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CHAPITRE V.

EXEMPLES.

Nous croyons devoir consacrer ce chapitre à la production de quelques exemples de nature à faire voir l'importance des prescriptions relatives aux devoirs des témoins.

Le journaliste D... attaque dans un petit journal satirique l'ex-fonctionnaire M... pour des faits relatifs à l'exercice de ses fonctions.

Les critiques paraissent blessantes pour la famille. M..., le fils ainé, au lieu d'envoyer purement et simplement ses témoins à D... pour demander réparation, lui écrit une lettre insolente, dans laquelle, après lui avoir reproché d'une manière injurieuse les offenses qu'il a faites à sa famille, il le menace de lui cracher au visage partout où il le rencontrera, s'il ne lui accorde pas satisfaction. Les témoins de M... ont connaissance d'une telle lettre et lui donnent cours! En l'état, il était impossible de songer à un accommodement. Le duel à l'épée est proposé par les témoins de M..., qui se prétend offensé. Il est accepté

par D..., malgré qu'il n'ait jamais manié une épée et que son adversaire ait fréquenté les salles d'armes. Le combat commence. D... se tient sur la défensive; après plusieurs attaques infructueuse, l'épée de M... se casse à la pointe. Les armes ne sont donc plus de la même longueur; les témoins proposent de suspendre et de remettre le combat. M... s'y refuse, D... également. On recommence avec ardeur, M... se fend à fond, s'enferre et reste presque sur le coup.

L'affaire vient vis-à-vis la Cour, et la défense se prévaut naturellement de l'existence de la lettre injurieuse de M..., qui a empèché une réparation honorable que D... eut certainement accordée, n'ayant entendu user de son droit de critique que contre les actes du fonctionnaire, sans nulle intention de blesser une famille honorable... D'ailleurs D... a subi les désavantages... Il s'est purement tenu sur la défensive... En conséquence, c'est sur M... seul qu'il est juste de faire retomber les funestes conséquences de cette affaire... donc condamnation légère.

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Les membres d'une corporation s'étant trouvés offensés par un article d'un homme de lettres, le signataire de l'article reçoit diverses provocations et se bat en duel à l'épée avec, l'un des membres de la corporation précitée, lequel est assisté par un de ses collègues en qualité de témoin. L'homme de lettres blesse sérieusement son adversaire. Aussitôt, l'un des

témoins prétend prendre la place de son collègue, et, sans s'inquiéter de l'opposition des témoins du journaliste, menace ce dernier de l'insulter gravement s'il refuse de se battre immédiatement avec lui. Le combat a lieu, et l'homme de lettres est blessé grièvement.

Indépendamment du texte formel de l'article 43 du chapitre IV, des articles 16 et 17, des observations sur lesdits articles 16 et 17 du chapitre III, page 205, on remarquera que dans cette circonstance les chances ne pouvaient plus être égales; l'homme de lettres était fatigué par un premier combat, son adversaire était frais et dispos, et, de plus, ayant assisté au précédent combat en qualité de témoin, avait pu étudier et apprécier à loisir le jeu de son adversaire.

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La mystérieuse et célèbre affaire Dujarrier-Beauvallon, présente un intérêt puissant, non seulement par la notoriété des personnages qui en furent les auteurs et les témoins, parce qu'elle met dans tout son jour la vie de la bohème dorée, mais encore et surtout parce que de la variété des incidents qui l'accompagnèrent ressort péremptoirement la nécessité de veiller à la stricte observance des règles du duel. Ce point de vue si essentiel nous engage à nous y arrêter quelques instants.

Le 7 mars 1845, une artiste du Vaudeville, Mlle Lié

venne, réunissait à diner aux Frères-Provençaux, à Paris, une vingtaine de personnes.

Mlle Liévenne avait fait une seule invitation. Les autres payaient leur écot. L'invité, M. Dujarrier, était l'un des rois du journalisme, copropriétaire de la Presse et directeur du feuilleton de ce journal.

Les dineurs au pique-nique étaient M. Roger de Beauvoir, romancier; M. Rosemond de Beauvallon, créole de la Guadeloupe, rédacteur du feuilleton du journal le Globe. Ajoutez à ces noms un certain nombre de fils de famille, viveurs émérites, sans oublier que Me Liévenne avait sous ses ordres un charmant bataillon d'actrices de son âge.

Le souper fini, on replia une cloison, et l'espace doublé permit d'organiser, d'un côté de la salle, le lansquenet obligé, et de l'autre, un bal improvisé.

M. Roger de Beauvoir presse M. Dujarrier au sujet d'une nouvelle que Dujarrier ne s'empressait pas de publier. Ce dernier lui déclare qu'il fallait attendre. Piqué, M. Roger de Beauvoir eut des mots un peu vifs. « Ah çà! dit Dujarrier, cherchez-vous à avoir une affaire avec moi? Je ne cherche pas les affaires, mais j'en trouve quelquefois, répondit superbement le romancier.

D

Dans un coup de banque à laquelle Dujarrier et Beauvallon étaient associés, d'une manière proportionnelle, il y eut une difficulté; elle fut ajournée pour la fin.

A la fin de la nuit seulement, M. de Beauvallon vint reparler à M. Dujarrier de ce règlement de compte ajourné. Ce dernier répondit avec sécheresse

qu'il ne devait rien et qu'il ne payerait rien. Cependant, comme il se reconnaît débiteur envers M. de Beauvallon de quatre-vingt-quatre louis à un autre titre, il le rappela et lui remit soixante-quinze louis, et les personnes présentes n'ayant pu lui fournir le restant de la somme, il l'emprunta au restaurateur pour s'acquitter envers M. de Beauvallon.

Qu'un duel à mort pût sortir de cet incident, personne ne le pensait. Cependant, le lendemain, Dujarrier vit se présenter chez lui, au nom de M. de Beauvallon, deux personnes, M. le comte de F... et M. le vicomte d'Ecquevilley. Ce dernier indique la nécessité d'une réparation, pour l'attitude prise la veille, en face de M. de Beauvallon. Dujarrier répondit : Beauvallon, Grandvallon... Je ne connais pas... Mes témoins sont MM. de B... et Arthur Bertrand. »

En se retirant M. d'Ecquevilley annonça qu'il représentait également M. Roger de Beauvoir, à qui était due une réparation du même genre. Cette complication ne parut sérieuse à personne. Mais il n'en fut pas de mème pour l'affaire avec M. de Beauvallon.

Le Globe s'était attaqué à la Presse, dirigéc par M. de Girardin, qui avait payé ses succès et sa rapide fortune par des luttes incessantes. M. de Girardin avait eu quatre duels, dont le dernier avait coûté la vie au regrettable Armand Carrel. Depuis ce dernier duel, M. de Girardin ne se battait plus, ayant acheté bien cher le droit de ne laisser à personne un doute sur son courage,

Mais la Presse se battait toujours. Ces duels de

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