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(lauriers, cyprès, par exemple) qui sont comme égarées dans ce style simple, ne sauraient faire oublier, je ne dis pas à l'homme impartial et sensé, mais à l'homme de goût, tant de pages vives, courantes, du français le plus net, le plus heureux, d'une langue fine, légère, déliée, éminemment spirituelle, voisine de la pensée et capable d'en égaler toutes les vitesses.

On a fait bien des Retours de l'île d'Elbe. Voulez-vous comparer? Chateaubriand a fait le sien; il faut l'entendre, dans ses Mémoires, nous décrire ce prodigieux événement et s'efforcer d'en exprimer le grandiose à force d'images. Il veut nous montrer Napoléon en marche, qui s'avance sans rencontrer d'obstacle : << Dans le vide qui se forme, dit-il, autour de son ombre gigantesque, s'il entre quelques soldats, ils sont invinciblement entraînés par l'attraction de ses aigles. Ses ennemis fascinés le cherchent et ne le voient pas; il se cache dans sa gloire, comme le lion du Sahara se cache dans les rayons du soleil pour se dérober aux regards des chasseurs éblouis. Enveloppés dans une trombe ardente, les fantômes sanglants d'Arcole, de Marengo, etc., etc... » Ceux qui aiment les images doivent être contents. Je les aime aussi, ou du moins je les ai aimées; mais aujourd'hui je suis plus touché de la vérité seule. Je veux savoir comment tout s'est passé de point en point dans cette héroïque aventure, comment on a gagné Cannes, manqué Antibes, pourquoi on a suivi la route des montagnes, et comme quoi Sisteron n'était point gardé, et les défilés heureusement . franchis, et le moment critique à La Mure en avant de Grenoble, et tout enfin, car aucun détail ici n'est indifférent. Au lieu de ce lion du Sahara qui m'éblouit, je suis content si je vois l'homme dans le héros et si je ne le perds pas de vue un seul instant. A peine débarqué et le soir à son bivouac près de Cannes, on amène à

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Napoléon le prince de Monaco qui passait par hasard en voiture sur la route. « Où allez-vous? » lui demande Napoléon. -« Je retourne chez moi,» répond le petit prince. «< Et moi aussi. » répliqua Napoléon. De tels mots m'en disent plus que les comparaisons les plus gigantesques. M. Thiers les fuit autant que d'autres les cherchent, et il obtient son effet par des moyens qui sont à lui. Je ne connais rien en histoire de mieux exposé, de plus dramatique ni de plus complet que ces 160 pages, depuis le départ de l'île d'Elbe jusqu'à l'entrée dans Paris. Appelez cela un récit ou un tableau, peu m'importe! Le but de l'art n'est pas de s'étaler. Et le moral y est-il donc absent? Qui donc nous fait mieux assister que l'historien aux anxiétés, aux agitations contradictoires des chefs envoyés pour arrêter et combattre Napoléon? L'âme tumultueuse de Ney y est démêlée et montrée avec une vérité saisissante, avec une connaissance supérieure de la nature humaine, au degré juste qui fait dire au spectateur charmé de l'évidence: C'est bien cela! Si l'historien nous reporte à Paris au milieu des royalistes éperdus, que de portraits esquissés en passant! jamais il n'a eu plus d'esprit qu'en peignant tous ces personnages de la Cour de Louis XVIII et ce roi lui-même. La malice ou plutôt la gaieté du bon sens y perce sous l'indulgence. Le récit de ce qui se passe à Lille entre le roi fugitif, le duc d'Orléans, et les maréchaux Macdonald et Mortier, est d'une belle gravité.

Les deux livres qui exposent les immenses travaux de Napoléon pour régénérer l'intérieur et réorganiser la guerre, quoique le désastre (on le sait trop bien) soit au bout, laissent une impression tout autre et bien plus consolante au cœur de tout bon Français qu'on ne l'avait d'après les derniers historiens. M. Thiers fait mieux comprendre que personne cette époque convulsive,

en partie énigmatique, qui évoquait et entre-choquait tant de noms étonnés de se retrouver ensemble, qui ralliait autour du nouveau trône impérial, dans un sentiment patriotique et sincère, les Sieyès, les Carnot, les Lecourbe, les Benjamin Constant. Il est plus jaloux d'expliquer que d'accuser la versatilité des hommes. Il croit enfin à la sincérité du grand homme, du héros apaisé et mûri, dans ce changement presque complet du système de gouvernement à l'intérieur; et, par les preuves qu'il donne, par les nombreux témoignages. qu'il produit, il obligera désormais, même les plus incrédules, à en passer au moins par la conclusion d'un éloquent orateur anglais (M. Ponsonby) : « Cet homme entier, incorrigible, n'était donc pas aussi immuable qu'on le disait! » Encore une fois, ce dix-neuvième volume est des plus neufs pour les faits comme pour les vues.

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PARNY

POÈTE ÉLÉGIAQUE (1).

Parny: le premier poëte élégiaque français. On lui reproche la Guerre des Dieux et on a raison; mais les Élégies restent, ces Élégies sont un des plus agréables monuments de notre poésie moderne. >>

FONTANES, Projet de rétablissement de l'Académie française, 1800.

J'ai déjà écrit sur Parny (2); je voudrais parler de lui une fois encore, et cette fois sans aucune gêne, sans aucune de ces fausses réserves qu'imposent les écoles dominantes (celle même dont on est sorti) et les respects humains hypocrites. Pour cela, je limite mon sujet comme les présents éditeurs eux-mêmes ont limité le choix des œuvres, comme Fontanes demandait qu'on le fît dès 1800; je laisse de côté le Parny du Directoire et de l'an VII, le chantre de la Guerre des Dieux : non que ce dernier poëme soit indigne de l'auteur par le talent et par la grâce de certains tableaux; mais Parny se trompa quand il se dit, en traitant un sujet de cette. nature:

La grâce est tout; avec elle tout passe.

Un tel poëme, qui n'aurait pas eu d'inconvénient lu

(1) Ce morceau a été écrit pour une édition des Élégies de Parny, publiée chez MM. Garnier (1861).

(2) Au tome III des Portraits contemporains et divers, édit. de 1855, pages 118-155.

entre incrédules, aux derniers soupers du grand Frédéric, et qui aurait fait sourire de spirituels mécréants, prit un tout autre caractère en tombant dans le public; il fit du mal; il alla blesser des consciences tendres, des croyances respectables, et desquelles la société avait encore à vivre. Je laisserai donc ce poëme tout à fait en dehors de mon appréciation présente, et il ne sera question ici que du Parny élégiaque, de celui dont Chateaubriand disait : « Je n'ai point connu d'écrivain qui fût plus semblable à ses ouvrages: poëte et créole, il ne lui fallait que le ciel de l'Inde, une fontaine, un palmier et une femme. »

Né à l'île Bourbon, le 6 février 1753, envoyé à neuf ans en France, et placé au collége de Rennes, où il fit ses études, Évariste-Désiré de Forges (et non pas Desforges) de Parny entra à dix-huit ans dans un régiment, vint à Versailles, à Paris, s'y lia avec son compatriote Bertin, militaire et poëte comme lui. Ils étaient là de 4770 à 1773, une petite coterie d'aimables jeunes gens, dont le plus âgé n'avait pas vingt-cinq ans, qui soupaient, aimaient, faisaient des vers, et ne prenaient la vie à son début que comme une légère et riante orgie. Que de générations de jeunes gens et de poëtes ont fait ainsi, et depuis lors et de tout temps ! Mais le propre de cette aimable société de la Caserne et de Feuillancour, c'est que la distinction, l'élégance, le goût de l'esprit surnageaient toujours jusque dans le vin et les plaisirs.

Rappelé à l'âge de vingt ans à l'ile Bourbon par sa famille, Parny y trouva ce qui lui avait manqué jusqu'alors pour animer ses vers et leur donner une inspiration originale, la passion. Il y connut la jeune créole qu'il a célébrée sous le nom d'Éléonore; il commença par lui donner des leçons de musique; mais le professeur amateur devint vite autre chose pour son Héloïse; les obstacles ne s'aperçurent que trop tard, après la

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