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tout le monde saluait, disent les mémoires du temps, comme le soleil levant. Mais cette princesse accoucha d'une fille, et inourut trois jours après. Gaston voulut alors se remarier, avec Marie de Mantoue; le roi et la reine mère surtout repoussèrent ce parti. Gaston, irrité de cette opposition, laquelle le cardinal avait la plus grande part, abandonna la cour, et se retira dans ses gouvernements pour de là quitter le royaume. On négocia. Les conseillers de Monsieur demandèrent formellement pour lui quatre places de sûreté, Amboise, Tours, Saumur et Angers, sous le prétexte que sa vie était continuellement menacée en France. Après de longs pourparlers, Gaston obtint une partie de ses demandes, et se décida à rentrer en France.

Dans la lutte violente qui s'était engagée entre Marie de Médicis et Richelieu, Gaston soutint sa mère; mais la journée des Dupes mit la cour aux pieds du ministre. Gaston signe un nouvel acte de soumission aux ordres du roi ou plutôt de Richelieu; mais quand il apprend qu'on veut éloigner de sa personne ses conseillers, l'abbé Le Coigneux et Puy-Laurens, il va trouver le cardinal dans son hôtel avec une nombreuse suite de gentilshommes, le menace brutalement de sa colère, et lui déclare en face qu'il est son ennemi mortel.

Après cette belle équipée, il s'enfuit en Lorraine, où le duc Charles IV, qui redoutait Richelieu, écouta favorablement le projet d'une ligue contre lui, et donna sa sœur Marguerite en mariage au duc d'Orléans. Aussitôt on fait de grands préparatifs de guerre. Richelieu demanda au duc des explications, et le menaça de faire venir le roi de France à Nancy pour être de sa noce. L'arrivée de Louis XIII, força en effet Charles IV à congédier ce gendre incommode, dont il avait pénétré l'incapacité. Gaston partit pour Bruxelles, où l'appelait sa mère. De là Monsieur entretint des correspondances avec tous les mécontents de France, Le duc de Montmorency, gouverneur du Languedoc, devait le recevoir dans sa province. Le duc de Lorraine s'engagea également à se déclarer ouvertement pour le prince dès que son armée entrerait en France, Monsieur mit cette fois une célérité remarquable dans l'exécution de ses desseins; il courut à Nancy, saluer à la dérobée sa femme, et l'assurer de lui être toute la vie bon et fidèle mari; puis on le vit retourner à Bruxelles rejoindre les siens, et en repartir aussitôt. Il franchit la frontière à la tête de quinze cents cavaliers espagnols, allemands et italiens, répandant à pleines mains des proclamations dans lesquelles il se nommait le libérateur du roi et du peuple. Le maréchal de Schomberg, chargé de le poursuivre, se jeta du côté du Languedoc, ɔù le prince dirigeait sa marche par les Cévennes et le Gévaudan. Les deux armées se rencontrèrent à Castelnaudary, où la bataille s'engagea avec une déplorable confusion de la part des rebelles, qui y furent vaincus. Gaston recourut alors aux négociations, et accepta avec empressement les conditions les plus sévères, parmi lesquelles il faut distinguer celle qui défendait au prince toute communication avec l'Espagne, la Lorraine et la reine mère. Monsieur écrivit ensuite au roi et au cardinal une lettre pleine de repentir, dans laquelle il implorait leur elémence, et faisait en particulier l'éloge des grandes vertus de Richelieu. Après l'exécution du duc de Montmorency, dont il avait vainement demandé la grâce, Gaston recommença ses oppositions de prince inquiet plutôt que remuant, et repartit pour la Flandre, où les Espagnols le reçurent avec de grandes démonstrations d'amitié et où il déclara son mariage, resté secret jusquealors, De son côté, Richelieu, qui avait nourri le projet de lui donner la main de Mme de Combalet, sa nièce chérie, s'en vengea en dépouillant de ses États le duc de Lorraine. Pour Gaston, entrainé par son inconstance naturelle et les intrigues de ses lavoris, il abandonna tout à coup sa mère, son beau-père et les Espagnols, demanda de nouveau pardon et obtint de rentrer en France. Quelque temps après, il fut de nouveau question de la rupture de son mariage. Selon sa coutume, Gaston, se sentant incapable de résister, prend la fuite. Le ministre et

Louis XIII font courir après lui, et on ne le ramène qu'avec la plus grande peine. Bientôt il ourdit avec le comte de Soissons un nouveau complot contre le cardinal. Il s'agissait cette fois de l'assassiner à Amiens, Deux gentilshommes Montrésor et Saint-Ibal, devaient le frapper de leur poignard au sortir du conseil ; ils n'attendaient que le signal, mais le cœur faillit à Gaston pour le donner. Le comte de Soissons dut quitter le royaume ; quant à Monsieur, à force de bassesses, il obtint encore une fois son pardon, ce qui ne l'empêcha pas un peu plus tard d'entrer dans la conspiration de C in q-Mars, le jeune et frêle courtisan qui voulut renverser le colosse contre lequel s'était brisée toute la haute noblesse de France, et de traiter de nouveau avec l'Espagne. Cette fois, quand ses complices furent aux mains de l'implacable ministre, la conduite de Gaston le couvrit ́d'infamie. Il les chargea dans ses réponses au chancelier, et seules elles servirent de preuves contre eux. Ríchelieu daigna encore lui faire grâce de la vie, en déclarant qu'il avait mérité la mort. Il fut exilé à Blois. Ses apanages lui furent retirés, et ses compagnies d'ordonnance cassées. Cependant, Richelieu était mourant: Louis XIII rappela Monsieur, qui arriva pour suivre le deuil du grand ministre. Le roi, se sentant près de suivre le cardinal au tombeau, fit une déclaration par laquelle il confiait la régence à la reine et la lieutenance générale à Gaston; en outre, il reconnut la validité de son mariage. Monsieur se réhabilita quelque peu par ses trois campagnes de 1644, 1645 et 1646, pendant lesquelles il prit aux Espagnols Gravelines, Mardick et Cambray, Pendant les troubles de la Fronde, Gaston ne joua qu'un rôle inférieur, se mêlant par caractère à toutes les intrigues, qu'il ne sut pas même dominer, Fidèle d'abord à l'autorité de la reine, il se fit chef de faction par les suggestions continuelles dé Mademoiselle de Montpensier, sa fille chérie. A qui connaît cette singulière époque de confusion et d'anarchie, la versatilité de Gaston, gouverné par l'abbé de La Rivière et le cardinal de Retz, paraîtra naturelle. En 1649 il se joint à Condé, qui fait le blocus de Paris; en 1650 il le fait mettre à Vincennes, ainsi que le prince de Conti et le duc de Longueville, par la suggestion de madame de Chevreuse; en 1651 il traite avec les Espagnols, dénonce au parlement, avec une certaine éloquence, les fourberies, l'égoïsme et l'avidité scandaleuse de Mazarin, et ramène en triomphe à Paris les princes mis en liberté.

Le jour où le roi atteignit sa majorité, it ôta les sceaux à Châteauneuf, et les remit à Seguier. Monsieur, irrité de n'avoir point été consulté, refusa de reparaître au conseil, et recommença ses intrigues. Quand le prince de Condé, d'abord retiré à Saint-Maur et ensuite à Bordeaux, eut pris les armes et menacé sérieusement la reine, Gaston, changeant de système, et n'osant prendre un parti décisif, se fit négociateur officieux entre la cour et le prince. La guerre une fois déclarée, le duc d'Orléans tomba dans les plus étranges perplexités : tout l'effrayait et le désolait dans les réso. lutions qu'il voyait prendre. Enfin, il se détermina ouvertement pour Condé, auquel il envoya un renfort considérable. On connait les événements de cette guerre. Le rival de Turenne, poursuivi jnsqu'à Paris, se vit obligé de livrer un combat dans le faubourg Saint-Antoine. Dans cette circonstance critique, Monsieur ne bongea pas de son palais, et Condé, qui espérait toujours en être secouru, allait être battu, si Mademoiselle ne l'eût délivré en tirant le canon de la Bastille.

Après la victoire de son parti, Gaston vint à l'hôtel de ville, et se prêta à toutes les violences qui eurent lieu dans la journée du 4 juin 1652. Un conseil nouveau fut formé, dont il fit partie. Cependant, les deux factions étaient lasses de combattre, et la bourgeoisie ne supportait qu'avec impatience le fléau de l'anarchie. D'un autre côté, les Espagnols s'avançaient pour profiter de nos querelles intestines. Tous les bons esprits se rangèrent autour du roi, dont la volonté commençait à se faire sentir. Alors des négociations s'entamèrent; mais la cour, qui sentait la force et i'influence lui re

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tenir, ne voulait recevoir aucune condition. Monsieur cherchait à faire sa paix, et devenait suspect au parlement. Le prince de Condé, en défiance contre tout le monde, et se croyant trahi à chaque instant, ne savait plus quel parti prendre; tout à coup, on apprit l'arrivée du roi à Paris, qui venait de passer de l'enthousiasme de la révolte à l'enthousiasme de la soumission : ce fut le terme de ce conflit déplorable d'opinions, de craintes et d'espérances. Monsieur se livra d'abord aux accès d'une colère violente, et à l'entendre, dit le cardinal de Retz, on aurait pensé « qu'il était à cheval, armé de toutes pièces, et prêt à couvrir de sang et de carnage les campagnes de Grenelle et de Saint-Denys »>, Il n'en fit rien, et se décida au contraire à faire une soumission complète.

Ainsi finit pour le duc d'Orléans ce triste rôle de factieux, joué sans dignité, sans esprit et sans courage. Louis XIV,❘ avant de faire son entrée dans Paris, signifia à son oncle l'ordre d'en sortir sur-le-champ. Il fallait obéir; Monsieur se résigna, et (vint habiter son château de Blois. De là il intrigua une dernière fois pour rentrer en gråce avec le roi, et y réussit. Toutefois, il ne parut plus que rarement à la cour. Le prince passa ses dernières années dans de tristes querelles avec Mademoiselle, sa fille. Sa santé, altérée par de continuelles anxiétés, ne lui laissait plus que peu de temps à vivre. Il appela la religion au secours de son âme, toujours inquiète et agitée, et se livra jusqu'à son dernier soupir à des exercices de piété. Il mourut le 2 février 1660, à l'âge de cinquante-deux ans.

Outre Anne-Marie-Louise, connue sous le nom de Mademoiselle, qu'il avait eue de son premier mariage, trois filles que lui avait données sa seconde femme éponsèrent, l'une Cosme III de Médicis, l'autre le duc Louis-Joseph de Guise, la troisième Charles-Emmanuel II, duc de Savoie. Le cardinal de Retz a dit de lui : « C'était l'homme du monde qui aimait le plus le commencement des affaires et qui en craignait le plus la fin. Il entra dans toutes, parce qu'il n'avait pas la force de résister à ceux qui l'entralnaient, et il en sortit toujours avec honte, parce qu'il n'avait pas le courage de les soutenir. » Du reste, il avait l'esprit vif et la repartie prompte; il aimait, comme sa mère, les tableaux et les antiques; il recherchait aussi les médailles, et s'occupait de botanique. On lui attribue des Mémoires de ce qui s'est passé de plus considérable en France depuis l'an 1608 jusqu'en 1635 ( Amsterdam, 1683). Ils ont été revus ou rédigés par Algay de Martignac...

11 lui a soufferts dans sa jeunesse. il aimait à être avec des femmes et des filles, à les habiller et à les coiffer; il savait ce qui seyait à l'ajustement mieux que les femmes les plus curieuses; et sa plus grande joie, étant devenu plus grand, était de les parer et d'acheter des pierreries pour prêter ou donner à celles qui étaient assez heureuses pour être ses favorites. Toute la cour était frappée de la différence qui existait dans l'éducation des deux frères, et c'est avec peine que l'on voyait Lamothe Le Vayer, qui joignait les vertus chirétiennes aux belles qualités des anciens philosophes servir ainsi d'instrument aux volontés du ministre. « On n'a jamais vu, dit la princesse Palatine, deux frères plus différents que le roi et Monsieur : le roi était grand et cendré; il avait un air mâle et une belle mine; Monsieur, sans avoir un air ignoble, était très-petit; il avait les cheveux et les sourcils très-noirs, de grands yeux d'une couleur foncée, un visage long et assez étroit, un grand 'nez, une bouche trop petite, et de vilaines dents; il n'aimait qu'à jouer, tenir un cercle, bien manger, danser et se parer, en un mot, tout ce qu'aiment les femmes. »)

A la mort de Mazarin, le duc d'Orléans épousa la princesse Henriette, sœur de Charles Ier, roi d'Angleterre. Le cardinal avait longtemps repoussé ce mariage, et la reine mère ne l'avait jamais jugé avantageux. Le jeune roi s'était plusieurs fois efforcé d'en dissuader Monsieur. Il lui disait, en faisant allusion à la maigreur extrême de Henriette, qu'il ne devait pas se presser d'aller épouser les os des SaintsInnocents. Après son mariage, Madame alla loger aux Tuileries, où le roi venait la voir tous les jours. Philippo se montra jaloux des assiduités de son frère, dont on ne manqua pas de dénaturer à ses yeux le motif. Bientôt Louis XIV finit par tenir chez Madame sa propre cour; et la vive amitié qu'il lui témoignait alors dura jusqu'à la mort de cette princesse.' V

Les plaisirs dont cette cour était remplie prirent par degrés un caractère de licence et bientôt de corruption profonde, que la présence d'une épouse et la dignité du roi furent impuissantes à réprimer. « Le miracle d'enflammer le cœur de Monsieur n'était réservé à aucune femme, » a dit Mme de La Fayette. Le maître de la maison de Monsieur était le chevalier de Lorraine, âme perverse, esprit sans frein, capable de tous les crimes pour servir ses passions et celles d'un mattre qu'il avait initié aux secrets des plus honteuses débauches. Le roi, qui voulait une certaine grandeur, même dans les derniers plaisirs, ne se put défendre d'un violent dégoût pour la basse immoralité de cet homme; il le fit arrêter chez Monsieur, et enfermer au château d'If, d'où le chevalier ne sortit que pour être conduit à Rome, avec la défense de rentrer jamais en France. Monsieur attribua ces mesures sévères à sa femme, contre laquelle il avait déjà des soupçons d'une nature grave, et dès ce moment la plus vive dissension éclata entre les époux. Il fallut même que le roi intervint pour protéger Madame contre des traitements indignes de son rang et du prince qui les exerçait. Une des causes de l'intimité qui régnait entre Louis XIV et sa belle-sœur était le désir qu'avait le roi de se lier intimement avec la cour d'Angleterre, où Madame avait conservé les plus étroites relations. Il l'employa dans plusieurs négociations épineuses, dont la princesse sortit toujours avec bonheur. Monsieur, qui n'était pas dans la confidence du motif véritable des voyages mystérieux de sa femme à Londres, en témoigna publiquement un profond mécontentement. On avait d'ailleurs parlé à la cour des liaisons suspectes de Madame avec le duc de Monmouth et le comte de Guiche. Le 13 juin 1670 elle mourait subitement, d'une mort que Saint-Simon et la princesse Palatine attribuent au poison. On ne sait si le prince éprouva une douleur véritable de cette mort, mais il en donna tous les signes. Retiré à Rueil, chez Mme d'Aiguillon, il y passa quelques jours dans la retraite. A l'expiration du temps de son deuil, Philippe d'Orléans épousa Élisabeth-Charlotte de Bavière, dont le choix tout politique pouvait être utile à Louis XIV dans ses rela

P.-F. TISSOT, de l'Académie Française. ORLEANS (PHILIPPE I, duc d'), de la branche héréditaire de Bourbon-Orléans, second fils de Louis XIII et d'Anne d'Autriche et frère unique de Louis XIV, naquit à SaintGermain-en-Laye, le 21 septembre 1640. A la mort de son père, il prit le titre de Monsieur, bien que Gaston le gardât encore. Jusqu'à la mort de son oncle, il porta le titre de duc d'Anjou, et reçut alors en apanage le duché d'Orléans avec ceux de Valois et de Chartres et la seigneurie de Montargis. Le duché de Nemours lui fut accordé en 1672, et celui de Montpensier lui fut légué en 1693, par sa cousine, ma. demoiselle de Montpensier. Lamothe Le Vayer fut chargé de l'éducation du jeune prince, qui montrait dans son enfance plus de dispositions que son frère, destiné à devenir roi. L'habile et savant précepteur avait résolu de ne rien négliger pour les développer, quand le cardinal Mazarin lui dit un jour : « De quoi vous avisez-vous de faire un habile homme du frère du roi? S'il devenait plus savant que le roi, il ne saurait plus obéir aveuglément. » Mazarin fut compris; et il faut lire dans Mme de Motteville ce que devait produire un éducation conçue dans l'intérêt d'une mauvaise politique. « Ce prince, dit-elle, eut de l'esprit aussitôt qu'il put parler. La netteté de ses pensées était ac-m compagnée de deux belles inclinations qui commençaient à paraître en lui, et qui sont nécessaires aux personnes de sa naissance, la libéralité et l'humanité. Il serait à souhaiter 41.'an eat travaté à lui ôter les vains amusements qu'on

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tions avec l'Allemagne. La princesse Palatine, Anne de Gonzague, avait favorisé ce mariage; il fallut peu de négociations pour l'achever. « Vous comprenez bien, disait à cette occasion Mme de Sévigné, la joie qu'aura Monsieur d'avoir à se marier en cérémonie, et quelle joie encore d'avoir une femme qui n'entend pas le français. » Après quelques années passées en bonne intelligence, les deux époux se séparèrent ensuite, et ne se virent que pour satisfaire aux

convenances.

En 1670 Monsieur suivit son frère à la conquête de la Hollande, et s'empara de Zutphen et de Bouchain. Il se couvrit de gloire à la bataille de Cassel, qu'il gagna le 11 avri! 1671, sur le prince d'Orange, et dans laquelle il eut un cheval tué sous lui. Cependant, Monsieur n'avait pas les qualités de l'homme de guerre; il n'aimait pas à monter à cheval, et craignait les intempéries du ciel; aussi les soldats disaient de lui: Il craint plus le soleil et le hále qu'il ne craint la poudre et les coups de mousquet. Quoique Louis XIV eût témoigné publiquement sa satisfaction des glorieux succès de son frère, « il n'en prit pas moins la résolution, dit Saint-Simon, résolution bien tenue depuis, de ne jamais donner à Monsieur une armée à commander. » Ainsi forcément rendu à l'oisiveté, le duc d'Orléans retourna à ses odienses habitudes, sans plus se mêler désormais au grand mouvement politique, militaire et intellectuel, qui se faisait à ses côtés. Parmi les femmes, jeunes et vieilles, qui se pressaient autour de lui, il remarqua une demoiselle de Grancey, à laquelle il fit une cour assidue, et qu'il aima bientôt d'une véritable passion. Sa jalousie était extrême: « Je vous supplie, écrivait Mme de Sévigné, que toutes les jalousies se taisent devant celle de Monsieur: c'est de la quintessence de jalousie, c'est la jalousie même. »>

Monsieur se plaisait beaucoup à bâtir; il fit des constructions nouvelles au Palais-Royal, que Louis XIV lui avait donné à titre d'apanage. Mais ce n'était pas le plus singulier de ses goûts : « Il trouvait tant de plaisir au son des cloches, dit Madame, qu'il venait exprès à Paris à la Toussaint pour entendre les cloches que l'on sonne toute la vigile des morts; il n'aimait pas d'autre musique : tous ceux qui l'ont connu le lui ont reproché. Il en riait lui-même, en avouant que la sonnerie le charmait au delà de toute expression. »

En 1693, la France eut de nouveau à combattre toute l'Europe. Le roi alla se mettre à la tête des armées, et donna l'ordre à Monsieur de se rendre sur les côtes de la Bretagne pour s'opposer au débarquement des Anglais. Cette année fut désastreuse; la disette se joignant aux calamités d'une guerre presque continuelle, la misère du peuple arriva à son comble. Monsieur, en partant pour la Bretagne, emporta des sacs de menue monnaie, qu'il fit distribuer sur son chemin aux malheureux, qui assiégeaient son carrosse.

Vers la fin de ses jours, le prince eut de vifs démêlés avec le roi, par rapport à l'oisiveté dans laquelle on paraissait laisser à dessein le jeune duc de Chartres: dans une ex→plication qui eut lieu entre les deux frères, Monsieur fit entendre au roi un langage sévère, et d'autant plus juste que c'était un père qui s'élevait contre l'odieux système par lequel on abrutissait le plus aimé de ses enfants. Le roi répondit avec douceur, s'efforça même d'écarter de l'esprit de son frère d'odieux soupçons, mais n'en persista pas moins - dens sa résolution de ne confier aucun commandement au jeune duc de Chartres. Cette politique égoïste de Louis XIV avait déjà frappé le père avant d'atteindre le fils. En effet, le roi s'efforça toujours d'éloigner Monsieur des affaires; en même temps qu'il se fit une loi, sans doute pour le dédommager, d'user envers lui d'une excessive politesse. Il voulait que le prince fût honoré, mais non puissant. Aux moindres accidents arrivés dans sa maison, il y courait, portant lui-même des consolations; il eût accordé à Monsieur les grâces les plus éclatantes, si elles n'avaient jamais dû faire de lui un personnage important. Toutefois, cette bien

veillance systématique de Louis XIV pour son frère venalt d'être altérée par les vives explications que l'inaction du duc de Chartres avait provoquées. La princesse Palatine envenima la querelle par sa brusquerie allemande, et madame de Chartres (Ml de Blois, fille naturelle de Louis XIV) vingt augmenter l'irritation générale en allant se plaindre au roi des infidélités multipliées de son époux. Le roi voulut en parler à Monsieur, qui, déposant les bornes du respect, osa répondre que « les pères qui avaient mené certaine vie avaient peu de grâce et d'autorité à reprendre leurs enfants ». Le roi répliqua que le duc de Chartres devait au moins garder quelque respect pour sa femme. « Monsieur, dont la gourmette était rompue, dit Saint-Simon, le fit souvenir d'une manière piquante des façons qu'il avait eues pour la reine, avec ses maîtres. ses, jusqu'à leur faire faire les voyages de son carrosse avec elle. Le roi, outré, renchérit; de sorte qu'ils se mirent tous deux à se parler en pleine tête. Ce fut l'huissier qui entendant tout, s'en vint avertir le roi. On baissa le ton; mais les reproches continuèrent jusqu'à ce qu'on appela le roi pour diner. »

Cette scène avait été violente. Monsieur parut à table tellement rouge de colère qu'une dame fit observer que le prince avait sans doute besoin d'être saigné. Cependant, il mangea beaucoup, selon son habitude. Une pareille impru-dence devait lui devenir fatale. Le soir de cette même journée, il tomba frappé d'apoplexie au milieu de son souper. On lui prodigua inutilement des soins empressés. Lo roi, qui était à Marly, fut averti sur-le-champ, et refusa d'abord de venir, croyant que la nouvelle de l'accident n'était qu'un moyen adroitement préparé pour amener une réconciliation avec son frère. Cependant, les avis sinistres se succédant presque sans interruption, il partit dans la nuit, entralnant toute la cour en désordre, et arriva vers trois heures du matin à Saint-Cloud. Monsieur était alors à toute extrémité. Le père de Trévoux, appelé au chevet du mourant, essayait de le rappeler au souvenir de Dieu; mais le prince n'avait plus aucune connaissance. Le révérend père, après être sorti quelques instants pour dire la messe, revint auprès de son pénitent, et lui cria : Monsieur, ne connaissez-vous pas le bon petit père de Trévoux qui vous parle? Il n'obtint aucune réponse. Au départ du roi, la cour quitta Saint-Cloud, et le prince, qui respirait encore, fut déposé sur un lit de repos, dans son cabinet. C'est là qu'il rendit le dernier soupir, le 9 juin 1701. Il venait de signer d'inutiles protestations contre le testament de Charles II qui appelait le duc d'Anjou au trône d'Espagne, auquel il prétendait, comme fils d'Anne d'Autriche. Monsieur était dévot, et fort attaché à certaines pratiques religieuses qui ne témoignent pas de son bon sens. On peut lire dans les Mémoires de la princesse Palatine, sa femme « la singulière promenade qu'il fit faire une nuit à ses médailles et à ses reliques, sur le corps de celle-ci, sous prétexte qu'elle avait été huguenote. De son premier mariage il eut deux filles Marie-Louise, mariée à Charles II d'Espagne; AnneMarie, mariée à Victor-Amédée II; et de son second lit deux fils, le duc de Valois, mort en bas âge, Philippe, héritier du nom, et une fille, Élisabeth-Charlotte, mademoiselle de Chartres, mariée au duc Léopold-Charles de Lorraine. P.-F. TISSOT, de l'Académie Française. ORLÉANS (PHILIPPE II, duc D'), régent de France pendant la minorité de Louis XV, fils du précédent, naquit à Saint-Cloud, le 4 août 1674, et reçut en naissant le titre de duc de Chartres. Presque tous les gouverneurs qu'on lui donna moururent en peu de temps, ce qui fit dire à Mme de Sévigné, écrivant à sa fille, qu'on ne pourrait jamais élever un gouverneur pour le neveu du roi. Saint-Laurent, l'un d'eux, introduisit auprès du jeune prince, en qualité de sous-précepteur, l'abbé Dubois, qui devait prendre plus tard sur l'esprit de son élève une si déplorable influence. Le jeune Philippe montra des dispositions extraordinaires pour l'étude, et fit des progrès rapides dans les sciences, les

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lettres et les arts. Doue d'une imagination brillante et chevaleresque, d'une âme qui s'ouvrait facilement à toutes les Impressions généreuses, il demanda de bonne heure à faire ses premières armes et à verser pour la France ce sang qui bouillait dans ses veines.

A dix-sept ans il suivit Louis XIV, son oncle, au siége de Mons, et assista plus tard, sous les ordres du duc de Luxembourg, aux batailles de Steinkerque et de Nerwinde. I donna dans ces deux mémorables journées des preuves de la plus grande bravoure. A la seconde surtout, où il avait le commandement de la cavalerie légère, on le vit enfoncer deux lignes ennemies, pénétrer presque seul jusqu'à la troisième, et se frayer un passage l'épée à la main à travers la mêlée. Après cette campagne brillante, il revint à Paris, où le roi le reçut froidement, et ne lui adressa aucun éloge sur sa glorieuse conduite à l'armée. Cet accueil inattendu découragea un instant le jeune prince, qui en ressentit ensuite un juste dépit. A cette première cause de mécontentement vinrent s'en joindre plusieurs autres, d'une haute gravité. Le roi, fidèle à sa politique de ne laisser acquérir aux princes aucune influence sur ses troupes, refusa formellemeut au duc de Chartres la permission de prendre part à la campagne de 1694. Sans ce refus injuste, qui brisa tout à coup l'essor glorieux du jeune prince et le livra sans défense aux séductions de la cour, et surtout aux infâmes suggestions de Dubois, Philippe n'aurait eu que des vertus et des qualités brillantes. Malheureusement, une inaction forcée, un dangereux entourage et son esprit naturellement impatient du repos le jetèrent dans d'affligeants désordres. Las des faciles conquêtes de la cour, il abaissa ses hommages aux pieds d'indignes créatures; plus tard, il se piqua de surpasser en intrigues galantes et aventureuses le 'prince de Conti, longtemps le rival de Lauzun, et pénétra au sein de plusieurs familles honnêtes et respectables, auxquelles il légua d'éternels regrets. Le roi était instruit de ce scandale, et ne faisait rien pour le faire cesser. Philippe entouré d'impures courtisanes, et étouffant sous les plaisirs une noble et radieuse intelligence, convenait mieux à la politique égoïste et jalouse de Louis XIV que Philippe cherchant la gloire et se couronnant de lauriers sous le canon de Nerwinde. Ce que l'on comprendra difficilement, c'est que le roi choisit ce moment pour faire épouser une de ses filles légitimées à son neveu. Toutefois, ce mariage n'eut lieu qu'après de longues et difficiles négociations; Philippe, craignant d'enchaîner une liberté dont il faisait un si funeste usage, témoigna d'abord la plus vive répugnance pour cette union. C'est dans cette circonstance que Dubois montra tout l'ascendant qu'il avait usurpé sur son élève, en le faisant céder aux vœux du roi. Toutefois, le jeune prince ne consentit à marcher à l'autel qu'avec les insignes et les prérogatives de premier prince du sang, titre qui ne lui fut accordé qu'après un fréquent échange de véritables notes diplomatiques entre Versailles et Saint-Cloud, qu'habitait la famille d'Orléans.

La jeune duchesse était belle comme sa mère, MTM de Montespan, mais manquait comme elle de caractère et d'énergie; naturellement indolente, et incapable d'aucun sentiment passionné, elle ne pouvait captiver son époux, et n'en conçut jamais la pensée. Cependant, le prince eut toujours pour elle la plus respectueuse déférence, et renonça même pendant quelque temps à sa vie de dissipation. Mais il ne put résister à des habitudes déjà invétérées, et peu de temps après la mort de son père (1701) il se rejeta avec une nouvelle fureur dans cette carrière brûlante des plaisirs où il avait laissé, comme autant de fleurs flétries, l'amour du travail, le besoin de la gloire et la noble ambition. Le duc d'Orléans parut se réveiller comme d'un sommeil quand il apprit qu'une disposition du testament de Charles II avait appelé au trône d'Espagne la postérité du duc de Savoie après la branche aînée de la maison de France. Il fit contre cette disposition des protestations, qui furent enregistrées au conseil de Castille. Le duc demanda en même temps l'ordre

18 de la Toison, comme étant de droit appelé par sa ligne, et du chef de la reine, sa grand'mère, à la couronne d'Espagne, au défaut de celle de la jeune reine, épouse de Louis XIV. Dès ce moment ses brillantes facultés se ranimèrent : dans l'impossibilité d'opérer lui-même sur un champ de bataille, il s'occupait de l'art de la guerre, recherchait la société des vieux officiers, s'élevait dans la discussion à une hauteur de vues qui frappait tout le monde. En 1706 il obtint un commandement en Italie; mais malgré son habileté et sa bravoure il ne fut pas heureux, il se fit battre devant Turin, perdit tous ses bagages, ses munitions et sa caisse militaire, défaite désastreuse, qui entraîna la perte du Piémont, du Milanais, du Modénais et du royaume de Naples. Pour surcroft de malheur, le duc d'Orléans, dangereusement blessé pendant la bataille, ne put pourvoir au salut de l'armée vaincue, et la retraite se fit dans le plus grand désordre.

L'année suivante il passa en Espagne, où il soumit en courant les provinces de Valence, d'Aragon et de Catalogne, et couronna cette brillante campagne par la prise de Lerida, qui avait résisté au prince de Condé et au duc d'Harcourt. Témoin de l'incapacité et de la faiblesse du roi d'Espagne Philippe V, il conçut la pensée de s'asseoir à sa place sur ce trône que ses armes venaient de protéger. Quelques intrigues entamées dans ce but furent dénoncées à Versailles comme un crime d'État, et le duc se vit gardé à vue et menacé d'une instruction criminelle. Appelé devant le roi, qui l'écouta en juge, il se défendit avec l'accent de l'innocence, mais ne réussit point à convaincre son oncle. Dans toute la famille royale, un seul homme osa prendre le parti de l'accusé en face du reste de la cour; ce fut le duc de Bourgogne. Le duc d'Orléans eut ordre de ne plus reparaître à Versailles.

Philippe s'abandonna alors de nouveau, sous les inspira tions de Dubois, à sa vie insouciante et voluptueuse; mais cette fois, et comme pour s'étourdir sur sa position vis-à-vis de la cour, ou pour lui jeter un gant de défi, il se livra à tous les excès, à toutes les extravagances de la débauche. Sa faiblesse impardonnable pour la duchesse de Berry, sa fille, qu'il avait eu le tort irrémissible d'initier à cette société des roués dont il était l'âme, ses railleries continuelles et presque publiques contre les principes les plus sacrés de la religion et de la morale, lui enlevèrent l'amour du peuple, que lui avaient concilié ses qualités chevaleresques. D'infâmes calomnies, élaborés à Versailles et à Meudon, vinrent lui donner, mais en vain, les plus sévères avertissements : il en est une surtout qui prit une assez forte consistance, et qui fut pour lui la plus cruelle des épreuves. Le dauphin, la dauphine, le duc, la duchesse de Bourgogne, leur fils aîné, étaient morts dans l'espace d'une année, de maladies étranges, dans lesquelles les médecins du roi avaient cru trouver des traces de poison. L'un d'eux, Fagon, en l'affirmant au roi, malgré les dénégations formelles du chirurgien Maréchal, avait semé l'épouvante à la cour. En admettant l'affreuse hypothèse de l'empoisonnement, qui donc était intéressé à commettre ces forfaits multipliés? Chaque victime formait en tombant un degré de plus pour faciliter au duc d'Orléans les approches du trône. On savait qu'il s'était occupé de chimie depuis ses plus tendres années, et qu'il n'avait pas cessé de s'instruire dans la science dont les Voisin et les Brinvilliers s'étaient fait un si terrible instrument de crime. Cette réunion de circonstances fit planer sur le prince les plus affreux soupçons. Le peuple, pratiqué secrètement par le duc du Maine, se porta aux plus violentes manifestations contre le prince, devant le palais duquel on avait à dessein fait passer le convoi de la dauphine; et sans l'énergique intervention du lieutenant de police d'Argenson, le duc d'Orléans, assailli par une populace forcenée, courait les plus grands dangers. Son chimiste, Humbert ou Homberg, court se constituer prisonnier à la Bastille; mais on refuse de l'y recevoir. Le duc demande lui-même à être mis en prison; mais la haute raison

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du roi se refuse à croire au crime dont la voix publique

accuse son neveu.

Avant de mourir, Louis XIV, par l'influence de Mme de Maintenon, avait accordé aux légitimés les titres et prérogatives de prince du sang, et même le droit de succéder à la couronne. En outre, un testament secret, mais que le duc d'Orléans ne tarda pas à connaître dans ses principales dis positions, conférait la garde et tutelle de Louis XV au premier des légitimés, au duc du Maine, ainsi que la présidence d'un conseil de régence institué au préjudice du duo d'Orléans. Le lendemain de la mort du vieux monarque, le parlement tint une séance solennelle pour la lecture du testament; les princes légitimés et le duc d'Orléans y assistaient : cé dernier protesta contre les dernières volontés du roi. Son discours, habilement préparé et prononcé avec fermeté, fit une profonde impression. Le duc du Maine prit à son tour la parole, et, s'animant par degrés, défendit le testament avec une vigueur qu'on n'attendait pas de lui. Mais le parlement, impatient de secouer l'interdiction politique qui pesait sur lui depuis soixante ans, prononça l'annulation du testament et du codicille. Le duc d'Orléans se fit même attribuer le commandement de la maison militaire du roi, que Louis XIV'avait encore donné au duc du Maine. Di

-A peine nommé, Philippe d'Orléans est entouré et encensé par cette même cour qui à Versailles l'avait abrenvé d'humiliations. Il oublie les injures, rassure Mme de Maintenon, effrayée, rappelle les exilés, met en liberté les prisonniers politiques et les jansénistes, et fait luire aux yeux de la nation l'aurore d'un gouvernement tout paternel. Jaloux de justifier les espérances qu'il a fait naître de toutes parts, il organise, selon le plan du duc de Bourgogne, six conseils d'administration, pour les affaires intérieures, étrangères, ecclésiastiques, pour la guerre, la marine et les finances. Il diminue les cadres de l'armée, et rend 25,000 hommes à l'industrie et à l'agriculture. Sa politique à l'extérieur devait être conforme à son désir profond d'éviter la guerre ; il résolut en conséquence d'abandonner la cause des Stuarts; et sur les instances de l'ambassadeur anglais, mylord Stair, il donna l'ordre officiel de faire arrêter le prétendant, auquel il fournit secrètement les moyens de s'échapper. Le système pacifique adopté par le régent permit à la France de réaliser 400 millions d'économie. Toutefois, la dette énorme laissée par le feu roi (plus de trois milliards) pesait toujours sur le pays, dont l'industrie était paralysée; rien n'avait pu combler le déficit des finances, ni la réduction des pensions et les poursuites sévères contre les traitants, ni la refonte des monnaies et la révision des billets, ni le rétablissement de l'impôt du dixième. Le duc de Saint-Simon avait proposé la banqueroute au régént, qui en avait vivement repoussé l'idée. C'est dans ces circonstances que se présenta Law l'Écossais, avec son projet de banque; le régent l'accueillit, écouta l'explication détaillée de ses plans, et les fit adopter par le conseil des finances, malgré une assez vive opposition. Cependant, les créations financières de Law lui créèrent de graves embarras à l'intérieur; il cassa les arrêts du parlement dans un lit de justice, et dans la même séance, voulant accabler ses ennemis d'un seul coup, il fit lire une déclaration qui réduisait les légitimés au rang de duc et pair, à l'exception du comte de Toulouse. Bientôt une nouvelle mesure enleva au duc du Maine la surintendance de la maison du roi; dès ce moment la volonté du régent devint souveraine. Ce coup d'État exaspéra la duchesse du Maine, qui jura de s'en venger à tout prix. Elle se lia secrètement avec le duc de Cellamare, ambassadeur d'Espagne, qui avait ordre de tout entreprendre pour renverser le régent. Et bientôt une vaste conspiration fut ourdie. Le cardinal Alberoni promit aux conjurés l'assistance d'une armée et d'une flotte. Mais la conjuration avora misérablement, et quelques malheureux gentilshommes bretons portèrent leur tête sur l'échafaud. Après avoir signé un traité d'alliance avec les cours de Vienne et de Londies, le régent déclara la guerre à l'Espagne. Tout en te

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nant compte des justes motifs d'irritation qui poussèrent le régent à cette extrémité, il est permis de croire que dans cette circonstance il fut dupe de la politique des deux cabinets avec lesquels il s'alliait, et surtout de celle de PADgleterre, qui tremblait à chaque instant de voir se réaliser le mot célèbre de Louis XIV à son petit-fils: Il n'y aura plus désormais de Pyrénées. L'Espagne, écrasée, demanda la paix. Mais la chute complète du système de Law ébranla la fortune publique. Les querelles religieuses et l'affaire de la bulle Unigenitus se joignirent à tant de maux. Un lit de justice triompha encore de la résistance du parlement; mais l'opinion publique flétrit avec raison cette impolitique mesure, qui réveilla de nouveau toutes les vieilles baines amassées depuis longtemps sur la tête du régent. Par une fâcheuse coïncidence, en ce moment, le roi tomba dangereusement malade. Les bruits d'empoisonnement se répandirent alors de nouveau. La douleur du duc d'Orléans pendant la maladie de Louis XV, les soins dont il l'entoura, et la joie expansive qu'il manifesta à sa guérison, dont le médecin Helvétius eut tout l'honneur, furent d'éloquents démentis à ces infâmes calomnies.

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Cependant, le régent continuait à exciter l'animadversion publique en gardant près de sa personne et en élevant chaque jour davantage l'abbé puis cardinal Dubois, qui était pour lui comme le génie du mal. Les débauches mons→→ trueuses dans lesquelles se plongeait continuellement.Je prince avaient énervé toutes ses facultés, en lui inspirant un dégoût invincible pour le travail. Dubois, qui conserva toujours une grande facilité dans le maniement des affaires, finit par remplacer entièrement son maître. Pourtant, le ré gent, chose incroyable! se sentait au fond du cœur un profond mépris pour le cardinal, et ne craignait pas de le lui témoigner souvent dans les termes les plus énergiques; mais son apathie était devenue tellement irrémédiable qu'il reculait toujours à l'idée de reprendre le fardeau du gouvernement; de là cette odieuse domination qui scandalisait le pays et le déshonorait aux yeux de l'étranger. Il vint même un moment où le prince, abandonnant entièrement à son ministre le soin du royaume, s'enterra tout entier dans l'orgie, pour nous servir de l'expression pittoresque de SaintSimon. Les soupers du Palais-Royal devinrent une école de libertinage. Quand l'heure de ces soupers avait sonné, le prince et ses acolytes se barricadaient pour ainsi dire dans l'appartement, et le régent faisait défense de le déranger de tonte la nuit, quelle que fût la gravité de l'affaire où l'immi-nence du danger.

« Les soupers du régent, dit Saint-Simon, étaient toujours avec des compagnies fort étranges, avec ses inaîtresses, quelquefois des filles de l'Opéra, souvent avec la duchesse de Berry, quelques dames de moyenne vertu et quelques gens sans nom, mais brillant par leur esprit et leur débauche. La chère y était exquise..... les galanteries passées et présentes de la cour et de la ville, les vieux contes, les disputes, rien ni personne n'étaient épargnés. On buvait beaucoup et du meilleur vin; on s'échauffait, on disait des ordures à gorge déployée, des impiétés à qui mieux mieux, et quand on avait fait du bruit et qu'on était bien ivre, on s'allait coucher. Ce qu'il faut dire cependant, c'est qu'au milieu de l'ivresse la plus complète, le régent gardait encore assez de présence d'esprit pour ne révéler jamais les secrets d'État. Il ne laissait prendre aucune influence à ses mattresses, auxquelles il se contentait de faire des cadeaux, ordinairement peu considérables. Mesdames de Parabère et de Sabran, auxquelles il parut le plus longtemps attaché, n'obtinrent pas sur lui une plus grande influence. Il les appelait ordinalrement, même en leur présence, l'une le gigot, l'autre l'aloyau.

Après la mort de son premier ministre, le duc d'Orléans essaya de se relever devant l'opinion publique par une ardeur infatigable pour les affaires : ses journées entières étaient employées aux plus graves conférences. Malheurensernent, il continuait à donner toutes ses nuits au plaisir, et

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