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et ne paraissait point à table. Quelques prêtres le précédaient pour disposer le peuple à la communion, qu'il administrait lui-même à tous ceux qui se présentaient. Il pourvoyait aux besoins spirituels et corporels des habitans de chaque paroisse; il en prenait un état, et voulait qu'on lui mandât ensuite si les abus qu'il avait remarqués étaient véritablement corrigés.

Il entreprit en 1568 la réforme des Humiliati ou Humilies, ordre dont il était le protecteur. Cet ordre avait été fondé dans le onzième siècle, par quelques gentilshommes de Milan, qui, du consentement de leurs femmes, firent les vœux de religion (22). Ils étaient tombés au commencement du seizième siècle, dans un tel relâchement, qu'il n'y avait que cent soixante-dix religieux pour les quatre

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(22) Hélyot, t. VI, se trompe certainement en plaçant 100 ans plus tard le premier établissement des Humiliés. Puricelli a prouvé dans ses Monumenta basilica ambrosianæ, n. 375, etc. que cet ordre existait vers l'an 1033. Mais il faut distinguer trois différentes époques dans l'établissement des religieux dont il s'agit. On doit mettre en 1017, la retraite des gentilshommes lombards, qui, sous le règne de saint Henri, couronné Empereur en 1014, se réunirent en corps de congrégation, prirent le nom d'Humiliés, et ajoutèrent le vœu de chasteté à la pratique des pieux exercices qu'ils faisaient en commun. Cet institut subsista cent ans sans règle écrite. Saint Bernard, étant venu à Milan en 1134, lui en dressa une qui fut adoptée. Saint Gui de Milan était alors général des Humiliés. Ce fut là le second état de cet ordre. Le troisième date de saint Jean Oldrato, appelé vulgairement de Méda, du lieu de sa naissance situé à dix milles de Côme. Il introduisit la règle de saint Benoît, fut ordonné prêtre, et fonda l'abbaye de Rondenario, dans le voisinage de la même ville de Côme. Il mourut à Milan en 1159, et il est honoré le 25 de Septembre, dans le monastère des religieuses de cet ordre, qui subsiste encore. Après l'extinction des Humiliés, l'abbaye de Rondenario fut donnée, en 1589, aux clercs réguliers de Somascho ou Somasque. (Voyez saint Antonin, part. 2, hist. tit. 16, c. 23, et la vie de saint Jean de Méda, avec les remarques du P. Suisken, l'un des continuateurs de Bollandus, ad diem 26 Sept. t. VII, Sept. p. 355).

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vingt-dix monastères que possédait leur congrégation. Leurs supérieurs, qu'on appelait prévôts, faisaient de leurs revenus l'usage qu'ils jugeaient à propos, et vivaient sans règle. Saint Charles obtint du Pape deux brefs, qui l'autorisaient à faire ce qu'il estimerait convenable pour les réformer. Il fit assembler pour cet effet un chapitre général à Crémone, où il publia des réglemens propres à ranimer la ferveur primitive de l'institut. Les religieux les reçurent avec plaisir mais les prévôts et les frères convers refusérent de s'y soumettre.

Le Saint, également autorisé par le Pape Pie V, convoqua à Milan un chapitre de Franciscains conventuels, pour travailler à la réforme des abus qui s'étaient introduits parmi ces religieux. Quelques frères, au nom seul de nouveaux réglemens, poussèrent des cris de rage; ils coururent aux cloches, excitèrent un grand tumulte, et menacèrent de se porter aux dernières extrémités contre le cardinal, s'il osait exécuter ce qu'il projetait (23). Le Saint céda à l'orage pour l'instant, et se retira tranquillement. Mais il reprit depuis son projet, qui fut exécuté dans toutes ses parties. Il unit en un seul corps plusieurs branches de Franciscains. Dans les différentes commissions dont il fut chargé par le Saint-Siége, il se montra toujours digne du choix du Souverain-Pontife. Le zèle, la piété, la prudence, le désintéressement caractérisèrent toutes ses démarches.

Dans la même année 1568, le saint cardinal tint un synode diocésain. Il suivit sa méthode ordinaire; c'était de se faire informer auparavant des besoins de son diocèse par ses vicaires forains, qui s'assemblaient pour conférer ensemble. Le synode dont nous parlons dura trois jours, et l'archevêque y fit deux discours par jour à ses curés, pour exciter leur zèle et leur piété. L'année suivante, il

(23) Hélyot, Hist. des Ord. Relig. t. VI, c. 10, 1. 21; Giussano.

tint son deuxième concile provincial. Il n'eut aucun égard aux prétextes qu'alléguait un évêque de la province, qui était cardinal pour se dispenser d'y assister. Dans une autre occasion, il obligea aussi un évêque, qui était ambassadeur d'un prince, de venir au concile, et de quitter même son ambassade, qui ne pouvait s'accorder avec la résidence. Ayant appris qu'un de ses suffragans avait dit dans une compagnie qu'il n'avait rien à faire, il lui rappela fortement les besoins de son troupeau, et la multitude des devoirs de l'épiscopat. L'évêque se contenta de répondre froidement que le cardinal Borromée portait trop loin sa sollicitude. Le Saint, qu'une telle réponse affligea vivement, lui écrivit une longue lettre, dans laquelle il parcourait les différentes obligations d'un évêque, et il terminait chaque article par ces mots : « Est-il possible qu'un évêque dise

qu'il n'a rien à faire! » Un cardinal, évêque d'un petit diocèse, ayant dit que son siége était trop peu considérable pour exiger une résidence habituelle, Charles sentit son zèle s'enflammer, et il ne balança point de déclarer à ce prélat qu'une seule âme était d'un si grand prix, qu'elle méritait la résidence et tout le temps du plus grand homme de l'univers.

La tranquillité dont le saint archevêque avait joui quelque temps fut troublée de nouveau, et la tempête qui s'éleva contre lui fut plus violente que jamais. Reprenons les choses dès l'origine.

L'église collégiale de Sainte-Marie de la Scala, fondée par Béatrix de la Scala, femme de Barnabé Visconti, seigneur de Milan, se glorifiait de son exemption et de ses priviléges qui lui avaient été obtenus du Saint-Siége par François Sforce II, duc de Milan, qu'elle comptait parmi ses plus insignes bienfaiteurs. Plusieurs chanoines de cette église menaient une conduite qui n'était nullement conforme à la sainteté de leur état. Charles consulta les plus

habiles canonistes de Milan, et le Pape lui-même, sur les moyens qu'il convenait d'employer pour remédier au mal. Tous lui répondirent qu'il avait, en qualité d'archevêque, le droit de faire la visite de cette église, et que dans le cas où il trouverait des abus à réformer, il pouvait procéder contre les coupables. Le Saint alla donc à l'église de SainteMarie de la Scala, dans le dessein d'y faire sa visite, de la manière prescrite par les canons. Mais on lui refusa l'entrée de la porte; la croix même qu'on portait devant lui, et qu'il avait prise dans ses mains pendant le tumulte, fut renversée. Un des chanoines fit sonner la cloche, et osa dire que l'archevêque avait encouru la suspense et les autres censures pour avoir violé les priviléges du chapitre. Le grand vicaire excommunia sur-le-champ les auteurs de l'insulte faite au premier pasteur. Sa sentence fut confirmée le lendemain par l'archevêque dans la cathédrale. Les juges royaux et le sénat prirent avec chaleur le parti des chanoines. Ils envoyèrent à la cour d'Espagne des mémoires violens, où ils accusaient l'archevêque d'ambition et de haute trahison, et où ils le représentaient comme usurpateur des droits du souverain, l'église de Scala étant sous la protection et le patronage de Sa Majesté. D'un autre côté, le gouverneur de Milan écrivit au Pape dans les termes les plus forts, et lui peignit le cardinal comme un traître qui méritait qu'on l'exilât. Le Souverain-Pontife répondit qu'il serait bien glorieux au cardinal de souffrir pour la gloire de Dieu; que son zèle n'avait d'autre objet que d'extirper le vice et les abus du milieu du sanctuaire; que la persécution qu'il éprouvait venait du démon, qui cherchait à empêcher l'effet de ses pieuses intentions. Cette réponse était conçue en termes un peu généraux, parce que le Pape ne voulait se déclarer en faveur de l'archevêque qu'avec une certaine réserve. Au reste, il n'est pas facile de concevoir jusqu'à quel point les ennemis du Saint

portèrent l'animosité. Charles ne leur opposait que la patience, et il ne parla d'eux qu'avec charité dans l'apologie de sa conduite, qu'il envoya à Rome et en Espagne. Sans cesse il priait pour ses persécuteurs, et gémissait sur leur aveuglement; il demandait encore à Dieu de ne pas laisser entrer le ressentiment dans son cœur. Enfin, le Roi d'Espagne ordonna au gouverneur de Milan de révoquer un édit injurieux à la juridiction ecclésiastique, qu'il avait publié ; il lui ordonna encore de soutenir l'archevêque de son autorité, afin qu'il pût exécuter le pieux dessein qu'il avait formé de rétablir la régularité dans le chapitre de la Scala. Les choses changèrent alors de face, le gouverneur se réconcilia avec l'archevêque; le prévôt du chapitre, qui était le moins coupable, demanda et obtint l'absolution des censures qu'il avait encourues; les chanoines persistèrent encore quelque temps dans leur opiniâtreté, mais ils se soumirent à la fin, et furent absous par le Saint. Il se chargea même d'intercéder pour eux auprès du Pape, qui voulait que les coupables fussent punis d'une manière exemplaire.

La contestation dont nous venons de parler n'était point encore finie, lorsqu'on attenta à la vie du cardinal. Les Humiliés, parmi lesquels il avait établi la réforme, faisaient jouer mille ressorts pour en éluder l'effet. Voyant qu'ils ne pouvaient réussir, ils entrèrent en fureur. Trois prévôts de l'ordre résolurent la mort du réformateur, et le nombre des conspirations augmenta bientôt. Un prêtre du même ordre, nommé la Farina, promit, au moyen d'une somme d'argent, d'exécuter cet horrible complot. Il s'imaginait que le soupçon du crime retomberait sur quelques-uns des officiers du Roi, qui étaient alors indisposés contre l'archevêque. Le 26 Octobre 1569, il se posta à l'entrée de la chapelle du palais archiepiscopal, dans le temps où le Saint faisait la prière du soir avec sa maison.

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