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clama tant qu'elle finit par prévaloir. Voilà en quoi le moyen âge, tout barbare qu'il était, l'emportait sur l'antiquité payenne!

A l'égard des vassaux, les droits du seigneur étaient limités. Comme le lien féodal entre ceux-ci et le suzerain ne se formait que de leur consentement réciproque, le droit de résistance, ou de refus de service, en cas d'infraction, était toujours réservé. Vous le trouvez formellement exprimé dans la Grande charte du roi Jean, dans les Établissements de Saint-Louis, dans l'article 59 de la Joyeuse entrée du Brabant.

Le premier de tous les devoirs féodaux, celui que l'on peut regarder comme étant l'essence de la féodalité même, c'est le service militaire; le second, c'est la reconnaissance de la justice du suzerain par le vassal; le troisième, c'est l'obligation de fournir des aides ou subsides en certains cas déterminés. Ces rapports officiels en amenèrent d'autres plus intimes. Les vassaux envoyaient leurs enfants dans le château de leur suzerain pour apprendre de bonne heure le métier des armes, pour se former au beau langage et aux belles manières et acquérir ainsi les bonnes grâces de leur seigneur. Ces jeunes gens, qui faisaient en quelque sorte partie de la famille, composèrent dans la suite ce qu'on appelait leur cour.

La chevalerie est la féodalité exaltée, épurée par le sentiment chrétien. Dans l'esprit de l'époque on prisait si haut l'ordre de chevalerie, qu'on l'assimilait à l'ordre de prêtrise le chevalier faisait le serment de défendre la religion avec l'épée, comme le prêtre avec la parole (1). Du sein des croisades s'élevèrent les

(1) « La chevalerie, dit Sainte-Palaye, si l'on veut uniquement la considérer comme une cérémonie par laquelle les jeunes gens destinés à la profession militaire recevaient les premières armes qu'ils devaient porter, était connue dès le temps de Charlemagne. Mais à regarder la chevalerie comme une dignité qui donnait le premier rang dans l'ordre militaire, et qui se conférait par une espèce d'investiture, accompagnée de certaines cérémonies et d'un serment solennel, il serait difficile de la faire remonter au delà du onzième siècle.

« Le caractère d'investiture que plusieurs auteurs, dont j'emprunte les termes, ont reconnu dans les formalités de la chevalerie, nous fait conjecturer qu'il faut en chercher l'origine dans les fiefs mêmes et dans la politique des souverains et des hauts barons. Ils voulurent sans doute resserrer les liens de

ordres religieux et militaires, espèce de chevalerie armée et disciplinée pour la défense de la foi. Telle fut l'origine de l'ordre de Malte, de l'ordre teutonique, des Templiers, etc. Enfin les souvenirs de l'antique chevalerie ont donné naissance à la chevalerie de cour, à ces titres et à ces distinctions honorifiques, tant prodiguées de nos jours, parfois au mérite, et le plus souvent à l'intrigue.

La chevalerie, dit M. Villemain (Cours de littérature française), c'est la vie du moyen âge mise en action; c'est la garde d'honneur de la féodalité. On ne pourrait concevoir la durée de la vie féodale sans ce cortège de guerriers qui la soutiennent, sans ces passions, ce point d'honneur, cet enthousiasme qui l'animent et l'embellissent.

<< Aussi un très-savant homme, M. de Sainte-Palaye, voulant établir tous les caractères de la chevalerie, considérée comme institution militaire et religieuse, les a tout simplement cherchés dans les romans du moyen âge; et ce n'est point une erreur ou système de sa part. Les auteurs des romans de chevalerie ont en effet mêlé aux fictions les plus bizarres, l'imitation la plus fidèle de ce qui se trouvait inscrit dans les rituels des chevaliers... »

la féodalité en ajoutant à la cérémonie de l'hommage, celle de donner des armes aux jeunes vassaux dans les premières expéditions où ils devaient les conduire.

Les plus anciens panégyristes de la chevalerie parlent de ses engagements comme de ceux de l'ordre monastique et même du sacerdoce... Ils croyaient ne pouvoir trop exalter un ordre auquel le maintien de la foi chrétienne était confié ; un ordre dont la première obligation consistait à la défendre contre tous ses ennemis... Indépendamment des intérêts de cette cause sacrée, et en vertu des lois de la chevalerie, les veuves, les orphelins, et tous ceux que l'injustice faisait gémir dans l'oppression étaient en droit de réclamer la protection du chevalier et d'exiger pour leur défense, non-seulement le secours de son bras, mais encore le sacrifice de son sang et de sa vie... » Mémoires sur l'ancienne chevalerie, partie II.

Si l'on compare le serment que prêtait le chevalier, lors de sa réception, avec celui auquel étaient tenus les rois, à leur inauguration, on y remarquera la plus grande analogie. Le roi, comme le chevalier, promettait d'être juste, preux, loyal, de protéger l'église, la veuve et l'orphelin, de secourir le faible et l'opprimé, sous le sceau de l'honneur et de la religion. Dans les idées du temps, le prince n'était que le premier chevalier de son royaume.

La chevalerie a eu son âge héroïque et son âge de décadence. C'est à l'époque des croisades qu'elle parait dans tout son éclat. Godefroid de Bouillon, son successeur, Baudoin d'Édesse, le brave Tancrède, et une foule d'autres, sont les modèles de la chevalerie héroïque. Si, comme personne ne le conteste aujourd'hui, les croisades sauvèrent l'Europe que les hordes musulmanes s'apprêtaient à envahir, point de doute que la chevalerie, composée de l'élite de la féodalité (1), n'ait rendu un immense service à la civilisation en entrainant les populations chrétiennes dans son magnifique élan. Un écrivain, qui ne pèche pas par excès d'enthousiasme nobiliaire, Hallam, s'écrie: « Ne craignons

pas de le répéter que serait devenu le moyen âge sans la << chevalerie?» Lorsque le sentiment religieux qui l'exalte commence à faiblir, elle perd ses plus brillantes qualités, sauf le courage guerrier qui reste à peu près le même à toutes les époques (2).

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(1) Il semble étonnant que Sainte-Palaye ne dise rien de la part que la chevalerie prit aux croisades. Serait-ce parce que les croisades étaient fort mal notées au XVIIIe siècle, et qu'il n'y voyait nul sujet de louange pour elle? Serait-ce parce que la chevalerie, considérée comme une institution qui donnait le premier rang dans l'ordre militaire et se conférait par une « espèce d'investiture, accompagnée de certaines cérémonies, et d'un serment « solennel, » n'existait pas encore? Saint-Palaye se contente de dire que la chevalerie, envisagée sous ce rapport, ne remonte pas au delà du onzième siècle, sans indiquer l'époque précise de son origine. Mais. si la chevalerie n'était pas connue aux temps de la première croisade (en 1096), comme ordre, les chevaliers n'en existaient pas moins, animés de l'enthousiasme religieux et guerrier qui est l'essence même de la chevalerie ; et jamais ils ne parurent avec plus d'éclat. La chevalerie romanesque et galante, dont s'est principalement occupé Sainte-Palaye, ne me paraît être qu'une dégénération de cette chevalerie primitive et véritable.

(2) Les princes, qui s'efforçaient d'abaisser la féodalité, firent tous leurs efforts pour ranimer la chevalerie lorsqu'ils la virent prête à s'éteindre. C'est ce qui les engagea à créer une quantité d'ordres militaires sous diverses dénominations. Il existe entre autres, à cet égard, une ordonnance très-remarquable du roi Jean, du mois d'octobre 1352, analysée dans Sainte-Palaye. Nous en reproduirons ici les principaux passages. Ce prince commence par rappeler

les exploits de cette antique chevalerie, qui brilla dans tout l'univers par « l'éclat de sa valeur et de sa vertu. Après Dieu, poursuit-il, c'était elle qui

Cerles il y a loin de la chevalerie, dont nous avons raconté les exploits, dans l'Histoire de Liége, à celle qui se précipitait à la conquête de la Terre-Sainte. Cependant c'est encore de la chevalerie, c'est-à-dire une noblesse belliqueuse, fière, avide de gloire et de dangers. Si MM. Sismondi et Guizot avaient connu les œuvres de notre vieux d'Hemricourt, je crois qu'ils lui auraient fait de larges emprunts; je crois que M. Villemain aurait avoué que pour parler de la chevalerie, on n'en est pas réduit, comme l'a prétendu SaintePalaye, à s'appuyer sur les romans du moyen âge; car d'Hemricourt est un véritable historien, et qui a écrit sur de bons renseignements. Dans l'histoire de Liége, où sont retracées les luttes des Awans et des Waroux et cette longue suite de combats si funestes à chacun des deux partis, on voit des meurtres, des incendies, des duels judiciaires, des vengeances atroces, des batailles rangées entre des familles ennemies, des trèves de Dieu, des réconciliations, scellées par des mariages, et tout ce qui constitue enfin la vie féodale. Et, au milieu de toutes ces fureurs guerrières, éclatent de temps à autre des actes de véritable grandeur qui annoncent que le cœur de l'homme et du chrétien bat encore sous ces poitrines de fer.

Assurément nous ne prétendons pas faire apparaître, dans ces courts épisodes de l'histoire Liégeoise, la vie féodale tout entière, mais il nous semble du moins qu'elle s'y présente sous quelques unes de ses faces les plus saisissantes. Le vieil historien, dont nous venons de parler, en qui l'esprit de chevalerie revivait tout entier, raconte dans son Miroir des Nobles, les aventures du célèbre Malclerc de Hemricourt, qui monté sur son dextrier, armé de sa terrible lance, allait cherchant partout les aventures.

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« avait fait triompher les rois, ses prédécesseurs, de tous leurs ennemis; qui, ⚫ comme par miracle, avait ramené à la pureté de la foi catholique un nombre prodigieux d'infidèles (dans les croisades); et qui enfin avait fait succéder aux troubles et à la guerre la tranquillité dont l'état jouit pendant longtemps. . Mais l'inaction et l'oisiveté de ces temps pacifiques, le peu d'usage des armes, et l'interruption des exercices militaires, joints à d'autres causes, firent a décheoir les chevaliers; ils se livrèrent au luxe et à la mollesse, oubliant le soin de leur honneur et de leur réputation, et ne s'occupèrent plus que . de leur intérêt particulier, etc. » Mémoires sur l'ancienne Chevalerie.

« Un jour qu'il revenait de je ne sais quelle expédition lointaine, avec un petit nombre des siens, il tombe dans une embuscade que lui avait dressée le Vilain de Jardegnée, brave gentilhomme de ses voisins, dont Hemricourt s'était déclaré l'ennemi, à la prière de messire Gerard de Blehen, l'un de ses proches parents. Assailli à l'improviste par une force supérieure, il est renversé de cheval après une longue et vigoureuse résistance. Le Vilain s'élance sur Hemricourt, embarrassé dans son armure, lui appuie le genou sur la poitrine, lui enlève son heaume, fait briller à ses yeux son épée nue et lui adresse ces paroles : « Sire « de Hemricourt, sire de Hemricourt, vous qui depuis tant d'an«nées cherchez par tous pays, en deçà et au delà de la mer, les << occasions d'acquérir de la gloire, vous qui avez couru tant de « hasards et affronté tant de périls, vous voilà pris au piége d'un simple écuyer! Je vous adjure, par la foi que vous devez à Dieu « et à monsieur Saint-Georges, de me dire ce que vous feriez de « moi si j'étais en votre pouvoir, comme vous êtes au mien pré<< sentement !... » Voici ce qu'il répondit aussitôt, avec une intrépidité sans pareille : « Par les yeux de Dieu et par le même « serment que tu m'as conjuré, je te dis que tu mourrais de cette << main qui en a fait périr bien d'autres !... >> << Ah, sire de « Hemricourt, repartit le Vilain, ce ne serait pas grand dom<<mage si je mourrais, tandis qu'on ne pourrait jamais ré

parer le malheur de votre perte. A Dieu ne plaise qu'un aussi << vaillant homme que vous succombe sous la main d'un être faible « et chétif tel que moi. Je vous demande seulement, sur la fidélité « que vous devez à l'ordre de chevalerie, de tâcher de me réconcilier « avec vos cousins de Blehen; je vous promets de réparer tout « le dommage que je puis leur avoir occasionné et de les satisfaire << ainsi que vous le jugerez bon. Votre parole me suffit. Je vous «< supplie seulement d'excuser le moyen forcé et discourtois que « je viens, bien à regret, de me permettre à votre égard... » A ces mots, il aida le bon seigneur à se relever, et se mettant à genoux devant lui, il en obtint le pardon qu'il implorait et fut solidement réconcilié par son entremise avec la famille de Blehen (1).

(1) Histoire de Liége, depuis César jusqu'à Maximilien de Bavière, p. 111.

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