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Il n'avait même accepté ces bénéfices, que dans la vue de fonder un collège à Pavie. Lorsqu'il eut pris le grade de docteur, il revint à Milan. Ce fut dans cette ville qu'il reçut la nouvelle de l'élévation du cardinal de Médicis, son oncle, à la papauté. Cette élection se fit le 26 Décembre 1559. Comme le nouveau Pape était patricien de Milan, il y eut de grandes réjouissances dans cette ville, et l'on vint en cérémonie complimenter ses deux neveux. Charles ne donna aucun signe de joie extraordinaire en cette occasion. Il persuada même au comte Frédéric, son frère, de s'approcher avec lui des sacremens de Pénitence et de l'Eucharistie. Le comte fit le voyage de Rome pour aller complimenter son oncle. Mais Charles resta à Milan, où il continua le même genre de vie.

Cependant le Pape lui manda de venir à Rome, et le retint dans cette ville. Il le fit cardinal le dernier jour de la même année; et le 8 Février suivant, il le nomma archevêque de Milan, quoiqu'il ne fût que dans sa vingttroisième année. Il le créa en même temps protonotaire, el le chargea du soin de rapporter les affaires de l'une et de l'autre signature. Le Saint mit tout en œuvre pour ne point accepter ces dignités, et il refusa constamment celle de camerlingue, qui est la seconde et la plus lucrative de la cour romaine. Le Pape le chargea encore de la légation de Bologne, de la Romagne et de la Marche d'Ancône; il le fit, de plus, protecteur de la couronne de Portugal, des Pays-Bas, des cantons catholiques de Suisse, des ordres religieux de saint François et des Carmes, des chevaliers de Malte, etc. La confiance que son oncle avait en lui, était sans bornes, et il gouvernait en quelque sorte l'église sous son nom. Mais s'il recevait de lui tant de marques d'affection et de tendresse, il les payait par un juste retour; il donnait aux affaires la plus grande attention; il les suivait avec zèle; il les discutait avec sagesse, et il en

rendait la décision facile; en un mot, il était la consolation et l'appui du Souverain-Pontife dans toutes les peines et les difficultés qu'entraîne le gouvernement de l'Eglise.

La gloire de Dieu était la fin principale que Charles se proposait dans chacune de ses actions et de ses entreprises. On ne pouvait s'empêcher d'admirer son parfait désintéressement. Son impartialité n'était pas moins admirable; les considérations les plus puissantes n'influait jamais dans ses jugemens. Comme il est très-facile de tomber dans l'erreur, il avait toujours auprès de lui des personnes d'une prudence et d'une vertu reconnues, qu'il écoutait avec docilité, et sans l'avis desquelles il ne prenait aucun parti. L'état ecclésiastique le regardait comme son père; les provisions y furent toujours abondantes, et à un prix qui ne grevait point les indigens. La justice s'y administrait avec autant de promptitude que d'intégrité. Les contradictions ne le rebutaient point; il écoutait toutes les plaintes, et rendait à chacun ce qui lui était dû. La multiplicité des affaires ne l'empêchait point de les expédier, parce qu'il était infatigable, qu'il s'abstenait des amusemens inutiles, et qu'il savait distribuer son temps avec sagesse. Il en trouvait encore pour la prière, pour l'étude et pour la lecture des livres de piété. Il aimait aussi à lire les anciens philosophes, et il avoua depuis qu'il avait beaucoup profité de l'Enchiridion d'Epictète.

Les gens de lettres, qui rapportaient leurs connaissances à l'utilité publique, trouvaient en lui un protecteur zélé; il excitait parmi le clergé l'amour des sciences relatives à la religion. Pour remplir cet objet, et pour bannir en même temps l'oisiveté de la cour du Pape, il établit au Vatican une académie composée d'ecclésiastiques et de laïques. Il s'y tenait de fréquentes conférences, dont le but était d'animer à la pratique de la vertu, et de favoriser le progrès

des bonnes études (2). Il sortit de cette académie, des évêques, des cardinaux, et un Pape, qui est Grégoire XIII. Ce fut là que le Saint vainquit à la longue, la difficulté qu'il avait de parler; il acquit même l'habitude de s'exprimer avec facilité, ce qui depuis le rendit propre à prêcher la parole de Dieu avec fruit et avec dignité; et c'était ce qu'il avait toujours le plus désiré (3). Il perfectionna son style, en lisant les ouvrages philosophiques de Cicéron, qu'il aimait beaucoup.

Charles, pour se conformer à l'usage de la cour de Rome, se logea dans un beau palais qu'il fit meubler magnifiquement. Il prit un équipage somptueux, et eut une table et à un train proportionnés à son rang. Mais son cœur ne tenait point à cette pompe extérieure; ses sens étaient mortifiés au milieu du faste de la grandeur; sa douceur et son humilité n'en souffrirent aucune atteinte. Il ne vit que des dangers dans le crédit dont il jouissait et dans les honneurs qui l'environnaient. Attentif à veiller sur lui-même, il ne cherchait en tout que l'établissement du règne de Jésus-Christ. Il soupirait sans cesse après la liberté des Saints, et il n'y avait que l'obéissance au Chef de l'Eglise qui pût le retenir à Rome.

(2) Les conférences de saint Charles furent imprimées à Venise, en 1748, sous le titre de Noctes Vaticana. Le Saint leur donna lui-même ce titre, parce qu'il les tenait de la nuit, à cause de la multiplicité des affaires publiques qui l'occupaient tout le jour. Dans les premières années, on y discuta plusieurs points de littérature, de philosophie, et d'histoire naturelle. Mais saint Charles voulut, après la mort du comte Frédéric, son frère, qu'elles n'eussent plus pour objet que des matières de religion. Elles continuèrent pendant les cinq années qu'il passa à Rome. Celles qui sont imprimées, traitent des huit béatitudes, de l'abstinence, des moyens de se prémunir contre l'impureté, la paresse, la vanité, etc. Il s'y trouve un discours admirable sur l'amour de Dieu, intitulé, de Charitate.

(3) Voyez Carolus à Basilicâ S. Petri, in Vitá S. Car. Borrom, l. 1 c. 3, et Saxius, in Præf. in Hom. S. Caroli, t. I.

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Comme il ne lui était pas possible de gouverner par luimême le diocèse de Milan, il demanda pour évêque suffragant, Jérôme Ferragata, afin qu'il fit en son nom les visites nécessaires, et qu'il exerçât les fonctions épiscopales. Il nomma aussi vicaire-général, un ecclésiastique d'une grande expérience, et qui joignait le savoir à la piété. C'était Nicolas Ormanetto, qui avait été déjà vicairegénéral de Vérone, et qui avait depuis accompagné le cardinal Polus dans sa légation d'Angleterre. De retour en Italie, il n'avait voulu d'autre place que celle de simple curé dans le diocèse de Vérone. Le saint archevêque, malgré toutes ces précautions, avait toujours des inquiétudes sur l'article de la résidence; il ne pouvait parfaitement se tranquilliser, quoique son éloignement de Milan ne fût point volontaire, et que ses occupations habituelles eussent pour objet le bien de l'Eglise universelle.

Sur ces entrefaites, le pieux et savant Barthélemi-desMartyrs, archevêque de Brague, vint de Trente à Rome, pour voir le Souverain-Pontife. Charles lui ouvrit son cœur, et lui communiqua ses perplexités, comme à un vrai serviteur de Dieu, qui était plus en état que personne d'éclaircir ses doutes par une sage décision. «Il y a long-temps, » lui dit-il, que je prie le Seigneur avec toute la ferveur » dont je suis capable, de m'éclaircir sur l'état dans lequel je vis. Vous voyez quelle est ma situation. Vous savez ce que c'est que d'être neveu d'un Pape, et neveu tendrement aimé. Vous n'ignorez pas ce que c'est » que de vivre à la cour de Rome. Les dangers qui m'envi» ronnent sont innombrables: mais ils ne me sont pas tous connus encore. Que dois-je faire à l'âge où je suis, sans expérience, sans autre secours que le désir d'obtenir la grâce de Dieu? Je me sens un grand amour pour la pénitence; je suis déterminé à préférer mon salut à

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» toutes choses; je pense quelquefois à rompre mes chaî

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»nes, et à me retirer dans un monastère, afin d'y vivre comme s'il n'y avait que Dieu et moi dans le monde. » Ce discours fut accompagné d'un ton de candeur et de franchise, qui charma l'archevêque de Brague. Celui-ci, pour tranquilliser le Saint, lui montra par des raisons solides, qu'il ne devait point quitter la place où la Providence l'avait appelé; que ses occupations se rapportant au service de l'Eglise universelle, étaient dans l'ordre; qu'il devait rester auprès de son oncle, qui, à cause de son grand âge, avait besoin de secours; mais qu'il devait être dans la disposition d'aller gouverner son église en personne, aussitôt qu'il en trouverait l'occasion. Charles, qui sentait renaître le calme dans son âme, embrassa Barthélemi-des-Martyrs; il lui dit que Dieu l'avait envoyé à Rome pour lui, et qu'il était délivré du poids accablant qu'il avait eu jusqu'alors sur le cœur. Il ajouta, que connaissant désormais la volonté du Ciel, il tâcherait de l'accomplir avec fidélité, et qu'il ne cesserait d'implorer le secours de la grâce qui lui était si nécessaire (4). Il savait, en effet, que la défiance de soi-même ne doit point dégénérer en pusillanimité; qu'il faut y joindre une ferme confiance en Dieu; que le Seigneur soutient ceux qu'il a destinés à travailler pour sa gloire; qu'il emploie souvent les instrumens les plus faibles pour la réussite des plus grandes entreprises; que les pasteurs sur-tout sont en droit de dire avec l'Apôtre, qu'ils peuvent tout en Celui qui les fortifie.

Au mois de Novembre de l'année 1562, Charles se vit enlever par une fièvre aigüe, son frère unique, qui était à la fleur de l'âge, et qui jouissait de la fortune la plus brillante. Il supporta une perte aussi cruelle avec une résignation surprenante; la vivacité de sa foi l'élevant au

(4) Voyez Ripamont, de Vitá Caroli, 1. 2, c. 2. Sacy, Vie de Barthélemi-des-Martyrs, l. 2, c. 23, p. 263. Touron, Hom. illust. t. IV, p. 638.

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