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sous lequel il parut fort divertissant à ses amis. Enfin il partit le 1er septembre 1649 et, un mois après, au début d'octobre, le voyage ayant été rapide pour l'époque, il débarquait à Stockholm, après avoir étonné son pilote par ses conversations techniques.

Á Stockholm, les déceptions arrivèrent vite. Il tombait au début de l'hiver dans un pays très rude et il arrivait seul, sans le secours de son ami Chanut (alors absent), dans une cour où les Trissotin et les Vadius ne s'entendaient que pour chercher à éliminer tout intrus soupçonné de vouloir participer à leurs bénéfices. Christine le reçut deux fois et, pour trouver quelque chose à lui dire, lui parla de la princesse Elisabeth. Descartes n'eut pas de peine à s'apercevoir qu'elle s'intéressait médiocrement à la philosophie. Après quoi, près de deux mois passèrent, où Descartes s'ennuya fort. Logé à l'Ambassade, il était réduit à la conversation de l'aumônier français et à madame Chanut, qui profitait de l'occasion pour tâcher de faire donner quelques leçons de philosophie à ses deux jeunes garçons. La reine semblait oublier son philosophe, ou l'employait, comme le reste de sa ménagerie littéraire, à des usages de cour. Trop heureux qu'on ne le forçât pas à danser comme cela était arrivé à un vieil ambassadeur goutteux, il était du moins mis à contribution pour écrire les vers d'un ballet, puis une pastorale. Il n'avait d'autre occupation scientifique que d'observer chaque matin son baromètre, ou de rédiger les statuts d'une Académie. Aussi se montrait-il impatient de repartir et témoignait-il à l'occasion sa mauvaise humeur par

quelque boutade, comme lorsqu'il exprimait à la reine son étonnement qu'à son âge elle apprit encore

le grec.

Enfin, le 23 décembre, Chanut revint avec le titre d'ambassadeur et s'occupa de consoler son ami en lui procurant les entretiens philosophiques, sur lesquels celui-ci avait compté et lui faisant assurer une pension. Mais la reine était difficile à saisir. A peine Chanut de retour, elle partait pour quinze jours à Upsal. Ensuite, on organisa des leçons. Trois fois par semaine, à cinq heures du matin, Descartes devait venir au palais lui expliquer ses théories dans son cabinet d'étude. Pour un homme frileux et habitué à se lever tard, ce long trajet en carrosse au mois de janvier, était dur. Quinze jours après, à la sixième ou septième leçon, il fut atteint d'une grippe, puis d'une congestion pulmonaire qui l'enleva en neuf jours, le 11 février 1650.

Pendant ces neuf jours, il fit une belle défense contre le médecin allemand qui voulait le saigner: << Epargnez, lui disait-il, le sang français ». A la fin seulement, lorsqu'il se vit perdu, il se soumit; mais le médecin lui garda rancune et annonça sa mort avec la satisfaction non dissimulée de voir la Faculté vengée sur un malade récalcitrant. Christine, malgré quelques condoléances officielles, plaisanta, dans l'intimité, sur ce bonhomme qui, pendant deux mois, avait occupé toute la cour de ses théories médicales et prétendu posséder le secret de vivre plusieurs siècles, pour succomber ensuite au premier rhume à cinquante-trois ans. Néanmoins, quand, quelques années plus tard, elle jugea bon de se convertir au

catholicisme, elle en reporta le mérite aux leçons de Descartes.

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Chanut fit, pour son ami, une épitaphe latine qui se traduit ainsi : « Après avoir reconstruit la philosophie depuis ses fondements, il laissa aux mortels une route ouverte vers les secrets de la nature : route neuve, certaine et solide ». Près de deux siècles plus tard, la science moderne pourrait exprimer, presque dans les mêmes termes, la même gratitude. Solidité, nouveauté, clarté, méthode et rigueur sont les qualités éminemment françaises que Descartes. nous a enseigné à rechercher, à obtenir, à apprécier entre toutes: les qualités, grâce auxquelles la science est sortie des brumes et a marché d'un pas tranquille, sans incertitude et sans faux-pas, vers la connaissance de la vérité, vers les applications de plus en plus hardies, vers le progrès.

Ce grand savant, ce profond penseur, a pu avoir quelques faiblesses que je n'ai pas cherché à dissimuler. Mais il fut d'abord un de ces cerveaux puissants qui font honneur à l'humanité, un inventeur, un créateur, un initiateur et, dans toute la force du terme, un Maître.

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CHAPITRE II. LES ANNÉES DE PARIS ET
LE VOYAGE EN ITALIE (1622-1628)

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CHAPITRE III.

PREMIÈRE PARTIE DU

SÉJOUR EN HOLLANDE (1628-1637).

LE TRAITÉ DU MONDE ET GALILÉE.
DISCOURS DE LA MÉTHODE

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LE

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LA FIN DU SÉJOUR EN

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