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Il a par

le dire, « une statue de Nabuchodonosor. » faitement défini le genre d'éloquence mi-partie tribunitienne et religieuse du Père Lacordaire, cette éloquence de laquelle M. de La Mennais disait, comme de celle de M. de Montalembert: « Ce sont là pourtant des œufs que nous avons couvés! » M. Guizot a su si bien choisir les termes de ses éloges qu'ils impliquent la critique et la leçon. — Il a maintenu, en présence du religieux catholique, l'autorité supérieure et souveraine de l'Évangile; et comme s'il estimait, par là, avoir suffisamment assuré son drapeau, il a cru pouvoir aller plus loin que le récipiendaire qui s'était borné à faire allusion, en passant, à la question romaine. - Ici je demande la permission de ne pas insister. Je suis toujours étonné, en ma qualité d'académicien, lorsque je suis amené à me prononcer sur ces questions compliquées et délicates, et que l'invasion hardie de quelqu'un de mes illustres confrères sur ce terrain brûlant de la politique me met, pour ainsi dire, au pied du mur. Je saurais bien que dire là-dessus tout comme un autre, mais il me semble que ce n'est vraiment pas le lieu, et que, même à l'Académie, c'était beaucoup trop comme cela. J'aime mieux suivre M. Guizot dans les différences naturelles et nécessaires qu'il a reconnues entre la société américaine et la nôtre. Un piquant parallèle, et tout à fait académique, entre M. de Tocqueville et son successeur, et l'accord, l'harmonie finale de leurs deux esprits, résultant du contraste même de leurs vocations et de leurs destinées, cette vue ingénieuse semblait terminer à souhait un discours constamment applaudi. M. Guizot a pourtant voulu le prolonger encore et l'agrandir ces éloquences faites pour de plus vastes théâtres débordent à tout moment leur cadre. Se reportant donc aux années des luttes parlementaires, l'ancien ministre s'est demandé comment il se faisait que

M. de Tocqueville et lui, qui ne semblaient aujourd'hui, et dans ce raccourci de conciliation suprême, n'avoir jamais différé que sur des degrés et des nuances, avaient toujours été cependant en face l'un de l'autre et dans des camps opposés; reprenant à son compte, exprimant à sa manière ce que M. Molé avait déjà dit autrefois à M. de Tocqueville entrant dans la vie publique, il a paru croire que l'expérience seule avait manqué à ce dernier, pour le rendre plus équitable et plus indulgent envers le pouvoir, et que M. de Tocqueville, après en avoir tâté lui-même, après en avoir senti le poids, aurait été moins rigide pour ceux qu'un abîme ne séparait pas de lui.

Est-il donc bien vrai que, si ç'eût été à recommencer, M. de Tocqueville, éclairé par l'expérience, se fût mieux entendu avec M. Guizot sur cette politique conservatrice, telle qu'elle était alors et telle qu'elle consentirait peut-être à être aujourd'hui. Oserai-je me permettre une remarque? La supposition, dans les termes où elle est faite, est par trop simple et trop facile. Il est bien clair que si, sachant le résultat et l'issue', les hommes avaient à parcourir exactement le même chemin, à repasser par les mêmes épreuves, quelques-uns, les plus sages au moins, éviteraient les écueils où ils ont touché, les excès de passion ou de système par où ils ont péri. Mais il n'est jamais donné aux hommes de recommencer ainsi exactement leur vie ; le jeu serait trop aisé, la partie serait trop belle, Le vrai bénéfice de l'expérience devrait être de savoir distinguer, dans des cas qui sembleront toujours différents, ce qu'il y a au fond de semblable, et de démêler la bonne voie dans un pays neuf. Si l'on a péché par une opposition opiniâtre et continue, par une coalition à tout prix et qu'on regrette d'avoir faite, si l'on a péché ou péri par là, pourquoi, dirai-je, venir la refaire contre d'autres, sous prétexte que le cas actuel est tout différent? Mais cette expérience

toujours à propos et toujours renouvelée, que je demande ici, je vois que très-peu d'hommes la possèdent, et beaucoup de ceux même qui passent pour sages sont tout prêts, en avançant dans la vie, à commettre et à recommencer, dans un ordre un peu transposé, précisément les mêmes fautes. Ils ne tiennent compte que des différences qui les choquent, et oublient trop cette grande cause commune et qui, sauf des nuances, après tant d'échecs et de mécomptes, devrait être la nôtre à tous, la cause d'une société forte et d'une France glorieuse.

Dimanche, 31 mars 1861.

HISTOIRE

DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE

A L'ÉTRANGER

PENDANT LE DIX-HUITIÈME SIÈCLE,

PAR M. A. SAYOUS (1).

Cet ouvrage de M. Sayous est la suite de celui qu'il publia, il y a quelques années, sur la Littérature française à l'étranger pendant le dix-septième siècle. Nous avons à rappeler l'idée même et le sujet de l'important travail qu'il vient de mener à fin. Beaucoup d'écrivains, d'auteurs de profession ou d'amateurs ont écrit en français hors de France, sans être Français eux-mêmes ou en étant des Français exilés, émigrés c'est de cette vaste littérature de banlieue que M. Sayous a fait l'histoire. J'éclairerai sa pensée par quelques exemples.

Saint-Évremond et Bayle sont des Français émigrés qui continuent d'écrire dans leur langue hors de la patrie, avec cette différence que Saint-Évremond est proprement un émigré, et que Bayle est plutôt un réfugié. L'émigré, homme de Cour, continue d'écrire dans la langue élégante qui était en usage et à la mode au moment de sa sortie. Le réfugié, homme de religion, a

(1) Deux volumes in-8°, chez Amyot, rue de la Paix, 8.

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des habitudes et des plis de langage qui dénotent la secte, le conventicule. Bayle lui-même, le Voltaire anticipé du genre, l'esprit le plus émancipé du Calvinisme, n'a rien qui sente le Français de pure race, du milieu et du cœur de la France.

Frédéric le Grand est un étranger, Français par l'éducation, qui adopte le français dans ses écrits; il écrit et compose dans notre langue par choix et par goût; ainsi faisait la grande Catherine, dont on a publié depuis peu les curieux Mémoires. Ces illustres étrangers qui choisissent le français pour leur langue littéraire, même sans être jamais venus en France ni à Paris, sont assez nombreux au dix-huitième siècle. Notre langue avait fait la conquête de l'Europe du Nord et même d'une partie du Midi.

Il y a encore une classe d'étrangers qui écrivent en français, mais ceux-ci parce qu'ils sont venus en France et à Paris, qu'ils y habitent, qu'ils y vivent dans la meilleure société et en ont pris le ton, le tour d'esprit. Le charmant Hamilton, Grimm et Galiani, sont les principaux noms qui se présentent d'abord quand on cherche des exemples de ces parfaits naturalisés. Ce ne sont plus vraiment des étrangers, ils sont de Paris (le Suisse Bezenval n'était plus de Soleure, mais bien de Versailles), et l'on ne songe à les rattacher à leur première origine que lorsque, comme Grimm et Galiani, ils s'en retournent vieillir et mourir au dehors. Nous avons, à l'heure qu'il est, de spirituels Italiens qui écrivent le plus joli français, le plus net, le plus attique, qui payent tous les matins de leur personne, de leur plume. Et qui donc oserait dire que M. de Rovray n'est point de Paris?

Enfin, il faut bien en convenir, il y a des étrangers qui écrivent en français du même droit que nous et sans être Français, tout simplement parce que c'est

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