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ce la Scéne comique fupérieure à celle des Grecs & des Romains.

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La nature, qui lui avoit été fi favorable du côté des talens de l'efprit, lui avoit refufé des dons extérieurs fi néceffaires au Théatre, fur-tout pour les rôles tragiques. Une voix fourde, des inflexions dures, une volubilité de Langue qui précipitoit trop fa déclamation, le rendoient, de ce côté, fort inférieur aux Acteurs de l'Hôtel de Bourgogne. Il fe fit juftice, & fe renferma dans un genre où ces défauts étoient plus fupportables. Il eut même des difficultés à furmonter pour y réuffir; & ne se corrigea de cette volubilité, fi contraire à la belle articulation, que par des efforts continuels, qui lui cauferent un hoquet qu'il a confervé jufqu'à la mort, & dont il fçavoit tirer parti en certaines occafions. Pour varier fes inflexions, il mit le premier en usage certains tons inufités, qui le firent d'abord accufer d'un peu d'affectation, mais auxquels on s'accoutuma. Non feulement il plaifoit dans les rôles de Mafcarille, de Sganarelle, d'Hali, &c; il excelloit encore dans les rôles de haut comique, tels que ceux d'Arnolphe, d'Orgon, d'Harpagon. C'eft alors que, par la vérité des fentimens, par l'intelligence des expreffions, & par toutes les fineffes de l'art, il féduifoit les Spectateurs, au point qu'ils ne diftinguoient plus le perfonnage repréfenté, d'avec le Comédien qui le repré fentoit; auffi fe chargeoit-il toujours des

rôles

rôles les plus longs & les plus difficiles. Il s'étoit encore réfervé l'emploi d'Orateur (t) de fa troupe.

Le foin avec lequel il avoit travaillé à cor. riger & à perfectionner fon jeu, s'étendoit jufques fur fes camarades. L'Impromptu de Verfailles, dont le fujet eft la répétition d'une Comédie qui devoit fe jouër devant le Roi, eft l'image de ce que Moliere faifoit probablement dans les répétitions ordinaires des Piéces qu'il donnoit au Public.

Rien de ce qui pouvoit rendre l'imitation plus vraye & plus fenfible, n'échappoit à fon attention. Il obligea fa femme, qui étoit extrêmement parée, à changer d'habit, parce que la parure ne convenoit pas au rôle d'Elmire convalefcente, qu'elle devoit repréfenter dans Tartuffe. Mais il ne fe bornoit pas feulement à former fes Acteurs; il entroit dans toutes leurs affaires, foit générales, foit particulières; il étoit leur maître & leur camarade, leur ami & leur (u) protecteur;

(t) Chaque Troupe avoit, dans ce tems là, un Acteur, qui feul faifoit l'annonce des Piéces, & qui haranguoit le Public dans l'occafion. Moliere, quelques années avant fa mort, avoit cédé cet emploi au Comédien la Grange.

(u) Non feulement, en 1665, il obtint pour fa troupe le titre de troupe du Roi, avec fept mille livres de penfion; mais, fur les inftances réitérées de fes camarades, il demanda, & obtint un ordre du Roi, pour qu'aucunes perfonnes de fa maifon n'entraffent à la Comédie fans payer. Voyez Grimareft, page 131.

tecteur; auffi attentif à compofer pour eux (x) des rôles qui fiffent valoir leurs talens, que foigneux d'attirer dans fa troupe des fujets qui püffent la rendre plus célèbre. On fçait que le bruit des heureufes difpofitions du jeune Baron, alors àgé d'environ onze ans, avoit déterminé Moliere à demander au Roi un ordre pour faire paffer cet enfant, de la troupe de la Raifin (y), dans la fienne. Baron, élevé & inftruit par Moliere, qui lui tint lieu de pere (2), eft devenu le Rofcius de fon fiécle. La Beauval quitta la Province pour venir briller fur le Théatre du Palais Royal.

Mo.

(x) Il avoit de Croify en vûë, lorfqu'il compofa le rôle de Tartuffe; comme, dans la fuite, profitant de la taille & des graces de Baron encore jeune, il lui deftina le rôle de l'Amour dans Pfiché.

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(y) La Raifin, veuve d'un Organiste de Troyes, avoit formé une troupe de jeunes enfans, fous le nom de troupe Dauphine; elle pria Moliere en 1664, de lui préter fon Théatre pour trois représentations: Moliere, informé du uccès qu'avoit eu le jeune Baron les deux premiers jours, réfolut, quoique malade, de fe faire porter au Palais Royal à la troifiéme repréfentation & obtint le lendemain un ordre du Roi, pour faire entrer Baron dans fa troupe. Voyez Grimareft, page 95 & 101.

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(2) Baron étoit fils d'un Comédien & d'une Comédienne de l'Hôtel de Bourgogne. Son pere étoit mort au mois d'Octobre 1655; & fa mere, au mois de Septembre 1662. Voyez Mufe Historique de Loret, Lettre 40, de l'année 1655, & Lettre 35, de l'année 1662.

Moliere, qui s'égayoit, fur le Théatre, aux dépens des foibleffes humaines, ne put fe garantir de fa propre foibleffe. Séduit par un panchant qu'il n'eut ni la fageffe de prévenir, ni la force de vaincre, il envi fagea la fociété d'une femme aimable, comme un délaffement néceffaire à fes travaux; ce ne fut pour lui qu'une fource de chagrins. Les perfonnes qui attirent les yeux du public, font plus expofées que les autres à fa malignité & à fes plaifanteries. Le mariage qu'il contracta avec la fille de la Comédienne Béjart, lui fit d'abord éprouver ce que la calomnie (a) a de plus noir. Le peu de rapport entre l'humeur d'un Philofophe amoureux, & les caprices d'une femme légére & coquette, répandit, dans la fuite, fur fes jours bien des nuages, dont on abufa pour jetter fur lui le ridicu le qu'il avoit fi fouvent joué dans les autres. Il perdit enfin fon repos, & la douceur de fa vie; mais fans perdre aucun des agrémens de fon efprit.

Plus heureux dans le commerce de fes amis, il les raffembloit à Auteuil, dès que

fes

(a) On difoit que Moliere qui avoit été amoureux de la Béjart, avoit épousé fa propre fille, mais elle étoit née en Languedoc avant qu'il eût fait connoiffance avec la mere; d'ailleurs, Grimareft affûre qu'elle étoit fille d'un Gentilhomme d'Avignon, nommé Modéne. Voyez page 21.

fes occupations lui permettoient de quitter Paris ou ne l'appelloient pas à la Cour. Eftimé des hommes les plus illuftres de fon fiécle, il n'étoit pas moins chéri & careffé des grands. Le Maréchal Duc de Vivonne vivoit avec lui dans cette familiarité, qui égale le mérite à la naiffance. Le grand Condé exigeoit de Moliere de fréquentes vifites, & avouoit que fa converfation lui ap. prenoit toujours quelque chofe de nouveau.

Des diftinctions fi flateuses n'avoient gâté ni fon efprit ni fon cœur,

Baron lui an. nonça un jour à Auteuil un homme " que l'extrême mifére empêchoit de paroître; il Je nomme Mondorge (b), ajouta-t-il. Je le connois, dit Moliere, il a été mon camarade en Languedoc, c'est un bonnête bomme; que jugez-vous qu'il faille lui donner? Quatre piftoles, dit Baron, après avoir hé fité quelque tems. Hé bien, reprit Moliere, Je vais les lui donner pour moi, donnez - lui ces vingt autres que voilà. Mondorge parut, Moliere l'embraffa, le confola, & joignit au préfent qu'il lui faisoit, un magnifique habit de Théatre, pour jouër dans les rôles tragiques. C'eft par des exemples pareils, plus fenfibles que de fimples difcours, qu'il s'appliquoit à former les mœurs de celui qu'il regardoit comme fon fils.

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(b) Son nom de famille étoit Mignot.

On

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