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plus funeste que cette espèce de mise en disponibilité successive de tous les hommes d'élite, après quelques années de labeur et d'éclat. Nul n'a le droit de se désintéresser du patrimoine et des périls communs. L'ostracisme volontaire est un grave danger pour les nations. L'existence de l'homme sur la terre est un combat, c'est l'Écriture qui le dit, et ce combat ne finit qu'avec la vie

elle-même.

Nous n'avons encore rien dit du style de M. de Mirecourt, et vraiment c'est de beaucoup la partie faible de son travail. Ce genre de composition demande plus que de la correction, et ce qu'on est convenu d'appeler la sagesse du style; il lui faut encore de l'éclat et du relief. M. de Mirecourt ne quitte pas assez fréquemment le terre-à-terre, et se contente trop souvent de demander l'intérêt aux particularités qu'il raconte. Il se repose sur le piquant du récit pour se dispenser d'emprunter d'autres charmes à la mise en scène et aux costumes. M. de Loménie, le spirituel homme de rien, avait sous ce rapport mieux observé les conditions du genre ses petits livres sont des modèles achevés. Rien de plus fini et de plus littéraire que sa galerie des Contemporains illustres. Il y a là du mouvement et de la vie; le cadre, à la vérité, était un peu moins étroit et permettait de se développer plus à l'aise. C'est encore un reproche que nous ferons à M. de Mirecourt, d'avoir trop écourté ses opuscules, et nous ne sommes que l'écho de tout le monde en lui disant qu'il en est plusieurs dont l'exécution a été bien facile et n'a pas demandé grand effort. Dans ces volumes, se présente involontairement à l'esprit l'idée d'une assez vulgaire recette qui consisterait tout bonnement à extraire de quelques ouvrages plusieurs fragments connus et à y accoler, en manière d'introduction, pour relever la saveur du livre, une anecdote plus ou moins facétieuse de la jeunesse du héros.

La simplicité excessive de ce procédé finit par refroidir et décourager le lecteur qui a toujours la prétention qu'on mette un peu de coquetterie à lui plaire. L'homme de rien avait été prodigue de ces attentions; son style fouillé et ciselé dans le goût des artistes florentins, avait valu une grande faveur à sa Galerie. Avec des allures tout aussi vives et aussi franches, M. de Mirecourt éparpille un peu au hasard et à l'aventure d'heureux dons et de brillantes

facultés que son devancier et son émule avait plus habilement concentrés. Tout était à sa place et si bien rangé chez M. de Loménie, comme on le voit toujours, du reste, dans les ouvrages que la pensée a mûrís et médités, sans que rien ne vienne trahir le travail ou l'effort. Le public apprécie d'autant plus ces qualités qu'il les trouve plus rarement dans les rapides improvisations que chaque jour voit éclore. Nous ne savons si c'est une fausse appréciation, mais on croirait parfois que M. de Mirecourt, convaincu lui-même de la maigreur et de l'indigence de certaines biographies, ait fait appel à l'art de ses éditeurs pour remplir les vides; et ceci ne nous conduit à rien moins qu'à féliciter M. Boret ou M. Havard! Singulier compliment cependant, de louer à propos d'un écrivain et presque à ses dépens, son imprimeur ou son papetier. C'est qu'il faut le reconnaitre, les volumes de M. de Mirecourt qui plaisent tant à l'œil sous leur élégant format et le luxe du papier satiné, offrent au lecteur une petite déception par ces marges immenses et ces phrases coupées en dialogues où le monosyllabe et l'alinéa répété usurpent tant de place. Ce n'est pas tout, on n'est pas au bout de cette espèce d'améliorations, et le système va encore recevoir quelques embellissements. Voici ce que nous lisons en effet dans le programme de la nouvelle série (février 1856): « Le papier sera plus beau et plus fort, le texte sera imprimé en « caractères neufs, les portraits et les autographes seront améliorés. (Avis de l'éditeur.)

Cette préoccupation assez remarquable du format et de l'extérieur de nos livres n'échappera pas au lecteur, qui y verra un nouveau symptôme des idées du temps.

Au surplus, M. de Mirecourt comparé à lui-même n'est pas en progrès. Il s'était révélé, il y a cinq ans, par un roman, Les Confessions de Marion de Lorme, que nous n'entendons pas le moins du monde recommander ici, mais qui annonçait des qualités de stylé généralement absentes aujourd'hui.

E. PIRMEZ.

ART RELIGIEUX.

FACTURE

DES ORGUES EN BELGIQUE DANS LES DERNIÈRES ANNÉES.

Six ans se sont écoulés depuis que j'ai fait à la classe un rapport sur la situation déplorable où se trouvait alors la facture des orgues en Belgique. Communiqué à M. le Ministre de l'intérieur et publié dans le Moniteur, ce rapport souleva l'indignation des intéressés, c'est-à-dire des facteurs inhabiles et peu scrupuleux dont je signalais l'incapacité ou l'ignorance. Je terminais mon rapport, en exprimant le vœu qu'un grand orgue, construit en Belgique, par un des meilleurs artistes de l'étranger, servit de modèle à nos fabricants : c'était là précisément ce qu'ils redoutaient; car la comparaison de ce modèle avec ce qu'ils produisaient habituellement, aurait fourni la preuve sans réplique de leur infériorité. On ne voulut pas laisser le pays sous l'impression qu'avait fait naître la publication de mon rapport, et l'on entreprit de me réfuter par des assertions aussi mensongères qu'audacieuses. Je fus injurié, calomnié même, dans des articles de journaux et dans des pamphlets anonymes. J'étais un mauvais citoyen qui trouvait plaisir à dénigrer son pays au profit de l'étranger.

Accoutumé à ces clameurs, que j'avais entendues chaque fois que j'avais fait connaître des vérités qui blessaient des intérêts mal compris, je fis ce que j'ai toujours fait en pareille occurrence: je me tus et laissai germer ma parole dans le temps futur. Le temps a produit ses résultats plus tôt que je ne les attendais, et d'une manière beaucoup plus complète que je n'aurais osé l'espérer. Entre tous les facteurs d'orgues de

la Belgique un seul, M. Merklin, se dit à la lecture de mon rapport: Tou! ce qui est là-dedans est dur, mais vrai. Il n'y a point à hésiter : la facture belge des orgues doit étre réformée; j'espère étre le réfor

mateur.

Cela dit, M. Merklin part, visite la France, l'Allemagne, l'Angleterre, examine avec la rare intelligence dont le Ciel l'a doué, interroge les hommes dont les travaux ont fait progresser l'art, met lui-même la main à l'œuvre, et revient riche d'observations, de savoir et le cœur gonflé d'espérance.

Tous les perfectionnements de mécanisme, de soufflerie, de division de l'air à diverses pressions pour l'équilibre de l'harmonie dans les instruments, de variété dans les jeux, de richesse d'effets produits par des accouplements bien conçus, toutes ces choses, dis-je, que j'avais signalées dans mon rapport, M. Merklin en avait reconnu l'exactitude et constaté les avantages; mais de retour dans ses ateliers, que de déceptions dans le travail de ses ouvriers! que d'obstacles lui imposaient l'incurie, la nonchalance, l'indifférence, la routine aveugle! Faire autrement qu'on n'avait fait jusqu'alors, à quoi bon, disait-on autour de lui? Que de nuits passées dans le travail pour fournir aux ouvriers le modèle de ce qu'ils devaient exécuter, ou pour réparer le mal qu'ils avaient fait !

M. Merklin comprit enfin qu'il perdait un temps précieux, et qu'il n'atteindrait son but que lorsqu'il serait secondé par de bons chefs d'atelier pris à l'étranger; mais pour organiser sur de larges bases le grand établissement dont il avait fait le plan, il fallait un capital considérable: ce fut alors qu'il conçut le projet d'une société par actions; projet presque aussitôt réalisé qu'imaginé, grâce à la réputation bien établie d'in telligence et de probité de son auteur. Doué de qualités qu'on trouve rarement réunies dans le même homme, actif, infatigable, ayant au plus haut degré l'esprit d'ordre et d'organisation; habile à distinguer les facultés spéciales des personnes qui le secondent et à leur donner l'emploi convenable; enfin, aimant et cherchant le progrès dans son art; désirant la perfection relative et ne négligeant rien pour y atteindre, sans s'abandonner à la soif d'innovations qui ruine les inventeurs ; tel s'est montré M. Merklin dans la réalisation de ses vues. C'est à cet ensemble de qualités qu'il faut attribuer la rapide transformation de son

humble atelier primitif en un établissement qui, dans l'espace de moins de quatre ans, est devenu le plus considérable de toute l'Europe pour la facture des orgues. Ceci exige quelques explications.

A l'aspect de ces vastes et monumentales machines qui composent les grandes orgues, on serait tenté de croire que l'industrie qui les produit dispose de forces considérables et comporte les plus grands développements; il n'en est rien pourtant. A vrai dire, l'art de facteur d'orgues n'a point été une industrie jusqu'à ce jour : c'est un métier pénible et souvent assez peu lucratif. Les plus grandes fabriques d'instruments de ce genre sont loin d'égaler une manufacture de pianos telle que celle de MM. Broadwood, de Londres. On n'y voit point de machines destinées à décupler la force de l'homme et à faire épargne du temps; tout s'y fait à la main avec un outillage souvent insuffisant. Certaines parties de la mécanique des orgues exigent une précision mathématique qu'on obtiendrait toujours à coup sûr et rapidement à l'aide de machines spéciales, mais qu'on a l'habitude de faire lentement sur un établi, après mille tâtonnements. Le plan que s'était tracé M. Merklin avait pour but de changer cet ordre de choses.

L'exécution de ce plan a commencé par l'érection de la grande fabrique située au faubourg de Namur. Là sont distribués deux cents ouvriers dans des ateliers vastes et commodes. Plusieurs salles renferment les instruments terminés et prêts à être livrés. Une de ces salles a toute la hauteur du bâtiment pour recevoir les grandes orgues: on y voit en ce moment un orgue de trente-deux pieds en construction; colossal instrument dont les dimensions ne sont surpassées par aucun autre. Le régime d'ordre et de régularité qui règne dans ce grand ensemble inspire à tous ceux qui visitent l'établissement une confiance absolue dans sa prospérité.

Toujours préoccupé de la nécessité de faire alliance des qualités des ouvriers belges et français, pour atteindre, dans notre pays, à la perfection du travail, M. Merklin a conçu l'idée hardie d'avoir à Paris une grande fabrique, comme sœur de la maison de Bruxelles. Deux établissements où l'on construit des orgues existent dans la capitale de la France, tous deux célèbres par leurs succès : l'un est celui de M. Cavaillé-Coll, dont j'ai cité les travaux dans mon premier rapport; l'autre

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