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faut attribuer ce phénomène à la répugnance naturelle de la sangsue à tirer le sang d'un animal mort; car elle ne reste attachée qu'un instant à l'homme qui vient de mourir, et d'ordinaire elle refuse de le mordre.

On objectera contre l'explication donnée des phénomènes de la déglutition, qu'il peut y avoir d'autres organes et d'autres muscles plus essentiels à cette fonction que les tuniques musculaires des lèvres, du canal alimentaire et des. tégumens; que ces tuniques ne peuvent opérer seules la déglutition et principalement le mouvement alternatif et régulier du canal alimentaire; et qu'il faut nécessairement avoir recours à un autre système pour expliquer la déglutition.

C'est pourquoi on a imaginé que le mécanisme des organes de la déglutition ressembloit à celui de la pompe. La sangsue, après avoir fixé sa queue, et arqué son dos de manière que son ventre ne touche à rien, mord les tégumens, ouvre le vaisseau sanguin, et retire ses dents pour se mettre à pomper: le corps de l'animal fait les fonctions de la pompe et de piston; les lèvres font le vide; la soupape à piston est le centre des mamelons charnus pla

cés au fond de la bouche: le point fixe d'où part le mouvement de la pompe est la queue; c'est là que commence le mouvement alternatif, mouvement qui se communique d'anneau en anneau, jusqu'à celui auquel sont attachés les mamelons qui soutiennent la soupape.

Mais coupez l'extrémité inférieure d'une sangsue attachée à un vaisseau sanguin et occupée à en avaler le sang, la déglutition continue presque autant de temps que si la sangsue étoit intacte, et il découle de la plaie à peu près la même quantité de sang que l'animal tire du vaisseau sanguin mordu; cependant on a détruit le point fixe d'où part le mouvement de la pompe.

Coupez encore une sangsue lorsqu'elle suce le sang, une ligne ou demi-ligne au-dessous de la bouche, les lèvres restent attachées une, deux ou trois minutes aux bords de l'ouverture que les dents ont faite; pendant ce temps, la sangsue continue d'avaler du sang et de le rendre par la plaie; pourtant le corps de la pompe est détruit.

Le centre des mamelons charnus qu'on dit faire les fonctions de soupape, et qu'on place au fond de la bouche, n'existe point; il est

absolument imaginaire : l'anatomiste ne peut découvrir des mamelons charnus; il voit seulement des faisceaux charnus et de petites rides vers le commencement de l'oesophage, incapables de faire les fonctions de soupape.

Parmi ceux qui ont attribué à la sangsue ce mécanisme de la pompe, il y en a qui préten dent avoir placé sous le récipient d'une machine pneumatique deux sangsues attachées à un cœur d'oiseau encore palpitant; elles abandonnèrent le cœur au bout de trois ou quatre minutes (mais, suivant toute vraisemblance, au moment où l'oiseau mourut ); car la sangsue ne s'attache pas au cœur d'un oiseau placé sous le récipient de la machine pneumatique dont on a pompé l'air. Cette expérience, produite en faveur de l'hypothèse ci-dessus, n'approche pas plus de la vérité que la suivante:

Fixez à une vessie très mince et remplie de sang une sangsue; placez-la sous le récipient de la machine pneumatique, la sangsue, privée d'air, ne cesse point d'avaler et d'exécuter les divers mouvemens propres à la déglutition du sang, de la bouche vers l'extrémité postérieure. -Quelque fines que soient les parois de la vessie contenant du sang, jamais la sangsue

médicinale ne s'y fixe et ne l'entame, soit dans le récipient, soit hors du récipient de la machine pneumatique. On a imaginé cette expé-, rience, parceque tout le monde connoît la voracité de la sangsue pour le sang rouge, et la facilité qu'elle a de faire pénétrer ses dents même à travers des tégumens épais jusqu'au vaisseau sanguin.

Si la sangsue est si vorace et si avide de sang, pourquoi préfère-t-elle certains animaux à sang rouge, à d'autres du même genre dont la peau est plus fine? Pourquoi ne se mordent-elles pas mutuellement? - La transpiration insensible varie suivant les espèces d'animaux; elle peut avoir des qualités telles, que la sangsue répugne à toucher la peau et à s'y attacher: chez l'homme même, principalement chez le malade, on observe souvent que les sangsues refusent de se fixer aux tégumens, ou, si elles s'y attachent, elles mordent, et tombent presqu'aussitôt qu'elles ont avalé un peu de sang, parceque la transpiration insensible ou le sang ont des qualités particulières nuisibles ou désagréables à la sangsue. Il est peut-être des animaux, sur-tout parmi les poissons ou insectes à sang rouge, qu'elle craint d'attaquer.

Ne rangez point au nombre de ces animaux la grenouille, qui passe pour être respectée par la sangsue : l'expérience m'a prouvé le contraire. Les sangsues affamées s'y attachent et en sucent le sang quelquefois jusqu'à la faire mourir. Dans les étangs, elles attaquent souvent certains insectes et poissons à sang rouge.

Les sangsues ne s'entre-détruisent point; elles se caressent et jamais elles ne se mordent; cela tient à l'essence de leur organisation. Ceux qui disent avoir vu des sangsues médicinales affamées s'attacher aux plus foibles, les mordre et en sucer le sang, l'ont imaginé. J'ai tenu pendant quarante années, dans de grands bocaux de verre, des sangsues médicinales ; quelque affamées qu'elles fussent, aucune n'a blessé l'autre.

Toutes les explications que nous venons de donner des différens phénomènes de la déglu tition ne peuvent satisfaire l'observateur; elles doivent même lui paroître futiles et insuffisantes.

Nous ne parlerons ni des sangsues qu'on assure avoir vues naître dans des bocaux de verre, ni des matières dont ces petites sangsues se nourrissent à défaut de sang, ni du mode d'agir de leur bouche en pareille cir

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