Images de page
PDF
ePub

Germont. Et moi j'exige que vous partiez. Tantôt, à dî

ner, nous nous reverrons.

Delmar, (lui donnant son chapeau.) Voilà ton chapeau, le cabriolet est en bas, et le cheval est attelé.

Rémy. Mais est-ce que je peux profiter ?...

Delmar, (bas.) Eh, oui! sans doute, tu reviendras plus vite. Rémy. A la bonne heure; mais il y a dans tout cela quelque chose que je ne comprends pas. (Il sort.)

SCÈNE XI.

Les Précédents, hors Rémy.

Delmar. Il doit vous paraître fort original; mais il a une ambition telle qu'il croit toujours n'être rien.

Germont. Tant mieux, tant mieux! C'est ainsi qu'on arrive; et je vois maintenant que c'est là le gendre qu'il me faut...

Sophie. N'est-ce pas, mon père ?

Germont. Oui; mais je me trouve dans un grand embar ras, dont il faut que je vous fasse part.

Madame de Melcourt. Ah! mon Dieu! qu'est-ce que c'est ?

Germont. Ne me doutant pas de la réputation du docteur Rémy, j'avais renoncé à cette alliance; et ma fille sait que j'avais donné ma parole à un de mes amis qui demeure à Paris.

Sophie. Aussi, c'est bien malgré moi.

Germont. Que veux-tu! il m'avait proposé pour gendre un littérateur connu

Delmar. Il faut rompre avec lui.

Germont. Sans doute, mais cela demande des ménagements. Il faudrait le voir, lui parler. C'est un homme qui travaille pour le théâtre et pour les journaux. (A Delmar.) Et vous, qui fréquentez ces messieurs, si vous vouliez me donner quel. ques renseignements.

Delmar, (bas à Madame de Melcourt.) Comme si j'avais le temps! et nos visites à l'Académie ?

Germont, (fouillant dans sa poche.) J'ai là son nom, et une

note sur ses ouvrages.

SCÈNE XII.

Les Précédents, Rondon.

Delmar. Mais, tenez, voici un de mes amis qui connaît tout le monde, et qui vous dira tout ce qu'il sait et tout ce qu'il

ne sait pas; c'est un dictionnaire biographique ambulant. Bas à Rondon.) C'est le provincial que nous attendions, le beau-père du docteur; ainsi, soigne-le.

Rondon. Sois tranquille, tu sais que je suis bon enf...' Delmar. Eh oui! c'est connu. Adieu, monsieur; je vais faire quelques courses.

Madame de Melcourt. Et moi, je vais conduire Sophie dans votre nouvel appartement. Viens, ma chère, nous avons tant de choses à nous dire. Messieurs, nous vous laissons. (Ils sorten:.)

SCÈNE XIII.

Rondon, Germont.

Germont. Monsieur est un ami du jeune M. Delmar? un auteur sans doute ?

Rondon. Oui, monsieur, connu par quelques succès agréables.

et

Germont. Monsieur, je cultive aussi les sciences et les arts, mais en amateur. J'ai composé un Cours d'Agriculture dans ma jeunesse je maniais le pinceau; j'ai fait un Massacre des Innocents qui, j'ose dire, était effrayant à voir.

Rondon. Monsieur, je m'en rapporte bien à vous; mais, que puis-je faire pour votre service?

Germont. Je ne sais comment reconnaître votre obligeance, monsieur; c'est sur un de vos confrères que je voudrais vous consulter. (Regardant le papier qu'il tire de sa poche.) Connaissez-vous un monsieur Rondon?

Rondon. Hein! qu'est-ce que c'est ?

Germont. Un littérateur qui travaille à plusieurs ouvrages périodiques.

Rondon. Oui, monsieur, oui, je le connais beaucoup; je ne cuis pas le seul.

?

Germont. Eh bien, monsieur, qu'est-ce que vous en pensez Rondon. Mais, monsieur, je dis que... (A part.) Quelque habitué qu'on soit à faire son éloge, on ne peut pas, comme cela de vive voix... si c'était imprimé, encore passe... (Haut.) Je dis, monsieur, que c'est un garçon à qui généralement l'on reconnaît du mérite.

Germont. Tant mieux; mais est-ce un homme aimable, un bon enfant ?

1

1 Ce Rondon est le type de beaucoup de gens sans mérite, qui ont touyours la même phrase à la bouche.

Rondon. Oh! pour cela, il s'en vante; mais oserai-je vous demander pourquoi toutes ces questions?

Germont. Je m'en vais vous le dire. Sans le connaître, je suis presque engagé avec lui. Un ami commun, M. Derbois... Rondon. M. Derbois! je le connais beaucoup.

Germont. Un conseiller à la cour royale, M. Derbois, lu avait proposé ma fille en mariage.

Rondon, (à part.) Quoi! c'était là le parti qu'il me destìnait! À merveille. (Haut.) Eh bien, monsieur?

Germont. Eh bien! monsieur, je n'ose pas l'avouer à mon ami Derbois, qui a cette affaire très à cœur, mais je ne veux plus de M. Rondon pour gendre.

Rondon. Comment, monsieur?

Germont. Je cherche quelque moyen de le lui faire savoir avec politesse et avec égards. Si vous vouliez vous en char ger?

Rondon. Je vous remercie de la commission.

Germont. Est-ce que vous croyez qu'il le prendra mal ? Rondon. Sans doute, car encore voudra-t-il savoir pour quelles raisons.

Germont. Oh! c'est trop juste; et je m'en vais vous le dire; c'est que j'ai préféré pour gendre le docteur Rémy. Rondon, (à part.) Qu'entends-je ? notre jeune protégé ! c'est bien différent. (Haut.) Rémy! qu'est-ce que c'est que ça ? Germont. Le célèbre docteur Rémy! ce médecin si connu dans Paris!

Rondon. Je ne le connais pas, et je vous dirai méme que jamais je n'en ai entendu parler.

Germont. Il serait possible! et ses malades? et ses ouvrages?

Rondon. Pour des malades, il est possible qu'il en ait fait; mais pour des ouvrages, je crois qu'excepté ses libraires per sonne n'en a eu connaissance.

Germont.

Air du Partage de la richesse.

Qu'ai-je entendu ? ma surprise est extrême:

Rondon.

Mon témoignage est peut-être douteux :
Voyez, monsieur, interrogez vous-même.

Germont.

Dans mes projets je suis bien malheureux;
Moi qui cherchais à donner à ma fille
Un nom fameux... Dès longtemps je voulais
Voir un génie au sein de ma famille :

Ah! c'en est fait... nous n'en aurons jamais

SCÈNE XIV.

Les Précédents; Madame de Melcourt.

Madame de Melcourt. Mon oncle, mon oncle, je quitte ma cousine, qui vient de me faire ses confidences.

Germont. Il suffit, ma nièce. Je ne croirai désormais aucun rapport; je ne veux me fier qu'à moi-même, à mon propre jugement; je vais chez mon ami Derbois, un conseiller, un excellent homme qui est toujours malade, et qui toutes les semaines change de médecin; ainsi il doit en avoir l'habitude, il doit connaître les meilleurs; je lui parlerai du docteur Rémy.

Madame de Melcourt. Pourquoi me dites-vous cela?

Germont. Suffit, je m'entends. Je passerai après cela chez les libraires du Palais-Royal; et je verrai si, par hasard, l'édition entière ne serait pas dans leurs boutiques; car il ne croire que nous autres provinciaux...

faut pas

Madame de Melcourt. Voulez-vous que je vous accompagne? j'ai là ma voiture.

Germont. Du tout, je rentre chez moi, je vais m'habiller, je demanderai un fiacre, et nous verrons. Monsieur, enchanté d'avoir fait votre connaissance.

Rondon. Monsieur, je descends avec vous. (A Madame de Melcourt.) Madame, j'ai bien l'honneur...

SCÈNE XV.

Madame de Melcourt, seule, puis Delmar.

Madame de Melcourt. Nous voilà bien! toute la conspiration est découverte ! C'est vous, Delmar.

Delmar, (entrant par la porte à gauche.) Je rentre par mon escalier dérobé: j'ai fait nos visites; j'ai vu beaucoup de monde, tout va bien, et je vous apporte de bonnes nouvelles.

Madame de Melcourt. Eh moi, j'en ai de mauvaises. Sophie m'a tout raconté. Cet homme de lettres qu'on lui destinait pour mari n'est autre que votre ami Rondon.

Delmar. Dieu! quelle faute nous avons faite en le mettant dans notre parti!

Madame de Melcourt. Il n'en est déjà plus; il est passé à L'ennemi.

Delmar. Eh bien! tant mieux, si vous me secondez.

Air de Julie.

J'étais jaloux au fond de l'âme
De le voir en tiers avec cous.

Je suis bien plus heureux, madame,
De ne conspirer qu'avec vous:

Ne craignez point qu'ici je vous trahisse;
Que n'avez-vous (c'est là mon seul souhait)
Un secret qui vous forcerait

À n'avoir que moi pour complice!

Madame de Melcourt. Il ne s'agit pas de cela, monsieur, mais de mon oncle, à qui l'on a tout ait, et qui va lui-même courir aux informations chez M. Derbois, conseiller, qui connaît tous les médecins de Paris; il va partir dans l'instant, car il a même fait demander un fiacre.

Delmar. Un fiacre! c'est bon; nous avons du temps à nous, vite l'Almanach des 25,000 adresses. (Il l'ouvre.)

Madame de Melcourt. De là, il doit aller au Palais-Royal, chez les libraires du docteur, pour demander le fameux Traité du Croup, et sa visite fera époque, car c'est peut-être le premier exemplaire qui se sera vendu de l'année.

Delmar. Rassurez-vous, car l'on peut tout réparer. (Appelant.) John! François! toute la maison! (Allant à son secrétaire.)

Madame de Melcourt. Eh bien! que faites-vous donc ?

Delmar.

Air: L'amour qu'Edmond a su me taire.

Dans notre sagesse ordinaire,

Notre budget tantôt fut arrètė ;

Et voilà, dans mon secrétaire,

Trois mille francs que j'ai mis de côté.

Madame de Melcourt.

Chez un auteur, mille écus! quel prodige!

Delmar

Pour mes plaisirs je les avais laissés ;
Ils vont sauver un ami que j'oblige;
Selon mes vœux les voilà dépensés.

(A John it à François, qui entrent.)

Approchez, vous autres, et écoutez bien. Il me faut du monde, des amis dévoués, et il m'en faut beaucoup; enfin, comme s'il s'agissait d'une première représentation.

John. Je comprends, monsieur, on fera comme la dernière fois.

Delmar. C'est bien, ce sera enlevé! quatre de vos gens iront à dix minutes de distance chez M. Derbois, conseiller, rue du Harlay; ils monteront, ils sonneront fort; ils demanderont si on n'a pas vu M. le docteur Rémy. Ils ajouteront qu'on le cherche dans tout le quartier, qu'il doit y être, qu'il faut qu'on le trouve, attendu qu'il est demandé par un minis tre, par un prince et par un banquier.

John. Oui, monsieur.

« PrécédentContinuer »