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garder, Paris l'obtint. Il repose sous les pieds de cette jeunesse qu'il a évangélisée par sa vie, et à laquelle il parle encore du fond de sa tombe.

Reviendrai-je maintenant sur des faits ou des vertus oubliés au courant de mon récit? Recueillerai-je dans cette vie quelques épis épars après la moisson? La piété me le permet, si elle ne me le commande pas.

Ozanam avait une grande tendresse de cœur, une grande foi aux choses domestiques. Quoiqu'il fût très-sobre, et que souvent même il ne s'aperçut pas de ce qui lui était servi, il tenait extrêmement à ce que, le dimanche et les jours de fête, il y eût sur la table quelque mets plus délicat que de coutume. C'était lui qui le commandait d'ordinaire, et quelquefois qui l'apportait. Étranger à toute idée de luxe, peu soigneux de son vêtement, content des plus simples meubles, il attachait du prix à un bouquet de fleurs. Il aimait à en avoir près de lui, sur son bureau. De beaux livres, de belles gravures le tentaient aussi, et il ne résistait pas à l'acquisition de quelque petit tableau dont le mérite avait captivé ses yeux. Les voyages aux grands lieux du monde étaient encore un de ses faibles; il courait à un lac, à une vallée, et quand les ombres de l'histoire descendaient avec celles de la nature sur un champ ou sur une ruine, il s'y sentait attiré par une invincible sympathie. Ce n'était pas, à vrai dire, une âme austère; la poésie l'avait consacré tout enfant, et il n'y avait pas de muse qui n'habitat en lui.

Le 23 de chaque mois, date chère à sa mémoire, parce que c'était celle de son mariage, il ne manquait jamais d'offrir à sa femme quelques plantes fleuries. Même à la veille de sa mort, il n'oublia point de le faire, et le 23 août qui la précéda, étant encore au village de l'Antignano, il envoya chercher une branche de myrte qu'il avait remarquée au bord de la mer, pour la donner à celle qui depuis douze ans charmait et fortifiait sa vie.

Il avait eu pour sa mère vivante un culte qu'il lui conserva toujours, et j'ai remarqué dans ses lettres qu'il en parlait sans cesse avec une tendre admiration. Quand il l'eut perdue, sa douleur ful extrême; mais le premier déchirement passé, il se fit en lui un phénomène qu'il appelle quelque part la conviction de la présence

réelle de sa mère. Il lui semblait qu'elle le suivait encore, qu'elle l'inspirait, qu'elle le récompensait, comme au temps de son en- · fance, par des caresses sensibles.

L'amitié ne fut pas pour Ozanam le sentiment éphémère d'une jeunesse rapide. Ni les années, ni le mariage, ni la célébrité, ne tarirent en lui le besoin d'aimer des égaux. Il les recherchait même au-dessous de son âge par une condescendance qui fut récompensée, et ayant moi-même aimé quelqu'un de ceux qu'il aimait, j'ai eu de touchantes preuves de l'affection qu'il savait inspirer.

Sa piété était vive et douce. Elle prit de bonne heure le caractère d'un dévouement actif à cette grande société des âmes que Dieu a fondée sur la terre par le sang de son Fils, et il se crut même appelé à quitter le monde pour apprendre à le bénir. Quelque chose le retint, soit un peu de faiblesse devant le sacrifice, soit la crainte de perdre une part de sa liberté, soit plutôt que Dieu voulût de lui un cœur de prêtre dans une vie d'homme du siècle. Ce mot le peint tout entier. Nul chrétien en France, et de notre temps, n'aima davantage l'Eglise, ne sentit mieux ses besoins, ne pleura plus amèrement les fautes de ceux qui la servaient, n'ent enfin dans une existence laïque un plus véritable et plus profond apostolat. La prière et la méditation des choses divines le soutenaient à cette hauteur surnaturelle, malgré la préoccupation incessante de ses travaux d'esprit. Chaque matin, il lisait dans une Bible grecque quelques versets ou quelques pages de l'Écriture sainte, suivant que l'onction de Dieu le retenait plus ou moins sur ce qu'il avait lu. C'était la première demi-heure de sa journée. Il y avait puisé une connaissance efficace de la parole de Dieu. Jamais il ne se rendait à son cours sans avoir prié à genoux, pour qu'il ne dit rien de contraire à la vérité, ou dans le seul but de s'attirer des applaudissements. On remarquait dans sa controverse une attention infinie à ne pas blesser ceux qui discutaient avec lui, quelles que fussent leurs erreurs. Il lui semblait, dès qu'une intelligence traitait de Dieu, que déjà elle était sur la voie de le trouver, et qu'un mot superbe ou trop vif pouvait lui faire une blessure irréparable. Mais cette douceur n'allait jamais jusqu'au déguisement de sa pensée. Il professait sa foi avec la courageuse humilité du chrétien qui connait le peu qu'est le monde, et si le respect des

àmes lui inspirait une exquise modération, le respect de la sienne s'élevait au-dessus de toute crainte humaine.

Un jour qu'il visitait à Londres l'église de Westminster, mêlé à une foule d'étrangers et d'inconnus, il arriva derrière le chœur, en face du tombeau de saint Édouard. La vue de ce monument mutilé par le protestantisme le saisit de douleur, et, tombant à genoux devant les reliques telles quelles du saint Louis de l'Angleterre, il pria seul en expiation de tout ce peuple qui ne connait plus ses saints, et au mépris de l'assistance qui le prit sans doute pour un idolâtre, sinon pour un fou.

Dans une autre occasion, de nature différente, il avait révélé le même courage, et ceux qui l'ont vu à côté de M. Lenormant, aux jours où ce regrettable professeur succomba sous les lâchetés d'une agression sans cause, ceux-là ne douteront jamais qu'il ne fût capable de toute confession devant tout péril.

Les amis d'Ozanam ont voulu élever à sa mémoire un mausolée. Ils n'ont choisi ni le marbre, ni le bronze, mais ses propres écrits. Leur main fidèle et respectueuse a rassemblé ces pages dispersées et leur a donné malgré la mort, une unité qu'elles tiennent bien moins de leur disposition posthume que du souffle qui les anime d'un bout à l'autre. L'érudit, l'homme pieux, l'orateur, s'y révèlent dans un tissu qui ne faiblit jamais, et cette lecture inspirera toujours ensemble le regret et l'admiration, le regret d'une vie si rare et sitôt tombée, l'admiration de talents si divers dans un même esprit.

H.-D. LACORDaire.

INTRODUCTION

A LA

GUERRE DE TRENTE ANS 0.

La vie de Tilly est si étroitement liée aux premières périodes de la guerre de trente ans, qu'on ne peut écrire l'une sans retracer en même temps la seconde, tant est grand le rôle que joue dans celle-ci la personnalité du général catholique. Il est donc indispensable pour l'intelligence du récit d'entrer dans quelques détails préliminaires sur les événements qui précédèrent et préparèrent la guerre de trente ans. Ces détails ont leur intérêt et sont comme le prologue du drame qui va se dérouler sous les yeux du lecteur.

A peine Mathias avait-il atteint le but si longtemps convoité et si péniblement recherché par son ambition que l'arme dont il venait de frapper son souverain, se retourna contre lui. Avec l'aurore de son triomphe s'était levée celle de son châtiment. Lorsque en prenant possession de ses nouveaux états, il voulut se faire prêter serment par les habitants, il éprouva une résis

(1) Le fragment que nous donnons ici est extrait de l'Histoire de Tilly, que M. le comte de Villermont se propose de publier prochainement. Dans le plan de l'ouvrage, il est destiné à relier la première partie de la carrière militaire de Tilly, qui se terminc en 1608, après le couronnement de l'archiduc Mathias comme roi de Hongrie, avec la guerre de trente ans.

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tance imprévue de la part de la noblesse autrichienne, presque tout entière protestante, qui prétendit garder ample part des dépouilles de l'autorité royale. La lutte dura quelques mois; elle devait finir, elle finit en effet par la défaite de Mathias, qui descendit rapidement la pente périlleuse des concessions, sous le poids des obligations qu'il avait imprudeminent contractées envers ses alliés de la veille devenus ses sujets, ou pour parler plus vrai, ses maîtres du lendemain. De nouveaux dangers lui arrachèrent de nouveaux sacrifices, mais calmèrent momentanément les dissensions intestines des vainqueurs de Rodolphe, en attirant leur attention au dehors.

La dure expérience du passé n'avait profité en rien au malheureux empereur. Une idée fixe de vengeance absorbait son esprit il voulait à tout prix rentrer en possession des domaines que Mathias lui avait enlevés. Dans ce but, il essaya de profiter de la scission survenue entre le roi de Hongrie et les États d'Autriche pour se ramener ceux-ci, en leur prodiguant les promesses les plus séduisantes. Ces démarches ne lui rapportèrent que de la honte et un degré d'humiliation de plus. Les États de Bohême auxquels les Autrichiens les avaient révélées, s'en prévalurent contre lui et le forcèrent par la violence à signer cette fameuse lettre de majesté, source de tant de calamités pour la Bohême et l'Allemagne tout entière.

On appela ainsi un décret par lequel Rodolphe assurait aux Bohêmes pleine et entière liberté de conscience, concédait aux protestants l'Université de Prague avec pouvoir d'y introduire les changements qu'ils jugeraient convenables, et les autorisait à construire ou acquérir en tous lieux des églises, des écoles et des cimetières. Toute ordonnance antérieure, contraire à ces dispositions, était déclarée sans valeur, et la nullité frappait d'avance toute mesure, émanant du pouvoir royal ou ecclésiastique, qui n'y serait pas conforme. Un acte additionnel reconnut aux protestants le droit d'élire dans leur sein un nombre indéterminé de commissaires, dits défenseurs, chargés de surveiller l'exécution complète et loyale de la lettre de Majesté. Ces défenseurs devaient être confirmés par le roi, dans les quinze jours de l'élection, sans que, faute de cette formalité, leur mandat put être

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