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les plus adroits filous de Naples.

Et Violentina fermait les mains en

faisant semblant de fuir avec la demi-pistole.

Un jour, ils étaient allés, selon leur coutume, faire la promenade sur la barque. Lorenzo jetait les huîtres et Violentina les ouvrait, les étendait sur des tranches de pain plus blanches que la neige et préparait ainsi à son frère un délicieux goûter. Ils étaient justement parmi les rochers situés sous le jardin de Marinetta. Celle-ci, les voyant si près d'elle, descendit de la terrasse en posant légèrement le pied sur l'herbe pour ne pas être entendue, monta trois degrés et alla se placer à une petite fenêtre, derrière une verte jalousie de jasmin qui s'élevait jusqu'au milieu de la grille, d'où elle pouvait, sans être vue, observer de près le couple fraternel. Quand Lorenzo eut essuyé ses jambes et chaussé ses bottes, Violentina lui présenta le pain avec les huîtres sur des feuilles de coudrier, et pendant qu'il mangeait avec appétit elle lui parla ainsi :- Sais-tu, Lorenzo, le beau succès qu'a eu ta Liduina? Je l'appelle ta Liduina, parce que c'est toi qui l'a rhabillée de la tête aux pieds, parce qu'elle dormait sur la paille et que tu lui as procuré un bon lit; ce qui fait que la pauvre fille te bénit chaque jour et ne cesse de prier la Madone pour toi. Apprends donc tout ce qu'il y a de bon dans cette créature. Elle a douze ans passés, bientôt elle en aura treize, et l'archiprêtre a trouvé bon de l'admettre à la première communion, à laquelle il la prépare avec les autres filles de la Terre. Tu sais que son père est ce calfat de Marseille qui travaille au beau navire qu'on construit dans le chantier. C'est l'un de ces mécréants qui, en 1792, chantaient la Marseillaise et massacraient les prêtres et les aristocrates; une grosse bête d'homme qui, quand il voit l'archiprêtre ou le chapelain, grince des dents comme une hyène, les dévore des yeux et dans sa rage impuissante les charge d'imprécations et de malédictions. Sa femme n'est guère meilleure que lui; toujours échevelée, courroucée et mordante quand on la contredit, elle est hargneuse avec tout le monde. C'est pour cela que les ouvriers du chantier l'appellent la louve du calfat.

Et Liduina, ajouta Lorenzo, serait aussi devenue une vraie ourse, si tu n'avais pris soin de l'instruire et de l'éduquer un peu.

- Voilà, Lorenzo, ce que peut la grâce de Dieu et la vertu de la religion. Cette pauvre fille était une petite brute; mais depuis qu'elle a appris ses

prières et son catéchisme, elle est pleine de sagesse, de douceur et de modestie.

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Pourquoi ne

La semaine dernière donc, l'archiprètre instruisant les petites filles, était arrivé à expliquer le saint précepte de l'Église, qui défend de manger de la viande le vendredi, le samedi et la veille des grandes fètes, et disait qu'en violant cette loi sans nécessité et surtout par mépris, on commettait un péché mortel digne d'être puni par la damnation éternelle. Or Liduina, voyant qu'on avait servi de la viande à diner, vendredi dernier, comme de coutume, ne mangeait que du pain. manges-tu pas, lui dit son père, es-tu mal? Non, papa, répondit Liduina; mais l'archiprêtre nous a dit que la sainte Église notre mère nous défend de manger de la viande le vendredi et le samedi sous peine de péché. - Que parles-tu d'Église notre mère! petite sotte, cria-t-il ; je suis le père moi: mange cela.-Pardon, papa, le pain me suffit.-Làdessus le brutal lui porta à la figure du revers de la main deux coups dont elle resta tout étourdie. Cependant sa mère, qui l'aime beaucoup, lui donna un peu de fromage et Liduina acheva tranquillement son diner, heureuse de ne pas avoir offensé Dieu.

Le lendemain samedi, même diner gras, même fermeté dans Liduina à se contenter de pain. Le père blasphéma, cria, hurla, joua des pieds et des poings et la jeta par terre en la rouant de coups; mais l'enfant criait: - Papa, tuez-moi, mais ne me faites pas offenser Dieu. - Alors le père, furieux comme un dragon, saisit une corde, empoigne Liduina par le bras, la traine dans une chambre voisine, la lie étroitement par les jambes au pied du lit, prend un morceau de viande, le met sur un plat et le place à côté de sa fille, en disant - Superstitieuse imbécille, ou tu mangeras cela ou tu mourras de faim - et il ferma la porte.

La pauvre enfant pleura quelque temps, puis se calma un peu et se mit à réciter le Rosaire, en priant Marie de lui accorder la force et la constance et d'éclairer son père. Liduina n'avait pris qu'un morceau de pain pour son diner, et quand il commença à se faire tard, elle ressentit la faim et se prit à soupirer. Il était déjà dix heures du soir que le cruel n'était pas encore revenu du cabaret. Alors sa mère, qui craignait qu'elle ne tomba d'inanition, lui porta du pain avec un petit plat de cavias, ragout

qu'elle aimait beaucoup, en lui disant :- Tu es si obstinée que tu te laisserais mourir plutôt que de suivre la volonté de ton père; mais moi j'ai pitié de ton ignorance : tiens, mange, ton père n'en saura rien. Oh! pour cela, non, maman, répondit la malheureuse, papa m'a défendu de manger, et je ne veux pas lui désobéir: Dieu m'aidera,et ma chère Liduina ne voulut pas prendre une seule bouchée sans la permission de son père. Alors sa mère, inquiète et ne sachant que faire, résolut d'attendre son mari. Il revint fort tard et quand il rentra elle lui fit de vifs reproches, l'appelant bourreau de son enfant et lui raconta comment Liduina, pour ne pas lui désobéir, avait refusé de manger ce que la compassion lui avait fait porter en cachette.

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En apprenant la belle conduite de sa fille, cet homme si dur demeura confondu et s'écria en portant les deux mains à son front : De par Dieu! la religion du Christ est sainte, puis il courut à sa fille, la baisa sur le front, et la délia à l'instant, en lui disant; - Enfant bénie! je suis un monstre! Viens, ma belle amie, et mange désormais ce que tu voudras. Tu sais que je suis pauvre, et que nous vivons de mes peines, cependant dis-moi ce que tu désires pour ta première communion.

— Papa, répondit la petite, je désire que vous alliez avec maman chez l'archiprêtre et que vous fassiez tout ce qu'il vous dira. Le père pleura, fit un grand mouvement et s'écria: · Demain dès le point du jour nous irons le trouver avec ta mère. Je te le jure par ton Christ.

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Et par

Le croirais-tu, Lorenzo? cet homme tint parole et finit par se confesser à l'archiprêtre. Dimanche prochain lui et son épouse feront leur première communion avec leur fille.

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A ce dernier trait, Lorenzo, profondément ému, se prit à verser des larmes. Ah! il est encore bon ! dit en elle-même Marinetta, qui, derrière la touffe épaisse de jasmin, voyait et entendait cette scène attendrissante : mais le cœur lui battait si fortement, une sueur si abondante lui coulait du visage, qu'elle craignit de s'évanouir. S'étant retirée sans bruit, elle se mit à genoux sur l'herbe et pria Marie de bénir ses désirs et de conduire Lorenzo dans la route du bonheur. Ah! Marinetta ne savait pas qu'elle était destinée à accomplir dans Lorenzo les longs sou

haits de Violentina et les siens, par une voie toute nouvelle, sur laquelle la conduisait, au moyen de mille étranges incidents, son pur amour pour le fils de Giano et le zèle céleste dont son âme était embrâsée pour la gloire de Dieu.

(A continuer.)

Traduit de la Civiltà Cattolica, par H.-J. MARÉCHAL.

LA PRESSE, LES LIVRES, LE THÉATRE,

LE FEUILLETON.

Sous ce titre, nous voudrions rassembler les traits épars de l'histoire du philosophisme, de l'indifférence religieuse et de l'immoralité, telle qu'elle se déroule sous nos yeux dans les livres, dans les journaux, sur la scène, partout. Il n'est pas de plus sûr moyen, selon nous, de confondre les ennemis de la religion et de mettre le public en garde que de faire connaître leurs actes, leurs écrits et leurs discours. A ce titre, cette sorte de revue que nous commençons aujourd'hui et que nous nous proposons de renouveler tous les mois, ne peut manquer d'avoir son utilité.

A tout seigneur, tout honneur. L'Observateur est l'organe de la franc-maçonnerie; il a souillé ses colonnes du Juif-Errant. Ce sont là des titres sérieux à la préséance. La polémique de l'Observateur peut être caractérisée d'un mot. C'est une excitation constante des plus mauvaises passions contre l'influence légitime de l'Église.

Dans son numéro du 26 janvier, il reproduit comme très-sérieux un article du Siècle qui n'est autre chose qu'une vieille friperie voltairienne, et dans lequel on trouve ce passage: «Rome est la ville éternelle; mais elle est aussi l'éternel foyer de la plus vaste conspiration qui ait jamais été ourdie contre l'expression de l'esprit humain, de la liberté humaine. » Et ce même Observateur qui jure sur la parole du Siècle quand il s'agit de calomnier l'Église, dira plus tard de ce même journal, correspondance de Paris du 1er mars, à propos d'un article sur l'amnistie autrichienne qu'il prétend avoir été inspiré par le gouvernement français : « Non, vous ne trouveriez pas dans la Bohème parisienne la plus immorale une complaisance de plume égale à celle de M. Havin (c'est le directeur du Siècle), livrant à l'empire ce qui reste en France d'espérances et d'aspirations honnêtes et loyales vers la vérité, la liberté et la justice. » C'est ainsi que ses passions et ses haines s'accordent pour accorder ou refuser tout honneur et toute confiance au même écrivain.

Voici comment il caractérise le projet de loi sur la charité : « Il tend

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