une vente postérieure, était un objet presque continuel de controverse, surtout dans son application, et que la jurisprudence des tribunaux n'avait sur ce /point ni uniformité, ni fixité ;

Qu'ainsi, défaut de loi positive et de jurisprudence fixe, il fallait décider la question, ainsi que l'avait décidé le Code Napoléon, et appli-. quer l'art. 1038, qui déclarait le testament révoqué par la vente postérieure de la chose léguée, sans qu'il fût besoin de rechercher quelle avait été l'intention du testateur.

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On répondait, pour la fille Gourmand, que la question n'avait été controversée, ni dans le droit romain, ni dans le droit français, que dans lé cas où la vente postérieure avait été consentie en faveur d'un autre que d'un héritier institué; mais qu'il ne pouvait y avoir de doute, lorsque le testateur avait consenti l'aliénation à son héritier lui-même , puisqu'en effet il serait souverainement injuste d'enlever une succession à un indi

vidu, parce que le testateur aurait fait plus d'efforts pour la lui trans

mettre ;

Que, d'ailleurs, l'art. 1038 dont excipaient les appelans, était postérieur au testament et à la vente en question, et que ce serait évidemment le faire rétrograder, que de l'appliquer à la cause ;

Qu'enfin, cet article, fût-il antérieur aux actes, ne les annullerait pas; le bon sens et la raison indiquant trop clairement qu'il faut l'entendre en ce sens qu'il anéantit le legs, dans le cas seulement où la vente est consentie à un étranger.

Par arrêt du 14 nivose an 15, la cour d'appel de Poitiers a appliqué Part. 1038 du Code Napoléon, et conformément à cet article, a déclaré le testament du II vendemiaire an 8, révoqué par la vente du 15 prairial

an 9.

« Considérant, est-il dit dans l'arrêt, que ce n'est point donner un effet rétroactif au Code civil, en suivant les principes qu'il émet, art. 1038, puisqu'avant sa promulgation, la jurisprudence était incertaine sur ce point, à défaut de lois précises antérieures. >>

Il est vrai que cet arrêt a été cassé, le 9 mai 1808, par la section civile de la cour de cassation; mais il n'a pas été cassé en ce qu'il avait jugé qu'à défaut de loi précise et de jurisprudence fixe sur une question relative à un acte antérieur au Code Napoléon, la question pouvait être jugée conformément aux dispositions du Code : il a été cassé, en ce qu'il avait fait une fausse application de l'article 1038 du Code, attendu que, d'après cet article, l'aliénation faite par un testateur, depuis la confection de son testament, de corps certains et présens, ne révoque point une disposition à titre universel, tant de biens présens que de biens à venir

La cour de cassation a donc reconnu elle-même, par ce motif, que l'article du Code était applicable, quoique le testament et la vente fussent antérieurs au Code, et que le testateur fût mort aussi antérieurement. Nous ferons sur les arrêts que nous venons de rapporter, deux observations que nous croyons importantes, et qui expliqueront, d'ailleurs, la question que nous avons proposée, au commencement de cet article.

1o. S'il est permis d'appliquer les dispositions du Code Napoléon, à des actes antérieurs à sa promulgation, dans le cas où il s'élève, sur les effets de ces actes, des questions qui n'étaient décidées, ni par les lois par la jurisprudence existantes avant le Code, au moins faut-il con

ni

venir que les tribunaux ne peuvent être tenus de faire cette application, et qu'en conséquence il n'y aurait pas lieu à cassation contre leurs arrêts, lorsqu'ils auraient décidé d'une manière contraire aux dispositions du Code.

Quand il n'y a pas de loi précise sur un point controversé, qu'il n'y a été suppléé ni par des usages constans, ni par une jurisprudence fixe, c'est par les principes de la raison et de l'équité, que les juges doivent se décider l'art. 4 du Code, ne leur impose, en ce cas, d'autre obligation que celle de juger.

«S'il pouvait, dit Domat, liv. 1, tit. 1, sect. 1, n° 23, arriver quelque cas qui ne fût réglé par aucune loi expresse ou tacite, il aurait pour loi les principes naturels de l'équité, qui est la loi universelle qui s'étend à tous. Hæc æquitas suggerit, et si jure deficiamur. l. 2. §. 5, in fine, ff. de aquá et aquæ pluv. arc.

* Ratio naturalis quasi lex quædam tacita. 1.7, ff. de bon. damnat. » Sufficit firmare ex ipsă naturali justitiá. l. 13, §. 7, ff. de excus.

» tut. »

Cependant les juges peuvent consulter le Code Napoléon, comme raison écrite, ainsi qu'autrefois, dans les pays coutumiers, on consultait sur les points non décidés par les coutumes ou par des usages locaux, les dispositions du droit romain; mais ils ne doivent pas le regarder comme une loi obligatoire sur la question, pas plus que le droit romain n'était regardé comme obligatoire dans les pays de coutume, qui ne l'avaient pas admis comme supplément à leur législation locale.

2o. Il résulte de cette première observation, que peut-être il n'est pas régulier de poser en principe, dans des jugemens, que les dispositions du Code Napoléon peuvent être appliquées aux actes antérieurs, lorsqu'il n'y avait, avant le Code, ni lois précises, ni jurisprudence fixe sur le point contesté.

Il nous semble que ce principe tend à éluder, au moins d'une manière indirecte, la grande maxime qui veut que, sous aucun rapport, les lois ne puissent avoir d'effet rétroactif. Eh! n'est-ce pas attribuer un effet rétroactif à une loi nouvelle, que de décider, en principe, qu'elle est applicable à un acte antérieur, lors même qu'il n'y avait pas précédemment de loi sur la question?

La loi nouvelle ne doit avoir aucune espèce d'influence sur ce qui

était consommé avant sa publication, et ce n'est pas un motif suffisant pour la faire rétroagir, que l'absence d'une loi antérieure sur la question

controversée.

Dans ce dernier cas, les juges doivent décider, comme ils l'auraient fait, si la loi nouvelle n'avait pas été rendue; et comme ils auraient décidé avant la loi nouvelle, suivant les règles de la raison et de l'équité, ils doivent encore juger suivant ces règles, sans appliquer formellement la loi nouvelle, à des cas qu'elle n'a pas le droit de régir.

Que, néanmoins, ils la consultent comme raison écrite, ainsi que nous l'avons déjà dit; mais qu'ils ne prononcent pas dans leurs jugemens, qu'elle est applicable à des actes qui sont hors de son empire, et que cette application peut avoir lieu sans effet rétroactif.

et

Il y a toujours une si grande tendance à faire exécuter la loi qui existe que l'on croit équitable, qu'il se commettrait souvent des erreurs, même involontaires, si on ne tenait pas fortement à l'observation rigoureuse de la non rétroactivité des lois.

Il est, d'ailleurs, aisé de sentir combien il pourrait devenir dangereux qu'on appliquât indistinctement les dispositions du Code Napoléon; à cette foule immense de questions sur lesquelles il n'y avait pas, dans l'ancien régime, de lois positives, et sur lesquelles la jurisprudence des tribunaux n'était pas uniforme et constante.

La différence des mœurs, des habitudes, du régime, a fait adopter, dans notre législation, des dispositions nouvelles dont l'application pourrait contrarier souvent ce que voulurent réellement les parties, en contractant avant le Code.

Il faut, en un mot, toujours juger un acte dans l'esprit et les motifs qui l'ont dirigé, au moment de sa confection, et non suivant une loi nouvelle qui a pu régir, dans un esprit et par des motifs différens, les actes de même nature, faits sous son empire.

§. II.

Les dispositions du Code Napoléon, qui sont relatives à la forme de procéder, ont-elles dú étre exécutées, à compter de leur publication,. dans les affaires qui étaient antérieurement commencées?

Voyez l'article Rescision pour cause de lésion.

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