Images de page
PDF
ePub

des lois évangéliques fléchisse un seul instant, et l'exemple donné en haut trouve en bas des imitateurs et le divorce déborde sur le monde, et avec le divorce ces mœurs dégradées qui sont le partage et l'opprobre de l'Orient!

En se montrant inflexibles sur ce point, au risque de la colère des rois, non-seulement les papes ont rempli le devoir sacré que leur imposait le caractère de chefs du christianisme, mais ils ont accompli un chef-d'œuvre de politique, et contribué grandement au repos et au bienère des peuples. « Car, dit Voltaire, les mariages des princes font dans l'Europe le destin des peuples; et jamais il n'y a eu de cour entièrement livrée à la débauche, sans qu'il y ait eu des révolutions et mème des séditions.» (Essai sur l'Histoire générale, tome III, c. 101.)

La société païenne devait subir un renouvellement complet. Le pouvoir était synonyme de despotisme et de ce despotisme dont Caligula et Néron nous ont transmis la vivante image. Avons-nous bien sondé l'avilissement des peuples et mesuré la tyrannie des empereurs ! Il y a là un mystère que rien ne peut expliquer, tant la cruauté était atroce, tant la bassesse et le servilisme avaient dépassé toutes les bornes. Lisez l'histoire de l'empire romain, et vous sentirez courir d'un bout à l'autre de cette lecture comme un frisson d'indicible horreur.

Le christianisme vient proclamer la véritable notion du pouvoir. Par cette parole, il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes, il pose une limite à l'obéissance. Dès cet instant, commence une révolution complète dans les rapports des princes et des sujets. Saint-Ambroise n'hésite pas à revendiquer les droits de l'humanité devant l'empereur Théodose, coupable d'avoir sévi contre la ville de Thessalonique, et l'empereur fléchit le genou devant le grand évêque. Le moine Télémaque éteint dans son sang la fureur des jeux du cirque et des combats des gladiateurs, cette dernière honte d'un peuple qui les connait toutes. Que dirai-je, Trajan, qui au retour de son expédition contre les Daces, fète son triomphe, en faisant égorger dix mille gladiateurs, est la gloire du paganisme. SaintLouis est le modèle des rois chrétiens. La différence des deux civilisations n'est-elle pas dans ces deux noms!

La corruption des mœurs allait de pair avec la cruauté, et de fait, comme l'a remarqué J.-J. Rousseau, l'une ne va jamais sans l'autre.

Mais la corruption était descendue si bas, que la pensée se refuse à la suivre dans la boue où elle se vautrait. Mais la cruauté avait atteint des proportions telles qu'au delà, il n'y a plus que la férocité des tigres et des lions.

Une loi de Constantin, sa constitution de 312, que tous les historiens s'accordent à regarder comme caractérisant l'introduction de l'esprit chrétien dans la législation (1) réprime les excès des mattres envers les esclaves, et nous fait connaître par cela même quels ils avaient été jusqu'alors.

[ocr errors]

Que chaque maitre, dit l'empereur, use de son droit avec modération, et qu'il soit condamné comme homicide, s'il tue volontairement son esclave à coups de bâton ou de pierre, s'il lui fait avec un dard une blessure mortelle, s'il le suspend à un lacet, s'il l'empoisonne, s'il fait déchirer son corps par les ongles des bêtes féroces; s'il sillonne ses membres avec des charbons ardents, etc. » Dans la famille quelle cruauté ne laisse pas supposer le droit de vie et de mort laissé au père sur ses enfants. Dans la guerre, les vaincus n'avaient d'autre alternative que la mort ou l'esclavage. Il y a un mot d'un empereur romain sur les pauvres qui résume tout: nobis graves sunt.

Et ce qui confond c'est que cette inhumanité, ces ignominies n'aient trouvé aucune protestation dans la conscience publique. La philosophie les justifiait, la législation laissait faire, et la religion y était bien plutôt une provocation qu'un frein.

Je ne puis dire tout ce qu'a fait le christianisme pour rectifier les idées, corriger les mœurs, remplacer ou réformer les institutions; ce serait toute l'histoire de dix-huit siècles. Mais Balmès, dans son immortel ouvrage, nous a laissé le tableau des deux civilisations, et je puis répéter après lui en renvoyant à son livre ceux qui me lisent :

« L'individu enrichi d'un vif sentiment de sa dignité, d'un fond abondant d'activité, de persévérance, d'énergie; toutes ses facultés développées simultanément ; la femme élevée au rang de compagne de l'homme, et récompensée du devoir de la soumission par les égards respectueux

(1) Voir le beau mémoire de M. Troplong: De l'influence du Christianisme sur le droit privé des Romains.

qu'on lui prodigue; la douceur et la solidité des liens de famille, proté, gée par de fortes garanties de bon ordre et de justice; une conscience publique admirable, riche de sublimes maximes morales de règles, de justice et d'équité, de sentiments d'honneur et de dignité, conscience qui survit au naufrage de la morale privée, et empêche que l'effronterie de la corruption n'arrive aux excès qu'a vus l'antiquité; une certaine douceur générale de mœurs qui, dans la guerre, écarte de grandes catastrophes, et dans la paix rend la vie plus aimable; un respect profond pour l'homme et pour ce qui lui appartient, ce qui rend très-rare les violences des particuliers, et sert, sous tous les régimes politiques, comme d'un frein pour contenir les gouvernements; un désir ardent de perfection dans toutes les branches; une tendance irrésistible, parfois mal dirigée, mais toujours vive, à rendre meilleur l'état des classes nombreuses; une impulsion secrète qui porte à protéger la faiblesse, à secourir l'infortune, impulsion qui veut avoir un libre cours, ou qui, contrariée, refoulée, produit dans la société un état de malaise et d'inquiétude assez semblable à l'effet d'un remords, un esprit d'universalité de propagande; un fond inépuisable de ressources pour se rajeunir sans périr et se sauver dans les plus grandes crises; une impatience généreuse qui veut devancer l'avenir, et d'où résultent une agitation, un mouvement incessants, sources de périls, mais plus communément sources de grands biens et symptômes d'une vie puissante: tels sont les grands caractères qui distinguent la civilisation européenne; tels sont les traits qui la placent à une élévation immense au-dessus de toutes les autres civilisations. »

Voilà l'œuvre du catholicisme et je n'hésite pas à le dire, aucune autre religion n'en aurait été capable. Le procès ne peut exister entre le mahométisme et l'église catholique. Il y a entre l'Orient et l'Occident un abime, et c'est le cri de la vérité qui faisait dire à M. Barthélémy-SaintHilaire, il y a quelques jours: « Si l'Égypte par un décret de Dieu s'était faite chrétienne il y a quinze cents ans, elle serait aujourd'hui toute autre qu'elle n'est. »>

Serait-ce une des grandes sectes qui se sont détachées du tronc de

(1) Lettres sur l'Égypte, publiées dans le Journal des Débats.

l'Église : le schisme grec ne peut certes avoir cette prétention, lui qui n'a d'autre vie, d'autre spontanéité que celle qu'il plait aux czars de lui laisser. Reste le protestantisme. Voyons ce qu'il aurait fait.

Le catholicisme s'est heurté constamment à toutes les passions. Son but est de rétablir l'empire de l'esprit sur la chair, et les concupiscences charnelles fermentent sans relâche au-dedans de nous. De là la corruption universelle dans le monde païen, de là cet effort des passions à toutes les époques de l'histoire pour briser le frein de la morale proclamée par l'évangile. De là cette lutte des princes contre la papauté pour faire consacrer le divorce et avec lui la polygamie. Qu'aurait opposé le protestantisme à cette révolte des sens, lui dont le fondateur tolérait la polygamie, lui qui a permis la simultanéité conjugale au landgrave de Hesse-Cassel par l'organe de ses docteurs les plus accrédités, lui qui n'a pas su maintenir l'indissolubilité du mariage, lui qui nie le libre arbitre par la bouche de Luther et lâche ainsi la bride à toutes les passions, lui qui a proclamé la justification par la foi, monstrueuse doctrine qui est la source de tous les crimes!

Vous représentez-vous Luther justifiant d'avance la fornication et l'homicide sous prétexte que la seule foi en Jésus-Christ suffit pour nous sauver; Calvin déclarant que Satan quand il nous pousse au mal est le ministre de Dieu; vous représentez-vous ces coryphées de la réforme opposant une digue à la dissolution du monde païen, en lutte comme Grégoire VII et Innocent III contre les rois et les seigneurs pour garantir le sanctuaire de la famille contre l'invasion du divorce et de la polygamie.

De quel droit et avec quelle autorité auraient-ils condamné les mœurs païenues et quel frein auraient-ils opposé, à la fureur de la concupiscence en délire au moyen âge? Eussent-ils réussi par impossible à relever l'empire romain de ses ignominies, en permettant le divorce, en tolérant la polygamie, encore ils auraient laissé choir l'Occident dans la fange où sont plongés les enfants du prophète!

Y pensent-ils ceux-là qui n'ont que du dédain pour le catholicisme, et qui repoussent comme trop sévère le joug de sa loi morale. « Où seriez-vous sans ces combats, s'écrie quelque part le père Lacordaire dans son énergique langage. Votre sang flétri depuis des siècles, vous serait arrivé

par les veines d'une femme esclave, au lieu de vous arriver du cœur d'une femme ingénue. Tout ce que vous avez eu de joies saintes par vos mères, vos épouses et vos filles, eût été transformé aux joies infâmes de la servitude trempée dans la volupté. Vous seriez des Turcs et non des Francs. "

Le protestantisme impuissant à régénérer les mœurs, n'aurait pas réussi à changer les idées. Comment aurait-il pu lutter contre la religion dominante qui avait pour elle le pouvoir, la considération, la force, les institutions, le temps et plus que tout cela la complicité des passions; lui, déchiré, emporté à tous les vents des caprices humains, sans hiérarchie fortement constituée, sans symbole, en proie à la division des sectes, incapable je ne dis pas du martyre, mais du dévouement du missionnaire; il se serait brisé contre le moindre obstacle opposé à sa marche, ou plutôt il aurait reculé devant cet obstacle, avec la souplesse qu'il a montrée devant Henri VIII et le landgrave de Hesse-Cassel.

Seul le catholicisme, par sa vigoureuse constitution, par l'unité et la force de sa hiérarchie, par la sublimité de sa doctrine et la sainteté de sa morale, par son esprit de sacrifice et d'abnégation, par l'éclat de ses vertus, pouvait tirer des ruines romaines et des tribus campées sur ces ruines, une société nouvelle, capable de posséder le vrai, de faire le bien et de trouver le beau. A ses détracteurs, voilà le prodige qu'il oppose. A ceux qui n'aperçoivent rien dans l'histoire au delà de la réforme, il montre avec une légitime fierté ce grand ouvrage de quinze siècles qu'il a entrepris et exécuté seul, et qu'il aurait conduit à son complet achèvement, si la révolte de Luther n'était venue l'interrompre.

M'arrêtant aux éléments et pour ainsi dire à l'essence même de la civilisation, je n'ai rien dit des lettres et des arts qui en sont le couronnement et la splendeur.

C'est un lien commun de l'ignorance moderne de répéter que le catholicisme a étouffé l'esprit humain au moyen âge. Je cherche en vain la preuve de cette assertion. L'histoire rend témoignage au contraire que l'Église a veillé avec une sollicitude constante sur le dépôt des lettres et des seiences que le malheur des temps avait confié à sa garde.

Vous qui la calomniez, avez-vous bien réfléchi à ce fait que les trésors de l'érudition païenne ont été conservés dans ses monastères, qu'elle

« PrécédentContinuer »