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mis, elle le tient. La liberté avait longtemps manqué à l'Église, l'Église ne manqua pas à la liberté. »

Ici l'écrivain mentionne l'opposition que fit l'Univers au projet de loi dès son apparition. Ce projet ne put reparaitre dans l'Assemblée qu'au mois de novembre 1849. Le 31 octobre de la même année un nouveau ministère était arrivé aux affaires. L'Assemblée décida par 307 voix contre 303 que le projet serait renvoyé au Conseil d'État. Cette décision excita une vive émotion dans le public et donna lieu à de chauds débats dans la presse et dans les écrits politiques. Peu à peu une réaction s'opéra en faveur du projet. Après avoir rappelé ces faits M. de Falloux continue :

« Le contre-coup de ces débats et de ces dissidences fut si vif dans la réunion particulière de la majorité, désignée alors sous le nom de réunion du quasi d'Orsay, que l'on crut à sa dissolution. Quinze jours se passèrent sans qu'aucune convocation fût adressée à ses membres, mais l'insistance loyale de M. Thiers, l'intervention toujours puissante de M. Molé, le dévouement inébranlable des légitimistes, finirent par rapprocher, encore une fois, les tronçons épars de l'ancien parti de l'ordre. M. Molé ne se contenta pas de rouvrir le débat au quai d'Orsay; il convoqua chez lui tous ceux qui pouvaient contribuer à la reconstitution de la majorité. Là, il exposa toutes les phases de la situation. M. Thiers, M. Berryer, M. de Montalembert, échangèrent de solennelles promesses, puis, rendant compte, le lendemain, au quai d'Orsay, de leur démarche et de leur langage de la veille, obtinrent une complète approbation.

«Sur ces entrefaites, la loi provisoire sur l'enseignement primaire parut devant l'assemblée. M. de Parieu déroula une longue et scandaleuse série de correspondances intimes des instituteurs. L'effet de ces révélations fut immense, et, quand M. Molé réclama la mise à l'ordre du jour de la loi de l'enseignement, revenue du conseil d'État, nulle objection ne put prévaloir, et la première délibération fut fixée au 14 janvier 1850.

Le conseil d'État avait accompagné la loi de l'enseignement, non pas seulement de quelques avis, mais d'un véritable contreprojet. Ce travail exerça très-peu d'influence. Nous n'avons pas à rappeler ici les différentes phases de cette mémorable délibération. Si la tribune veut un jour défendre sa cause, elle trouvera là ses plus magnifiques et ses plus concluants arguments. M. Thiers et M. de Montalembert achevèrent, en présence du pays attentif, l'œuvre qu'ils avaient entreprise et poursuivie avec tant de courage et de persévérance depuis un an. Tous deux, après avoir porté les coups les plus décisifs à leurs adversaires, firent entendre un dernier appel à leurs amis dissidents. Traduit chaque matin devant les catholiques, comme s'il eût déserté les opinions de sa vie entière, privé sa cause du fruit de ses propres services, anéanti les dernières espérances de la religion et de la liberté, M. de Montalembert émut profondément l'Assemblée en lui adressant ces paroles :

« On nous a reproché d'avoir substitué l'alliance à la lutte. Oui, messieurs, j'ai fait la guerre et je l'ai aimée; je l'ai faite aussi longtemps, aussi bien et peut-être mieux que ceux qui me reprochent aujourd'hui de la cesser.

« Mais je n'ai pas cru que la guerre fût le premier besoin, la première nécessité du pays. Au contraire, j'ai pensé qu'en présence du danger commun, des circonstances si graves et si menaçantes où nous sommes, et en présence aussi, (pourquoi ne le dirais-je pas ?) des dispositions que je rencontrais chez des hommes que nous avions été habitués à regarder comme adversaires, le premier de nos devoirs était de répondre à ces dispositions nouvelles, et c'est à cette pensée honorable que j'ai consacré, depuis un an, toute l'activité et tout le dévouement de mon âme.

« Nous n'avons sacrifié que l'esprit de contention, l'esprit d'amertume et d'exagération. Je suis, du reste, convaincu que j'ai agi d'accord avec l'esprit de l'Église... L'Église, inflexible dans la lutte contre l'orgueil, dépasse toujours ses adversaires, ses rivaux, dans l'esprit de conciliation, quand le moment de la paix est arrivé. Quand on fait un pas vers elle, elle en fait deux vers vous. Voilà le rôle de l'Église, tel que je l'ai étudié et apprécié dans son his

toire. L'Église ne veut jamais humilier personne devant elle, elle n'humilie que devant Dieu. L'Église ne dit jamais ces deux paroles que vous entendez tous les jours dans la sphère de la politique Tout ou rien et Il est trop tard. Elle ne dit jamais tout ou rien, car c'est le mot de l'orgueil, et de la passion humaine qui veut jouir et vaincre aujourd'hui, sachant bien qu'elle doit mourir demain. L'Église, comme on l'a tant dit, est patiente parce qu'elle est éternelle. Elle ne dit pas: Il est trop tard, ce mot coupable et impitoyable, parce qu'il n'est jamais trop tard non plus pour sauver une société qui consent à être sauvée. »

« Comme M. de Montalembert, M. Thiers avait des amis rebelles à convaincre ; il s'imposa pour tâche de ne dominer les convictions que par l'autorité du bon sens et le rayonnement splendide de l'évidence. Ce qui signale, au point de vue de l'art oratoire, ce discours, entre tous ceux dont le pays gardera mémoire, c'est qu'il fut grand de la grandeur seule du sujet. Pas une digression, pas un mot étranger à la loi, pas une phrase ambitieuse; mais, dans le cadre le plus simple, une exposition de faits d'une incomparable méthode, une analyse limpide des difficultés les plus ardues, puis un hardi et généreux retour sur lui-même, un impitoyable châtiment de ces faux apôtres de liberté qui ne la veulent jamais accorder à quiconque peut les contredire, une merveilleuse dextérité à les prendre dans leurs propres piéges, jusqu'à arracher aux plus forcenés montagnards ce cri: «Non, non! nous n'avons pas peur des jésuites! Parvenu au terme de son immense parcours, M. Thiers recueillit ses forces, résuma toutes les puissances de son argumentation, non pour s'assurer le triomphe de la parole, celuilà ne pouvait plus lui échapper, mais le succès du vote que les passions les plus diverses rendirent problématique jusqu'à la dernière minute :

<< Maintenant, dit-il, je m'adresse plus particulièrement aux hommes qui m'ont suivi dans ma carrière, qui ont partagé toutes mes opinions, que j'ai vus quelquefois soucieux du projet que nous proposons, se demander, après avoir entendu répéter tant de fois que la conciliation était impossible, si elle était possible en effet. Eh bien, oui, messieurs... je crois à cette conciliation, j'y crois parce que, vivant, depuis un an entier, avec les représentants

des intérêts divers, en lisant dans leur cœur, dans leur esprit, j'ai vu qu'il était possible de se concerter, de s'entendre, de faire cesser des guerres déplorables entre amis communs de la société. J'ai éprouvé par moi-même qu'il était possible de s'entendre.

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«En présence des dangers qui menacent la société, j'ai tendu la main à ceux que j'avais combattus. Ma main est dans la leur, elle y restera, j'espère, pour la défense commune de cette société qui peut être indifférente à quelques-uns, mais qui nous touche profondément.

A. DE FALLOUX.

SAINT BENOIT,

PATRIARCHE DES MOINES D'OCCIDENT;

PAR M. LE BARON DE GERLACHE.

Puisque nous avons prononcé le nom du plus illustre fondateur des ordres religieux dans l'Occident (1), qu'on nous permette de nous y arrêter un instant, car ces grandes institutions se rattachent intimement à notre sujet. Saint Benoit naquit à Norcie, en Ombrie, en 481, au milieu des bouleversements de la conquète barbare. A peine arrivé à l'âge de l'adolescence, ses parents l'envoyèrent aux écoles publiques de Rome. Les mœurs corrompues de cette grande ville l'en dégoûtèrent, et il se retira dans un désert écarté, où il vécut en ermite pendant trois années. Il devint ensuite abbé de Vicovare; mais les moines, qui le trouvaient trop sévère, ayant conspiré contre sa vie, il les quitta et s'établit à Sublac où il båtit plusieurs monastères. Calomnié et persécuté de nouveau, il se réfugia au Mont-Cassin, où sa réputation lui attira bientôt un grand nombre de disciples. Il y avait là un ancien temple et un bois consacrés à Apollon. Saint Benoit brisa l'idole, coupa le bois, démolit le temple et éleva sur ses ruines deux oratoires ou chapelles, sous l'invocation de saint Martin. Telle fut l'origine de ce fameux monastère du Mont-Cassin, dont notre saint jetta les fondements en 529.

(1) Cet article fait suite à celui que nous avons publié sur l'établissement du christianisme en Belgique.

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