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binets, l'on ne voyoit qu'un jour universel, qui se répandoit si agréablement dans tout ce lieu, et en découvroit les parties avec tant de beauté, que tout le monde préféroit cette clarté à la lumière des plus beaux jours. Il n'y avoit point de jet d'eau qui ne fit paroître mille brillants; et l'on reconnoissoit principalement dans ce lieu, et dans la grotte où le Roi avoit soupé, une distribution d'eaux si belle et si extraordinaire, que jamais il ne s'est rien vu de pareil. Le sieur Joly, qui en avoit eu la conduite, les avoit si bien ménagées, que, produisant toutes des effets différents, il y avoit encore une union et un certain accord qui faisoit paroître par tout une agréable beauté, la chute des unes servant, en plusieurs endroits, à donner plus d'éclat à la chute des autres. Les jets d'eau, qui s'élevoient de quinze pieds sur le devant des deux canaux, venoient peu à peu à se diminuer de hauteur et de force, à mesure qu'ils s'éloignoient de la vue de sorte que, s'accordant avec la belle manière dont l'on avoit disposé l'allée, il sembloit que cette allée, qui n'avoit guère plus de quinze toises de long, en eût quatre fois davantage : tant toutes choses y étoient bien conduites.

(1)

Pendant que, dans un séjour si charmant, Leurs Majestés et toute la cour prenoient le divertissement du bal, à la vue de ces beaux objets, et au bruit de ces eaux, qui n'interrompoient qu'agréablement le son des instruments, l'on préparoit ailleurs d'autres spectacles, dont personne ne s'étoit aperçu, et qui devoient surprendre tout le monde. Le sieur Gissey, outre le soin qu'il avoit pris du lieu où le Roi avoit soupé, et des desseins de tous les habits de la comédie, se trouvant encore chargé des illuminations qu'on devoit mettre au château, et en plusieurs endroits du parc, travailloit à mettre toutes ces choses en ordre, pour faire que ce beau divertissement eût une fin aussi heureuse et aussi agréable, que le succès en avoit été favorable jusques alors ce qui arriva en effet par les soins qu'il y prit; car, en un moment, toutes les choses furent si bien ordonnées, que, quand Leurs Majestés sortirent du bal, elles aperçurent le tour du Fer-à-Cheval et le château tout en feu, mais d'un feu si beau et si agréable, que cet élément, qui ne paroît guère dans l'obscurité de la nuit sans donner de la crainte et de la frayeur, ne causoit que du plaisir et de l'admiration. Deux cents vases, de quatre pieds de haut, de plusieurs façons, et ornés de différentes manières, entouroient ce grand espace qui enferme les parterres de gazon, et qui forme le Fer-à-Cheval. Au bas des degrés qui sont au milieu, on voyoit quatre figures représentant quatre Fleuves; et au dessus, sur quatre piédestaux qui sont aux extrémités des rampes, quatre autres figures, qui représentoient les quatre parties du monde. Sur les angles du Fer-à-Cheval et entre les vases, il y avoit trente-huit candélabres ou chandeliers antiques, de six pieds de haut; et ces vases, ces candélabres et ces figures, étant éclairées de la même sorte que celles qui avoient paru dans la frise du salon où l'on avoit soupé, faisoient un spectacle merveilleux. Mais la cour étant arrivée au haut du Fer-à-Cheval, et découvrant encore mieux tout le château, ce fut alors que tout le monde demeura dans une surprise qui ne se peut connoître qu'en la ressentant.

(1) et au bruit de ces eaux, qui n'interrompoit.» (Éd. 1679.)

Il étoit orné de quarante-cinq figures: dans le milieu de la porte du château, il y en avoit une qui représentoit Janus; et des deux côtés, dans les quatorze fenêtres d'en bas, l'on voyoit différents trophées de guerre. A l'étage d'en haut, il y avoit quinze figures, qui représentoient diverses vertus; et au dessus, un soleil avec des lyres, et d'autres instruments, ayant rapport à Apollon, qui paroissoient en quinze différents endroits. Toutes ces figures étoient de diverses couleurs, mais si brillantes et si belles, que l'on ne pouvoit dire si c'étoient différents métaux allumés, ou des pierres de plusieurs couleurs qui fussent éclairées par un artifice inconnu. Les balustrades qui environnent le fossé du château, étoient illuminées de la même sorte; et dans les endroits où durant le jour on avoit vu des vases remplis d'orangers et de fleurs, l'on y voyoit cent vases de diverses formes, allumés de différentes couleurs.

De si merveilleux objets arrêtoient la vue de tout le monde, lors qu'un bruit qui s'éleva vers la grande allée, fit qu'on se tourna de ce côté-là : aussi-tôt on la vit éclairée, d'un bout à l'autre, de soixante et douze Termes, faits de la même manière que les figures qui étoient au château, et qui la bordoient des deux côtés. De ces Termes il partit, en un moment, un si grand nombre de fusées, que les unes, se croisant sur l'allée, faisoient une espèce de berceau, et les autres, s'élevant tout droit, et laissant jusques en terre une grosse trace de lumière, formoient comme une haute palissade de feu. Dans le temps que ces fusées montoient jusques au ciel et qu'elles remplissoient l'air de mille clartés, plus brillantes que les étoiles, l'on voyoit, tout au bas de l'allée, le grand bassin d'eau, qui paroissoit une mer de flamme et de lumière, dans laquelle une infinité de feux, plus rouges et plus vifs, sembloient se jouer au milieu d'une clarté plus blanche et plus claire.

A de si beaux effets se joignit le bruit de plus de cinq cents boëtes, qui, étant dans le grand parc, et fort éloignées, sembloient être l'écho de ces grands éclats dont les grosses fusées faisoient retentir l'air, lors qu'elles étoient en haut.

Cette grande allée ne fut guère en cet état, que les trois bassins de fontaines qui sont dans le parterre de gazon au bas du Fer-à-Cheval, parurent trois sources de lumières. Mille feux sortoient du milieu de l'eau, qui, comme furieux, et s'échappant d'un lieu où ils auroient été retenus par force, se répandoient de tous côtés sur les bords du parterre. Une infinité d'autres feux, sortant de la gueule des lézards, des crocodiles, des grenouilles, et des autres animaux de bronze qui sont sur les bords des fontaines, sembloient aller secourir les premiers, et se jetant dans l'eau sous la figure de plusieurs serpents, tantôt séparément, tantôt joints ensemble par gros pelotons, lui faisoient une rude guerre. Dans ces combats, accompagnés de bruits épouvantables, et d'un embrasement qu'on ne peut représenter, ces deux éléments étoient si étroitement mêlés ensemble, qu'il étoit impossible de les distinguer: mille fusées qui s'élevoient en l'air, paroissoient comme des jets d'eau enflammés; et l'eau qui bouillonnoit de toutes parts, ressembloit à des flots de feu, et à des flammes agitées.

Bien que tout le monde sût que l'on préparoit des feux d'artifices, néantmoins, en quelque lieu qu'on allât durant le jour, l'on n'y voyoit nulle disposition, de sorte que, dans le temps que chacun étoit en peine du lieu où ils devoient paroître, l'on s'en

trouva tout d'un coup environné. Car non seulement ils partoient de ces bassins de fontaines, mais encore des grandes allées qui environnent le parterre; et en voyant sortir de terre mille flammes qui s'élevoient de tous côtés, l'on ne savoit s'il y avoit des canaux qui fournissent cette nuit-là autant de feux, comme pendant le jour on avoit vu de jets d'eau qui rafraîchissoient ce beau parterre. Cette surprise causa un agréable désordre parmi tout le monde, qui, ne sachant où se retirer, se cachoit dans l'épaisseur des bocages et se jetoit contre terre.

Ce spectacle ne dura qu'autant de temps qu'il en faut pour imprimer dans l'esprit une belle image de ce que l'eau et le feu peuvent faire quand ils se rencontrent ensemble et qu'ils se font la guerre; et chacun croyant que la fête se termineroit par un artifice si merveilleux, retournoit vers le château, quand, du côté du grand étang, l'on vit tout d'un coup le ciel rempli d'éclairs, et l'air d'un bruit qui sembloit faire trembler la terre : chacun se rangea vers la grotte pour voir cette nouveauté, et aussitôt il sortit de la tour de la pompe qui élève toutes les eaux, une infinité de grosses fusées, qui remplirent tous les environs de feu et de lumière. A quelque hauteur qu'elles montassent, elles laissoient attachée à la tour une grosse queue qui ne s'en séparoit point que la fusée n'eût rempli l'air d'une infinité d'étoiles qu'elle y alloit répandre tout le haut de cette tour sembloit être embrasé, et, de moment en moment, elle vomissoit une infinité de feux, dont les uns s'élevoient jusques au ciel, et les autres, ne montant pas si haut, sembloient se jouer par mille mouvements agréables qu'ils faisoient; il y en avoit même qui, marquant les chiffres du Roi par leurs tours et retours, traçoient dans l'air de doubles L, toutes brillantes d'une lumière très-vive et très-pure. Enfin, après que de cette tour il fut sorti à plusieurs fois une si grande quantité de fusées, que jamais on n'a rien vu de semblable, toutes ces lumières s'éteignirent, et comme si elles eussent obligé les étoiles du ciel à se retirer, l'on s'aperçut que, de ce côté-là, la plus grande partie ne se voyoit plus, mais que le jour, jaloux des avantages d'une si belle nuit, commençoit à paroître.

Leurs Majestés prirent aussi-tôt le chemin de Saint-Germain avec toute la cour, et il n'y eut que Monseigneur le Dauphin qui demeura dans le château.

Ainsi finit cette grande fête, de laquelle si l'on remarque bien toutes les circonstances, on verra qu'elle a surpassé, en quelque façon, ce qui a jamais été fait de plus mémorable. Car, soit que l'on regarde comme en si peu de temps l'on a dressé des lieux d'une grandeur extraordinaire pour la comédie, pour le souper, et pour le bal; soit que l'on considère les divers ornements dont on les a embellis, le nombre des lumières dont on les a éclairés, la quantité d'eaux qu'il a fallu conduire, et la distribution qui en a été faite, la somptuosité des repas, où l'on a vu une quantité de toutes sortes de viandes qui n'est pas concevable, et enfin toutes les choses nécessaires à la magnificence de ces spectacles et à la conduite de tant de différents ouvriers, on avouera qu'il ne s'est jamais rien fait de plus surprenant et qui ait causé plus d'admiration.

Mais comme il n'y a que le Roi qui puisse en si peu de temps mettre de grandes armées sur pied et faire des conquêtes avec cette rapidité que l'on a vue, et dont

toute la terre a été épouvantée, lors que dans le milieu de l'hiver il triomphoit de ses ennemis, et faisoit ouvrir les portes de toutes les villes par où il passoit (1): aussi n'appartient-il qu'à ce grand prince de mettre ensemble avec la même promptitude autant de musiciens, de danseurs et de joueurs d'instruments, et tant de diffé rentes beautés. Un capitaine romain disoit autrefois qu'il n'étoit pas moins d'un grand homme de savoir bien disposer un festin agréable à ses amis, que de ranger une armée redoutable à ses ennemis : ainsi l'on voit que Sa Majesté fait toutes ses actions avec une grandeur égale, et que, soit dans la paix, soit dans la guerre, Elle est partout inimitable.

Quelque image que j'aie tâché de faire de cette belle fête, j'avoue qu'elle n'est que très-imparfaite, et l'on ne doit pas croire que l'idée qu'on s'en formera sur ce que j'en ai écrit, approche en aucune façon de la vérité. L'on donnera au public les figures des principales décorations ("); mais ni les paroles, ni les figures ne sauroient bien représenter tout ce qui servit de divertissement dans ce grand jour de réjouissance (3).

(1) Dans l'édition originale, de 1668, les verbes triomphoit et passoit sont précédés du sujet Elle, comme si, au lieu des mots : « le Roi, il y avait plus haut : « Sa Majesté."

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(2) Ces figures, on les a données, en effet, au nombre de cinq, dans l'édition de 1679, où, par suite, les mots : « L'on donnera au public,» sont remplacés par ceux-ci : «On peut voir ici."

(3) Dans l'édition de 1679, la Relation est signée, au-dessous de la dernière ligne, du nom de FÉLIBIEN.

FIN DE LA RELATION DE LA FÊTE DE VERSAILLES.

L'AVARE

COMÉDIE

REPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS À PARIS, SUR LE THÉÂTRE DU PALAIS-ROYAL
LE 9 DU MOIS DE SEPTEMBRE 1668, PAR LA TROUPe du roi.

L'achevé d'imprimer pour la première fois est du 18 février 1669;
le millésime de l'édition originale est 1669 (*).

(*) Textes comparés à l'édition originale : l'édition séparée de 1670 et les éditions collectives de 1674 et de 1682.

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