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nance défend aux gentilshommes de vider leurs querelles par des combats, leur enjoint de soumettre les démentis au gouverneur de la province, au connétable et aux maréchaux de France, lesquels décideront de la valeur du démenti et pourront le déclarer nul en ce cas, celui qui l'aura donné sera tenu d'en faire amende honorable à celui qui l'aura reçu.

Il convient de noter ici un point essentiel: Cette sage ordonnance ne se contentait pas de punir les duels, mais elle s'attachait à les prévenir, en assurant une légitime satisfaction à celui qui aurait reçu un démenti ou toute autre injure. Ce n'est pas tout d'édicter des lois, il faut veiller à leur impartiale exécution. C'était précisément ce qui manquait. Quand les coupables, souvent favoris ou fidèles serviteurs du roi, demandaient grâce, il ne savait pas résister. Le mal ne faisait donc que s'accroitre en raison de l'impunité accordée à la faveur.

Pour donner satisfaction à l'opinion publique et faire droit aux réclamations formulées par les états généraux, rassemblés à Blois en 1575, une ordonnance royale, rendue dans cette ville en 1579, confirme par son article 194 les précédents édits, et l'article 278 déclare criminels de lèse-majesté les gentilshommes qui se réuniraient pour vider leurs querelles particulières.

Ce fut en 1580 que s'introduisit la règle pour les seconds de prendre fait et cause pour leurs tenants; jusque-là, ils n'avaient été que témoins. Ce déplorable usage est, avec juste raison, blâmé par Montaigne.

« C'est une espèce de lâcheté, dit-il, qui a intro

« duit dans nos combats singuliers cet usage de nous « accompagner de seconds, tiers et quarts. C'étaient << anciennement des duels; ce sont à cette heure << rencontres et batailles. Outre l'injustice d'une telle action et vilenie d'engager à la protection de notre honneur autre valeur et force que la nôtre, je « trouve du désavantage à mesler sa fortune à celle «d'un second. Chacun court assez de hasard pour « soye, sans le courir encore pour un aultre. »

«

Parmi les plus célèbres duellistes de cette époque, nous devons citer les Mignons de Henri III. La manie des querelles était du reste devenue si commune que Montaigne disait : « Mettez trois Français « aux déserts de Lybie, ils ne seront pas un mois. ensemble sans se harceler et s'égratigner. »

Les temps étaient-ils bien propices pour opérer une pareille réforme, au moment où les passions étaient surexcitées par les luttes religieuses, où les partis étaient en armes, quand le pouvoir était luimême chancelant par suite des désordres d'une guerre civile?

Était-il possible d'espérer triompher d'habitudes profondément invétérées dans les mœurs de la noblesse, et d'autant plus puissantes qu'elles étaient fondées sur un sentiment noble en soi et fécond en généreuses inspirations, le sentiment de l'honneur?

Henri III ne possédait dans son caractère ni assez de fermeté ni assez de grandeur pour dominer la situation. Les historiens contemporains nous le prouvent surabondamment en nous racontant que lors du célèbre duel entre Caylus et Maugiron, et qui coùta

la vie à tous les deux, le roi, au lieu de punir Caylus, ne quittait point son chevet, lui présentait lui-même les bouillons, et faisait les plus belles promesses aux chirurgiens, s'ils conservaient la vie à son favori. (Brantôme, Mémoire touchant les duels; Pierre de l'Estoile et d'Audiguier, le Vrai et Ancien Usage des duels.)

Le mal, aggravé par les troubles de la Ligue, était arrivé à son comble au moment de l'avènement de Henri IV (1589).

Ce prince s'applique à tarir la source, en apaisant par son influence personnelle les différends des seigneurs de sa cour. Le parlement seconda les efforts du souverain par la rigueur qu'il déploya contre les duellistes, lesquels, dans son Arrêt de règlements en date du 26 juin 1599, il déclara criminels de lèse-majesté et perturbateurs du repos public, etc.

Nous avons déjà vu plus haut que l'ordonnance de Blois en avait agi de même pour les assemblées de gens faites pour vider les querelles particulières ou autres. En effet, le droit de rendre la justice est l'attribut le plus précieux et le plus essentiel de la souveraineté, et se faire justice soi-même, c'est usurper le droit du souverain, c'est offenser la majesté royale.

Dans nos institutions modernes, le droit de justice est délégué à la magistrature, qui rend les arrêts au nom du souverain.

En avril 1602, intervint un édit royal donné à Blois, pour la défense des duels. Cet édit prononçait

la peine du crime de lèse-majesté, c'est-à-dire la mort et la confiscation totale des biens, contre les duellistes et contre ceux qui les seconderaient en quelque manière que ce fût, et ordonnait à la partie offensée d'adresser sa plainte au gouverneur de la province, au connétable et aux maréchaux de France, pour obtenir la réparation de l'injure qu'elle avait soufferte.

Telle fut l'origine de la juridiction du point d'hon

neur.

L'excessive sévérité de cet édit produisit l'effet diamétralement contraire au but du législateur. Sully, dont les prévisions à cet égard eussent dû être écoutées, avait fait de vifs efforts pour obtenir que les peines prononcées fussent plus douces, et par conséquent plus facilement et plus rigoureusement appliquées.

De là, nombreuses lettres de grâce; de là, scandaleuse impunité.

Sully, paraît-il, possédait un don bien essentiel pour gouverner les hommes et les choses: l'esprit pratique!

Les auteurs contemporains et notamment Pierre de l'Estoile (sur l'année 1609, 27 juin) nous apprennent que depuis l'avènement de Henri IV, en 1589, jusqu'à la fin de l'année 1608, sept mille lettres de grâce auraient été expédiées en matière de duel, et sept ou huit mille gentilshommes auraient péri en combat singulier dans le même intervalle.

Ces résultats accusaient hautement les vices de l'édit de 1602, et démontraient péremptoirement

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l'inutilité de toute réforme qui heurterait de front le préjugé dominant. Aussi, fut-on bientôt amené à faire des concessions, c'est-à-dire à tolérer le duel comme un mal nécessaire quand l'honneur des parties semblerait l'exiger. C'est dans cet esprit que le roi Henri IV publia l'édit de Fontainebleau, en juin 1609. Le combat pouvait être accordé par le roi ou par le tribunal des maréchaux, lorsqu'ils le jugeraient indispensable pour réparer l'honneur offensé.

Par contre, l'édit prononçait contre les duels non autorisés des peines plus ou moins sévères selon la gravité des cas. Ainsi, si l'un des combattants succombait, il y avait peine de mort et confiscation des biens contre le survivant; privation de sépulture pour celui qui avait succombé.

Pour une simple provocation non suivie de combat, le provocateur était privé de charges, et, en outre, déclaré deschu de pouvoir jamais se comparer par les armes à aucun ».

Le roi faisait défense à la reine, aux princes de son sang, de lui demander aucune grâce, protestant qu'il n'en accorderait aucune.

Cet édit fut d'un excellent effet. (Voir d'Audiguier, et plus tard le Préambule de la déclaration de 1611.) La licence des duels fut réprimée; on ne cite aucun cas où l'autorisation de combattre fut accordée. Le roi lui-même, par son intervention personnelle, évita souvent l'effusion du sang. Son caractère chevaleresque, sa bravoure reconnue, le rendaient éminemment propre à accomplir cette mission toute

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