Dont on aurait grand tort d'être si fort éprise. SCÈNE VII. Célimène, Eliante, Alceste, Philinte. Alc., (à Cél.) Hé bien! je me suis tû, malgré ce que je voi, Et j'ai laissé parler tout le monde avant moi. Ai-je pris sur moi-même un assez long empire? Cél. Oui, vous pouvez tout dire ; Alc. Hé! le puis-je, traîtresse? Puis-je ainsi triompher de toute ma tendresse? Et, quoiqu'avec ardeur je veuille vous haïr, Trouvé-je un cœur en moi tout prêt à m'obéir? (A Eliante et à Pilinte.) Vous voyez ce que peut une indigne tendresse, C'est par-là seulement que, dans tous les esprits, Cél. Moi, renoncer au monde avant que de vieillir! Alc. Et, s'il faut qu'à mes feux votre flamme réponde, Cél. La solitude effraie une âme de vingt ans. SCÈNE VIII. Eliante, Alceste, Philinte. Alc., (à Eliante.) Madame, cent vertus ornent votre beauté Et je n'ai vu qu'en vous de la sincérité; De vous, depuis long-temps, je fais un cas extrême : Mais laissez-moi toujours vous estimer de même; Et souffrez que mon cœur, dans ses troubles divers, Ne se présente point à l'honneur de vos fers: Je m'en sens trop indigne, et commence à connaître Que le ciel pour ce nœud ne m'avait point fait naître, Que ce serait pour vous un hommage trop bas Que le rebut d'un cœur qui ne vous valait pas ; Et qu'enfin... Eli. Phil. Ah! cet honneur, madame, est toute mon envie, Alc. Puissiez-vous, pour goûter de vrais contentements, L'un pour l'autre à jamais garder ces sentiments! Trahi de toutes parts, accablé d'injustices, Je vais sortir d'un gouffre où triomphent les vices, Phil. Allons, madame, allons employer toute chose Pour rompre le dessein que son cœur se propose. MÉROPE TRAGÉDIE EN CINQ ACTES, PAR VOLTAIRE. [MARIE FRANÇOIS AROUET DE VOLTAIRE, né à Châtenay près Paris ea 1694, est un des plus beaux génies qu'ait produits la France. Son stylo est toujours clair, vigoureux et précis. Dans ses poésies légères, où il n'a pas d'égal en France, et dans ses contes philosophiques, il a montré tout ce que l'esprit a de plus fin, de plus flexible et de plus piquant; mais dans les sujets graves qu'il a traités, son style a la richesse, la majesté, et l'écla. qui leur conviennent. Ses principaux ouvrages sont: La Henriade, Edipe, Zaire, Mérope, Alzire, Mahomet, l'Histoire de Charles XII., le Siècle de Louis XIV, l'Essai sur les Mœurs, le Dictionnaire Philosophique. Voltaire se montre généralement un des plus enthousiastes adorateurs de l'Éternel, et un des plus sincères admirateurs de ses œuvres; et dans sa défense de Calas et de Sirven, il montre également qu'il fut l'ardent défenseur de l'humanité et de la tolérance. Il mourut à Paris en 1778.] PERSONNAGES. MÉROPE, Veuve de Cresphonte, EGISTHE, fils de Mérope. NARBAS, vieillard. La scène est à Messène, dans le palais de Mérope. ACTE PREMIER. SCENE PREMIÈRE. Mérope, Isménie. Ism. Grande reine, écartez ces horribles images; Goûtez des jours sereins, nés du sein des orages. Les dieux nous ont donné la victoire et la paix : Ainsi que leur courroux ressentez leurs bienfaits; Messène, après quinze ans de guerres intestines, Lève un front moins timide, et sort de ses ruines. Mér. Quoi! Narbas ne vient point! Reverrai-je na fils? Ism. Vous pouvez l'espérer: déjà d'un pas rapide Vos esclaves en foule ont couru dans l'Élide La paix a de l'Élide ouvert tous les chemins. Vous avez mis sans doute en de fidèles mains Ce dépôt si sacré, l'objet de tant d'alarmes. Mér. Me rendrez-vous mon fils, dieux témoins de meg larmes ? Égisthe est-il vivant? Avez-vous conservé Cet enfant malheureux, le seul que j'ai sauve? C'est votre fils, hélas! c'est le pur sang d'Alcide. Du plus juste des rois, et du plus grand des dieux, Ism. Mais quoi! cet intérêt et si juste et si tendre Mér. Je suis mère; et tu peux encor t'en étonner? Mér. Mon cœur a vu toujours ce fils que je regrette: Un mot seul de Narbas, depuis plus de quatre ans, |