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Madame Beaumont. Véritablement, il l'a un peu re. touché.

Verteuil. Je crois qu'il aurait pu mieux faire encore, en lui choisissant un sujet plus heureux, quelque trait de bienfaisance, une action vertueuse, qui aurait élevé son âme en perfectionnant son talent.

SCÈNE V.

Madame Beaumont, Verteuil, Léonor, Finette.

Finette, (à Verteuzi.) Monsieur, vos malles viennent d'arriLes ferai-je porter dans votre appartement ?

ver.

Verteuil, (à Madame Beaumont.) Vous avez donc la bonté de me loger, madame ?

Madame Beaumont. Je m'en fais autant d'honneur que de plaisir.

Verteuil. Je vous en remercie. Je vais donner un coup d'œil à mes affaires, et je reviens. (Il sort avec Finette.)

SCENE VI.

Madame Beaumont, Léonor.

Léonor. Bon! le voilà dehors. Je respire.

Madame Beaumont. Doucement, doucement, Léonor; qu'il ne puisse vous entendre.

Léonor. Qu'il m'entende s'il veut. Je suis si piquée, que je briserais volontiers mon piano, et que je mettrais en pièces tous mes dessins et mes cahiers de musique.

Madame Beaumont. Calmez-vous donc, mon enfant, vous avez besoin ici de toute votre modération.

Léonor. C'est bien assez, je crois, de m'être retenue en sa présence. Ne l'avez-vous pas vu? Ne l'avez-vous pas entendu ?

Madame Beaumont. Les personnes de son âge ont leurs bi

zarreries.

Léonor. Pourquoi donc m'y exposer? Il ne fallait pas me faire chanter devant lui. Je ne le voulais pas. Voilà ce que c'est que d'en faire toujours à sa tête' comme vous. Mais il n'a qu'à y revenir.

Madame Beaumont. Ma chère Léonor, je vous en conjure.

1 Faire à sa tête, agir sans consulter personne.

Vous ignorez peut-être que votre fortune dépend absolument de monsieur Verteuil ?

Léonor. Ma fortune?

Madame Beaumont. Hélas! oui. Faut-il que je vous avoue ce que vous tenez déjà de ses bontés?

Léonor. Oh! je le sais. De petits présens qu'il me fait de loin en loin. Je puis fort bien me passer de ses cadeaux. Madame Beaumont. Ah! ma chère enfant, sans lui vous seriez bien malheureuse. Ce que votre père vous a laissé pour héritage est si peu de chose! De mon côté, je n'ai qu'un revenu très-médiocre. Comment aurais-je pu, avec ces seuls moyens, fournir aux dépenses de votre éducation?

Léonor. Est-il possible, ma tante? Quoi! c'est à monsieur Verteuil que je suis si redevable? S'occupe-t-il aussi de mon frère ?

Madame Beaumont. C'est lui qui paie également sa pension et ses maîtres.

Léonor. Vous me l'aviez toujours caché.

Madame Beaumont. Pourvu que rien ne manquât à vos besoins, que vous importait cette connaissance? Vous voyez par-là combien il est important de le ménager, de lui montrer des égards et du respect. Mais ce n'est pas tout; il a voulu vous voir, votre frère et vous, avant d'écrire son testament, afin de régler ses dispositions en votre faveur.

Léonor. Oh! que je suis à présent fâchée de lui avoir montré de l'humeur et du dépit !

Madame Beaumont. C'est aussi fort mal de sa part d'écouter froidement votre voix brillante! de ne pas être transporté de plaisir à votre exécution sur le piano! Quoi qu'il en soit, il faut le flatter; autrement toutes ses préférences seront pour Didier.

Léonor. Ah! il les mérite mieux que moi, je le sens.

Madame Beaumont. Que dites-vous, Léonor? Rendezvous plus de justice. C'est bien peu vous connaître. Et quelle serait votre destinée! Un homme sait toujours faire son chemin dans le monde. Mais une femme, quelle ressource peut-elle avoir ?

Léonor. Il est vrai. Vous me faites sentir par-là que j'aurais dû apprendre des choses plus utiles que le dessin, la danse et la musique.

Madame Beaumont. Que vous êtes folle! Avec la fortune que vous pouvez espérer, qu'est-ce qu'une jeune demoiselle doit désirer de plus que des talens agréables pour briller dans la société ? Il ne s'agit que d'intéresser M. Verteuil en votre

faveur. Avec des attentions et des complaisances, nous en ferons ce qu'il nous plaira.

SCENE VII.

Madame Beaumont, Léonor, Finette.

Finette. Mademoiselle, monsieur Dupas vous attend pour vous donner leçon.

Madame Beaumont. Dis-lui de monter ici. (Finette sort.) Léonor. Non, ma tante, renvoyez-le, je vous en prie. Si j'allais encore déplaire à M. Verteuil !

Madame Beaumont. Comment donc ! il faut qu'il vous voie danser. Vous dansez avec tant de grâce! Vous lui tournerez la têté, j'en suis sûre. (Elle va à la porte.) Entrez, entrez M. Dupas.

SCÈNE VIII.

Madame Beaumont, Léonor, Dupas.

Madame Beaumont, (à Dupas.) N'est-il pas vrai, monsieur, que ma nièce danse à merveille ?

Dupas, (en s'inclinant.) À merveille, madame, a merveille. Madame Beaumont. Son tuteur assistera peut-être à la leçon. Songez, monsieur, à faire briller le talent de Léonor de tout son éclat.

Dupas. Oui, madame, et le mien aussi, je vous en réponds. (Verteuil paraît.)

SCÈNE IX.

Madame Beaumont, Verteuil, Léonor, Dupas.

Madame Beaumont, (prenant Verteuil par la main.) Venez vous asseoir à mon côté, M. Verteuil. Je veux que vous voyiez danser Léonor. C'est un vrai zéphir. M. Dupas, cette allemande nouvelle de votre composition.

Léonor. Mais je ne la danserai pas toute seule.

Madame Beaumont. M. Dupas la dansera avec vous, je vais la frédonner. N'ayez pas peur; je vous conduirai bien. Verteuil. Permettez-moi, madame, de demander de préfé

rence un menuet.

Dupas. Je ne pourrai y mettre beaucoup de grâces, s'il faut que je joue en même temps.

L

Verteuil. Ce n'est pas de vos grâces qu'il s'agit, monsieur ; c'est de celles de Léonor.

Dupas. Comme il vous plaira, monsieur. Allons, mademoiselle. (Léonor danse le menuet. Dupas la suit en jouant de sa pochette. Il s'interrompt de temps en temps pour lui dire :) Portez votre tête plus haute... Les épaules effacées... Déployez mollement vos bras... En cadence... Un air noble, voyez-moi.

Verteuil, (quand le menuet est fini.) Fort bien, Léonor, fort bien. (à Dupas.) Monsieur, votre leçon est finie pour aujourd'hui. (Dupas fait un salut profond à la compagnie, et se retire.)

Léonor, (bas à Madame Beaumont.) Eh bien! ma tante; vous voyez les grands compliments que j'ai reçus ?

fait

Madame Beaumont. Quoi! M. Verteuil, vous n'êtes pas enchanté, ravi, transporté ? Vous n'y avez sûrement pas attention, ou vous êtes encore si fatigué de votre voyage...

Verteuil. Pardonnez-moi, madame, j'ai déjà marqué ma satisfaction à Léonor. Mais voulez-vous que j'aille m'extasier sur un pas de danse? Je réserve mon enthousiasme pour des perfections plus dignes de l'exciter.

SCÈNE X.

Madame Beaumont, Verteuil, Léonor, Didier.

Didier, (s'élançant dans le salon, court vers Verteuil, lui saute au cou, et l'embrasse avec tendresse.) Ô mon cher M. Verteuil, mon tuteur, mon père, quelle joie j'ai de vous voir.

Madame Beaumont. Que veut dire cette pétulance? Estce qu'il faut étouffer ses amis?

Verteuil. Laissez-le faire, madame. Les transports de sa joie me flattent bien plus que des révérences froides et compassées. Venez, mon cher Didier, que je vous presse contre mon cœur. Quels doux souvenirs vous me rappellez. Oui, les voilà, ces traits nobles, et cette figure aimable qui distinguaient votre père.

Madame Beaumont. Pourquoi n'avoir pas mis votre habit neuf et votre gilet de velours? On ne fait pas des visites en gilet rond.

Didier. Mais, ma tante, pour m'habiller il m'aurait fallu perdre au moins un quart-d'heure, et je n'aurais jamais eu la patience d'attendre.

Verteuil. J'aurais eu bien du regret aussi, je l'avoue, de voir un quart-d'heure plus tard cet excellent enfant.

Madame Beaumont. Eh bien! monsieur, vous n'avez donc rien à nous dire, à votre sœur ni à moi? Vous ne nous avez pas seulement souhaité le bonjour.

Didier. Daignez me pardonner, ma chère tante, j'étais si joyeux d'embrasser mon tuteur. (à Léonor, en lui tendant la main.) Tu ne m'en veux pas, Léonor!

Léonor, (sèchement.) Non, monsieur.

Verteuil. Veuillez l'excuser, madame, à ma considération. Je serais fâché d'être pour lui un sujet de reproche.

Madame Beaumont, (à part.) Je n'y saurais tenir1 plus long-temps. (à Verteuil.) Voulez-vous bien permettre, monsieur? J'aurais quelques ordres à donner à la maison.

Verteuil. Ne vous gênez pas, madame, je vous en supplie. Madame Beaumont, (bas à Léonor.) Est-ce que vous voulez être témoin de leur insupportable entretien! (Haut.) Suivez-moi, Léonor; j'ai besoin de vous.

Léonor. Non, ma tante, je resterai avec M. Verteuil, s'il a la bonté de me le permettre.

Verteuil. Très-volontiers, mon enfant. (Madame Beaumon sort aves un air de dépit.)

SCÈNE XI.

Verteuil, Lécnor, Didier.

Verteuil. Eh bien! mon cher Didier, est-on content de vous dans votre pension?

Didier. C'est à mon maître de vous le dire. Je ne me crois pourtant pas mal dans son amitié.

Verteuil. Quelles sont à présent vos études?

Didier. Le grec et le latin, d'abord; ensuite la géographie, l'histoire et les mathématiques.

Léonor, (à part.) Voilà bien des choses dont je savais > peine le nom.

Verteuil. Et y faites-vous quelques progrès ?

Didier. Oh! plus j'apprends, plus je vois que j'ai encore à m'instruire. Je ne suis pas le dernier de mes camarades, cependant.

Verteuil. Et le dessin, la danse, la musique ?

Didier. De tout cela un peu aussi. Je m'applique davan

1 Je ne puis résister.

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