Images de page
PDF
ePub

Louis XVI ne sut jamais prendre un parti. M. Renée, dans un intéressant chapitre, a tracé avec une parfaite justesse le portrait de ce roi qu'il ne s'agit pas d'idéaliser, à cause de son suprême malheur; c'est assez que le respect contienne la plume lorsque l'historien est obligé de noter en lui, à côté des vertus et de l'honnêteté profonde, l'absence totale de caractère et de relever les défauts habituels de forme, de dignité extérieure et de convenance qui, par malheur, n'étaient pas secondaires dans ce premier rang qu'il occupait. Je recommande dans ce même chapitre (le chapitre IV) les portraits de la reine et des princes de la famille royale. Après tout ce qui a été écrit et peint ou colorié sur ces sujets, il n'y a plus qu'une grande exactitude et une scrupuleuse recherche du vrai qui puisse attacher encore. M. Renée n'a négligé aucune des sources ni aucune des dépositions qui étaient à sa portée, et il en a eu quelquefois d'assez particulières (page 268); il en a usé avec esprit et sagesse. Son ouvrage, d'après le cadre qui lui était donné, s'arrête et devait s'arrêter à 1789, avec l'ouverture des États-généraux. Là, en effet, tout un nouvel ordre de choses commence. Quelques historiens, empiétant un peu au delà, et considérant les premiers actes de l'Assemblée, ses premiers rapports avec le roi, ont essayé de déterminer le point précis, passé lequel la Révolution, selon eux, n'était plus possible à diriger, et où, la force des choses l'emportant décidément, l'on n'avait plus devant soi qu'un vaste torrent aveugle. On s'est exagéré, je le crois, en posant ainsi la question, et en la tranchant à priori en ce sens, l'impuissance des hommes. Sans doute l'Assemblée nationale une fois produite et les principes de 89 inscrits sur les drapeaux, il y avait des conséquences qui devaient sortir, des conquêtes qui ne se pouvaient plus éluder; ce n'est pas à nous à nous en

plaindre mais en plus d'une crise subséquente, il aurait dépendu encore de Louis XVI, si cet excellent prince avait eu ombre de caractère, que les choses tournassent différemment, que les diverses étapes que la rénovation sociale avait à parcourir prissent une autre assiette, se choisissent d'autres points de station. Il avait affaire, je le sais bien, à des émeutes, à des foules déchaînées, à ce qui se connaît le moins. Il ne faudrait cependant pas juger absolument des masses et des foules, même aux jours d'orage, par les passions qui se démènent et font fureur aux premiers rangs. Plus d'une fois il dépendit peut-être de Louis XVI, par une autre attitude, par un réveil d'énergie soudaine, par un élan électrique, de tirer de ces foules émues et flottantes les alliés, les amis secrets et honteux qu'elles recélaient. Ce que la volonté, la détermination d'un homme de tête et de cœur, aux instants les plus critiques, si cet homme est le point de mire de tous, peut jeter d'imprévu dans la balance des événements, est incalculable. Je ne veux pas dire autre chose. Il n'est pas jusqu'au 10 août, cette journée suprême pour-sa royauté, où Louis XVI n'eût pu tirer un parti tout différent de la situation fatale qu'il s'était faite, et où il n'eût pu forcer l'histoire, cette histoire telle qu'elle s'est déroulée et que nous la connaissons, à prendre un autre tour, et à se briser devant lui. S'il avait eu un de ces éclairs d'indignation comme en avait à ses côtés sa généreuse compagne, si le sang lui avait monté au visage, s'il s'était souvenu qu'il était le dernier roi d'une race militaire, s'il avait résisté à la force par la force, l'épée à la main, avec ses dévoués serviteurs qui y comptaient; si, dans le conflit, il s'était seulement fait tuer en gentilhomme sur les marches de son palais, l'histoire de la Révolution eût changé; il n'y aurait pas eu cette tache juridique sanglante qui s'appelle le procès de Louis XVI, et qui fut la

[ocr errors]

plaie livide et toujours ouverte pendant de longues années. Homme et roi, il eût fait acte de vigueur; philanthrope, il eût fait acte de philanthropie envers la nation, en lui épargnant par là même, à elle comme à lui, les suites funestes que devait avoir sa captivité. Ce grand échafaud de moins, le plus horrible des régimes, la Terreur, ne s'inaugurait pas. On ne refait point l'histoire, mais en la lisant chez des narrateurs judicieux et fidèles, on réfléchit, on rêve, on compare, et c'est à quoi j'ai été conduit par le Louis XVI de M. Renée.

(Suivaient quelques extraits du livre.)

Lundi, 20 février 1860.

A MONSIEUR

LE DIRECTEUR GÉRANT DU MONITEUR

Mon cher directeur,

Vous me permettez de parler de Catherine d'Overmeire que vient de publier notre ami et ancien collaborateur Ernest Feydeau, et vous me dites de le faire sans crainte.

Je vous remercie de m'encourager ainsi et de m'enhardir, et bien réellement j'avais si fort besoin d'être rassuré que je ne vous écris ceci que pour vous dire comme quoi je n'ose, même après votre mot aimable, venir parler de Catherine.

Oui, je suis effrayé, mon cher directeur, et vous en comprendrez les raisons si vous voulez bien vous mettre un instant à ma place, et me laisser vous rappeler tout ce qui s'est passé à la suite de l'article, mêlé de critique et d'éloge, que j'ai écrit sur Fanny (2).

J'ai gardé un défaut, je le vois bien, dont l'âge ne me corrigera jamais. J'ai plus de cinquante-cinq ans, je suis censé très-grave aux yeux de quelques-uns; je

(1) L'article que voici, et qui fut adressé sous forme de lettre à M. Turgan, directeur du Moniteur, avait pour objet bien moins de louer tel ou tel roman d'un de nos amis que de replacer la question littéraire et d'art sur son véritable terrain. L'article, au reste, fit beaucoup de bruit, et eut des ricochets sans nombre. J'avais atteint 'mon but.

(2) Voir au tome XIV des Causeries.

[ocr errors]

viens de terminer un gros livre à demi théologique et d'analyse morale sur Port-Poyal et les Solitaires; je suis professeur dans une École supérieure et, comme tel, investi de la confiance d'un ministre ami (1), à laquelle j'ai à cœur de répondre dignement, et que je tiens à honneur de justifier. Comme professeur, je sens qu'il est de mon devoir de veiller avant tout aux intérêts du goût, à l'explication et au maintien de la tradition, et je crois sentir aussi que je ne ferai pas défaut à ce rôle de conservation littéraire. Dans mes leçons, dans les écrits qui sont sortis ou qui sortiront de mes leçons, on a pu voir et l'on verra que je m'acquitte de ma fonction non-seulement avec conscience, mais de tout cœur, avec zèle et sincérité. Mais en dehors de cela, comme critique et journaliste, quand je le redeviens, je suis entraîné à m'inquiéter avant tout des intérêts du talent. Y a-t-il du nouveau, y a-t-il encore du neuf en ce monde? Y a-t-il quelque part encore de la verve, de l'ardeur, de la jeunesse et de l'avenir? Y a-t-il quelqu'un qui tente et qui promette? Je me fais ces questions, je reste ouvert et attentif aux réponses qui m'arrivent de temps en temps du dehors, et je ne me laisse pas détourner par cette fin de non-recevoir très à la mode depuis quelques années, la Morale et le Beau.

La Morale, qu'on met sans cesse aux prises avec l'Art, ne me paraît point devoir lui être si constamment

(1) M. Rouland, ministre de l'Instruction publique. Conçoit-on que ce passage ait donné prétexte à un rédacteur des Débats, dans un article du 1er avril 1860, de dire que j'ai invoqué ici, pour me protéger, en cet article aventureux, « mon titre de professeur dans une École supérieure et l'amitié d'un ministre de l'Empereur,» tandis qu'au contraire je n'alléguais en ce moment ces titres et ces circonstances particulières au professeur que pour me dédoubler et faire acte de séparation et d'indépendance en tant que critique? Ce sont là les iniquités de la polémique; M. Cuvillier-Fleury y est plus sujet que d'autres, du moins à mon égard,

« PrécédentContinuer »