Images de page
PDF
ePub

qu'elle possède, soit que, au moment de la désignation de la personne appelée à gouverner, Dieu lui communique directement le pouvoir, toujours est-il vrai de dire que ce mode de communication n'a luimême rien d'absolu; le pouvoir peut se communiquer à un ou à plusieurs; les formes de gouvernement sont variables, elles sont filles du temps; la meilleure est celle qui est le plus en harmonie avec le génie, avec les traditions nationales du pays auquel elle est destinée.

:

III.

L'esquisse qu'on vient de lire n'est qu'une pâle et incomplète analyse de la Philosophie morale, de M. Laforet. Ce livre à la fois original et profond nous présente la grande métaphysique chrétienne, comme base de l'ordre moral; nous avons cherché à rendre exactement la pensée de l'auteur; aussi souvent que cela nous a été possible, nous nous sommes servis de ses expressions; nous avons tâché de mettre l'idée divine en lumière c'est elle qui est le principe et le fondement de tout droit et de tout devoir. Dans notre travail nous ne nous sommes pas bornés exclusivement à montrer la base philosophique du droit, nous sommes aussi descendu quelquefois sur le terrain de la morale. C'est qu'en effet ces deux sciences ont des rapports si intimes qu'il est difficile bien souvent de discerner et de fixer ce qui doit appartenir à chacune d'elle; et puis nous tenions à donner de l'œuvre du savant professeur l'idée la moins incomplète possible, tout en ne sortant pas trop du cadre que nous nous étions tracé. Comme les élucubrations des libres penseurs paraissent petites et mesquines en présence des grandes conceptions des docteurs et des philosophes catholiques. Que la science est majestueuse et belle quand elle se montre appuyée sur de pareils principes; comme l'intelligence humaine grandit en s'initiant à des idées si élevées, si fécondes. Si d'un côté on ne peut se défendre d'un sentiment de tristesse, à la vue des efforts tentés par des professeurs inconsidérés pour arracher à la jeunesse, en dépit des sentiments religieux du pays, sa conviction et sa foi; d'un autre côté, on a des motifs de ne pas désespérer des jeunes générations et de l'avenir de notre belle patric, aussi long

temps qu'une grande partie de la jeunesse belge aura des mattres, aimés et dévoués, professant des doctrines aussi élevées et aussi pures que celles que nous venons d'analyser : ces maîtres habiles feront de la jeunesse nombreuse et sympathique qui les écoute, une pépinière de bons citoyens et de vrais chrétiens. Des hommes pris de vertige s'acharnent à battre en brèche l'antique foi de nos pères; l'épiscopat belge avait prévu ce danger, c'est pour le combattre qu'il fonda cette belle institution de Louvain, de jour en jour plus florissante, où la foi, donnant la main à la science, trouve un inexpugnable boulevard.

[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

Le cabinet, en faisant connaitre son programme à la Chambre, a dit « qu'il chercherait à assurer à la charité, dans son élément essentiel, qui est la liberté, tout le développement compatible avec le contrôle efficace du pouvoir légal et les intérêts généraux de la a société, qui commandent de circonscrire, dans d'étroites limites, « l'immobilisation de la propriété foncière. »

La formule transactionnelle destinée à réaliser ces vues, il l'a trouvée et il l'a développée dans le projet soumis aux délibérations des Chambres.

Les différents systèmes mis en avant pour résoudre la question de la charité ont déjà fait le sujet de tant d'écrits, de tant de discours, de tant de controverses, qu'il serait plus que téméraire d'espérer pouvoir présenter encore quelques considérations nouvelles; néanmoins, l'importance de la question qui va bientôt recevoir une solution législative, m'engage, non pas à aborder d'une manière complète cet immense problème, mais uniquement à examiner sommairement si le programme du cabinet, dont je viens de transcrire un passage, est conforme aux vrais principes, et si le projet présenté en fait une juste et saine application.

D'après la loi civile le citoyen est libre et doit rester libre d'être ou de ne pas être charitable; d'après la loi religieuse, au contraire, la charité est un devoir. Mettre des entraves à l'exercice de la charité, c'est donc porter atteinte à la liberté civile du citoyen, dans une de ses plus nobles prérogatives, c'est porter atteinte en même temps à sa liberté religieuse, en empêchant ou du moins en gênant l'accomplissement d'un devoir de conscience.

Sur ces principes tout le monde parait d'accord, et si quelques voix n'ont pas craint de dire que l'aumône dégradait, personne au moins n'a encore, que je sache, demandé le rétablissement de l'art. 16 de la loi du 24 vendémiaire an II, qui prononçait une peine contre le citoyen convaincu du crime énorme d'avoir fait l'aumône à un mendiant. Mais si l'on est d'accord sur l'énonciation d'un principe, l'accord cesse dès qu'il s'agit de l'appliquer, et l'on nous oppose avec M. Tielemans « que si la charité est libre dans son principe, dans ses motifs et même dans son exercice, elle ne l'est pas et ne peut pas l'être dans ses effets et dans ses résultats. » Ce qui revient à dire que je suis libre de marcher, à la condition de ne pas faire usage de mes jambes ou du moins à la condition de prendre exclusivement des chemins par lesquels il m'est impossible, difficile ou seulement désagréable de passer. Qui ne reconnaît qu'une semblable liberté est une chose dérisoire? Aussi ce n'est pas ce simulacre de liberté que le cabinet a entendu proclamer, mais bien une liberté réelle, pouvant se traduire en actes utiles et durables, une liberté, qui est, comme l'a dit M. de Decker, l'élément essentiel de la charité, ou, pour parler plus catégoriquement encore, une liberté sans laquelle la charité ne pourrait ni se développer ni même exister. Une chose remarquable, c'est que nos adversaires eux-mêmes sont forcés de rendre hommage à notre principe, ils disent avec nous que la charité doit être libre; mais comme au fond ils ne veulent pas de cette liberté, ils espèrent sauver les apparences en proclamant théoriquement un principe dont ils repoussent en pratique toutes les conséquences.

Aussi quand le ministère a lu son programme, ils ont gardé le silence. La liberté de la charité n'a été de leur part l'objet d'aucune attaque, ils se diront même prêts à la défendre avec nous au besoin, pourvu toutefois que, conformément au système de M. Tie

lemans, la charité ne soit pas libre dans ses effets et dans ses résultats.

Le cabinet a bien fait de poser nettement la question; et je considère comme d'un bon augure qu'on n'ait pas jugé prudent de l'attaquer sur ce terrain. Les tergiversations et les équivoques, que les ministres ne l'oublient pas, tuent une politique; la franchise et la fermeté la soutiennent et lui gagnent tous les jours des adhérents et des appuis.

Je continue l'examen du programme ministériel.

Le cabinet veut assurer à la charité tout le développement compatible avec le contrôle efficace du pouvoir légal et les intérêts généraux de la société.

Cette phrase demande quelques explications. Qu'on ne permette rien de contraire aux intérêts généraux de la société, c'est une limite qui sera acceptée par tout le monde; mais que d'une manière générale on subordonne le développement de la charité à la possibilité d'établir le contrôle efficace du pouvoir légal, cela est inadmissible, et l'expression n'a pas rendu fidèlement la pensée du cabinet. En principe l'État n'a aucun droit de contrôle à prétendre sur l'exercice de la charité. S'il plaît à un homme généreux de convertir sa maison en hôpital, d'y recevoir et d'y faire soigner des infirmes et des malades, l'État n'a rien à voir ni à contrôler dans cette œuvre de bienfaisance, et la loi serait absurde si elle faisait dépendre la création d'une semblable institution de la possibilité de la soumettre au contrôle efficace du pouvoir légal. Il en est de même de toutes les œuvres ou aumônes individuelles dont l'État doit désirer le développement, sans réclamer en même temps le droit d'y intervenir. La proposition énoncée par le Ministre de l'Intérieur est donc beaucoup trop générale dans les termes, et je suis persuadé qu'il n'a pas eu l'intention de lui donner une portée aussi étendue.

Voyons maintenant quand et à quel titre le pouvoir civil doit intervenir dans les œuvres de charité.

Celui qui crée une institution charitable et qui veut en assurer la perpétuité, pourra-t-il réaliser cette intention par sa seule volonté, ou cette volonté devra-t-elle être sanctionnée par le pouvoir civil qui, prenant l'œuvre sous sa protection, en garantira la durée ? Le

« PrécédentContinuer »