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ont déjà donnés et bien mieux, ce n'a pas été sans m'en adresser une partie à moi-même tout le premier. Vous me serez tout d'abord utiles, messieurs, en me les rappelant; vous me le serez plus encore (et c'est un bienfait salutaire que j'attends de vous), en m'offrant journellement, dans vos groupes de sérieuse et fervente jeunesse, la meilleure et la plus vivante réponse à ce qui est trop souvent le dernier mot, le dernier résultat stérile d'une vie d'isolement et de réflexion trop concentrée. Vous me ferez croire, avec le temps, que je puis pour ma part vous être bon en quelque chose, et, généreux comme on l'est à votre âgé, vous me rendrez en ce seul sentiment moral bien plus que je ne saurais vous donner en directions de l'èsprit ou en aperçus littéraires. Si, en un sens, je vous prête de mon expérience, vous me payerez, et dans un sens plus profitable, par le spectacle même de votre noble ardeur; vous m'habituerez à me tourner plus souvent et plus volontiers avec vous du côté de l'avenir, vous me rapprendrez à espérer.

L'ABBÉ FLÉCHIER (4)

Les Mémoires de Fléchier sur les Grands-Jours d'Auvergne, dont il n'avait été donné jusque-là que de rares et courts extraits, ont été publiés pour la première fois en 1844, et ont obtenu aussitôt le plus grand succès dans le monde et parmi les esprits cultivés, en même temps qu'ils ont soulevé toutes sortes de controverses dans quelques parties de la province. La nature de ces controverses avait même été telle, et l'on s'était attaqué si vivement à la personne de M. Gonod, l'honorable éditeur, qu'il devenait à craindre qu'il ne se décidât point à donner une seconde édition fort désirée. Il mourut du moins, en 1849, avant d'avoir pu satisfaire à ce vœu de l'élite du public (2). Aujourd'hui que tout ce

(1) Ce morceau a servi d'Introduction à l'édition des Grands-Jours, publiée chez M. Hachette en 1856. Je l'intitule l'abbé Fléchier pour indiquer qu'il s'agit de Fléchier jeune, et avant les succès éclatants d'orateur qui le portèrent à l'épiscopat.

(2) J'ai écrit, dans le temps, sur la première édition des GrandsJours, un article qu'on peut lire au tome III de mes Portraits contemporains; et dans un autre article sur les Lettres de Rancé, publiées également par M. Gonod, j'ai touché quelque chose de la querelle qu'on lui a faite pour le Fléchier. (Voir dans les Derniers Portraits, page 414.) -- Pourquoi les ecclésiastiques vertueux et instruits manquent-ils donc si souvent de goût? Un des plus charitables et des plus savants curés de Paris, me parlant de cette Relation des Grands-Jours publiée par M. Gonod, m'affirmait qu'elle était de toute nécessité apocryphe, qu'elle ne pouvait être de Fléchier, attendu, disait-il, que cela aurait fait de cet éloquent évêque « un homme lubrique. » Je restai muet et sans répondre. La seule réponse possible eût été trop longue à faire, et c'est celle qu'on va lire,

grand feu est apaisé, et qu'un esprit conciliant a prévalu, les Mémoires de Fléchier reparaissent dans les circonstances les plus propres à en faire goûter l'agrément sans qu'il doive s'y mêler aucun fiel ni aucune amertume. Mon but, dans cette Introduction, sera surtout d'amener tous les esprits qui daigneront me suivre à comprendre que ces Mémoires sont tout à fait d'accord, et pour le fond et pour le ton, avec ce qu'on pouvait attendre de la jeunesse de Fléchier; qu'ils ne la déparent en rien; qu'ils font honneur à l'esprit de l'auteur, à sa politesse, sans faire aucun tort à ses mœurs, ni à sa prochaine et déjà commençante gravité; que dans ce léger et innocent ouvrage, il a tout simplement le ton de la société choisie où il vivait; et qu'on ne saurait, même au point de vue de la morale et de la religion, trouver cela plus étonnant que de voir saint François de Sales ouvrir son Introduction à la Vie dévote en nous parlant de la Bouquetière Glycera.

Voyons Fléchier tel qu'il était, apprenons à le goûter dans les qualités qui lui sont propres et qui lui assurent un rang durable comme écrivain et comme narrateur; ne craignons pas de nous le représenter dans sa première fleur d'imagination et d'âme, dans sa première forme de jeune homme, d'abbé honnête homme et encore mondain; et bientôt sans trop de complaisance, sans presque avoir à retrancher, nous arriverons insensiblement à celui qui n'avait eu en effet qu'à se continuer lui-même, et à se laisser mûrir pour devenir l'orateur accompli si digne de célébrer Montausier et Turenne, et l'évêque régulier, pacifique, exemplaire, édifiant. Il n'y a pas de vie plus unie que la sienne, ni qui se tienne mieux.

Esprit Fléchier, né en juin 1632 à Pernes, dans le Comtat-Venaissin, d'une honnête famille, mais appauvrie et réduite au petit commerce, annonça d'abord les

dispositions d'un sujet parfait. Il reçut en naissant « un esprit juste, une imagination belle, mais réglée, un bon cœur, des inclinations droites; » et comme l'a dit un autre de ses biographes, il reçut du Ciel «< ce naturel heureux que le Sage met au rang des plus grands biens, et qui tient peu du funeste héritage de notre premier Père. » Les passions ne le transportaient pas; un feu pur et doux l'animait. Il avait pour oncle maternel un Père de la Doctrine chrétienne, assez célèbre en son temps, le Père Hercule Audifret. Il fit donc ou acheva ses études à Tarascon dans le collége des prêtres de la Doctrine, et s'engagea même ensuite dans la congrégation, mais par des vœux simples. Il professa les humanités en différentes villes, et la rhétorique à Narbonne. Devenu prêtre, il eut à prononcer dans cette dernière ville l'Oraison funèbre de l'archevêque mort en 1659; il n'avait mis que dix jours au plus à la préparer. La maladie et la mort de son oncle, le Père Hercule, l'appelèrent à Paris en cette même année; il se proposa d'y rester, et n'ayant pu le faire avec la permission de ses supérieurs, il sortit de la Congrégation, mais en se déliant avec douceur comme ce sera toujours sa façon et sa méthode, en emportant et en laissant les meilleurs souvenirs. Il avait vingt-huit ans. C'est ici que le littérateur pour nous commence à paraître. Il s'était exercé jusque-là dans de petites compositions, dans des jeux d'esprit scholaires ou académiques; il va continuer dans le même sens, en étendant un peu ses cadres.

Il connut Conrart, secrétaire perpétuel de l'Académie française, et qui se plaisait à produire les talents nouveaux. Ce fut Conrart qui, comme on le disait, donna Fléchier à M. de Montausier. Ce fut lui qui le recommanda à Chapelain qui était, à cette date, la grande autorité littéraire et le procureur général des grâces. Fléchier aimait à faire des vers latins: il songea à s'en

servir pour sa réputation et pour sa fortune littéraire; cette ancienne littérature scholastique, qui a encore eu, depuis, quelques rares retours, n'avait pas cessé de fleurir à cette date, avant que les illustres poëtes français du règne de Louis XIV eussent décidé l'entière victoire des genres modernes. Fléchier avait adressé au cardinal Mazarin une pièce de félicitation en vers latins (Carmen eucharisticum) sur la paix des Pyrénées (1660); il en fit une autre l'année suivante, sur la naissance du Dauphin (Genethliacon). C'est à ce sujet que Chapelain lui écrivait une lettre que j'ai sous les yeux, inédite, datée du 18 janvier 1662, portant à l'adresse: Monsieur Fléchier, ecclésiastique à Paris. On y lit

<< Monsieur,

« Je reçus votre lettre et le poëme latin qui l'accompagnait avec beaucoup de pudeur, ne pouvant sans rougir voir que vous le soumettez à mon jugement, lequel je ne puis exercer sans témérité sur d'autres ouvrages que sur les miens propres; et je vous avoue que soit par cette raison, soit par le peu de loisir que me laissent mes occupations, je fus tenté de m'excuser du travail que vous exigiez de moi, et que le seul nom de M. Conrart me fit retenir votre cahier et résoudre de vous complaire. Mais, après avoir lu votre Poëme, vous n'eûtes plus besoin de sa recommandation auprès de moi; vous vous y rendîtes assez considérable par vousmême, et, tout inconnu que vous me fussiez, vous vous fîtes tout seul connaître à moi pour un homme de mérite et d'esprit qui n'aviez pas une médiocre habitude avec les Muses, et qui étiez avantageusement partagé de leurs faveurs. Il y a dans cette pièce de ce génie poétique qui est si peu ordinaire, grande quantité de sentiments élevés, et de vers noblement tournés. Tout y est du sujet, et le sujet sublime de soi n'y est du tout

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