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vaincre que successivement et à la longue. Enfin, après toute une année d'efforts, le duc de Bavière parvint à réunir autour de lui un noyau suffisant pour poser les bases de l'édifice qu'il projetait. Le 10 juillet 1609, il signa à Munich, avec les évêques de Wurzbourg, de Constance, de Ratisbonne, de Strasbourg, de Passau, le prévôt d'Ellwangen et l'abbé de Kempten, l'acte de fondation de la sainte Ligue, qu'il avait rédigé lui-même de concert avec son chancelier Joachim de Donnersberg et presque entièrement écrit de sa propre main.

La sainte Ligue se donnait pour but le maintien et la défense de la vraie religion catholique, se déclarait purement défensive et n'admettait l'emploi de la force qu'en cas de légitime défense et après épuisement des voies de droit. Elle se soutenait au moyen de contributions fixées chaque année pour chacun de ses membres. Le duc de Bavière en fut proclamé chef avec de grands pouvoirs, et un conseil d'assistance composé de l'archidue Léopold, évêque de Passau, des évêques Jules de Wurzbourg et Henri d'Augsbourg. Peu de temps après, dans une réunion tenue à Mayence, les trois électeurs ecclésiastiques, vivement sollicités par Maximilien, consentirent à entrer dans l'alliance; mais sous prétexte que les contrées du Rhin étaient trop éloignées de la Bavière, ils stipulèrent qu'un directoire spécial serait érigé en faveur de l'électeur de Mayence pour les états du Rhin. Cette exigeance froissa vivement Maximilien; néanmoins, il s'y soumit provisoirement sans objection. Une assemblée générale des membres de la Ligue fut indiquée pour le 8 février 1610, à Wurzbourg, et dans l'intervalle, des envoyés nommés de commun accord, se rendirent en Italie et à Madrid pour solliciter l'appui moral et pécuniaire du Pape, du roi d'Espagne et d'autres cours catholiques. A Rome et dans le reste de l'Italie, le résultat fut médiocre le Pape craignait de mécontenter la maison d'Autriche, laissée en dehors de l'Alliance. Le grand duc de Florence et les autres princes italiens se souciaient peu de s'aventurer en spéculations aussi chanceuses; tous accueillirent fort bien les envoyés bavarois, mais ne se montrèrent prodigues que de félicitations et de vœux.

Le capucin Laurent de Brindes, que sur la demande de Maximilien le Pape avait dépêché à Madrid, y fut plus heureux. Grâce

à l'appui chaleureux que lui prêta la reine Marguerite, princesse autrichienne, sœur de l'archiduc Ferdinand de Styrie, il obtint la promesse formelle d'un subside assez considérable pour entretenir deux régiments d'infanterie et un de cavalerie, sous clause cependant que le roi serait protecteur de la Ligue.

(1610.) Au jour marqué, les membres de la Ligue s'assemblèrent à Wurzbourg pour préciser et arrêter les conditions et les points les plus importants du pacte qui les liait. Leur premier acte fut d'admettre dans la confédération l'archiduc Ferdinand de Styrie. On détermina le chiffre des contributions de chaque membre, le montant des cotes devant être versé dans une ville bavaroise, Ingolstadt ou Munich. Enfin l'on s'occupa de l'organisation militaire. Le duc de Bavière fut maintenu généralissime des troupes de la Ligue, avec trente-cinq mille florins de traitement par mois, et chargé de former un état-major, composé d'un maréchal de camp et d'un major général, chacun avec quatre à cinq mille florins d'appointements par mois. L'assemblée se sépara après avoir décidé qu'une ambassade spéciale serait envoyée à l'empereur, pour lui notifier la constitution de la Ligue et lui fournir toutes les explications nécessaires.

A la même époque, les membres de l'Union évangélique étaient réunis à Halle, pour s'y occuper des affaires de la succession de Juliers. L'électeur palatin et Christian d'Anhalt revenant de nouveau à la charge, déterminèrent enfin leurs collègues à accepter l'alliance de la France: un envoyé du roi Henri IV fut admis aux délibérations, et un traité signé le 11 février stipula qu'une armée française de dix mille hommes se joindrait à celle que les princes unis se proposaient de faire agir dans les duchés. Mais cette opération militaire n'était qu'un faible accessoire de la vaste conjuration qui s'organisait en silence contre le catholicisme et la maison d'Autriche sous les coupables inspirations de l'électeur Frédéric IV, de Christian d'Anhalt, du landgrave Maurice de Hesse. Il ne s'agissait rien moins que de détrôner l'empereur, de transporter sa couronne au roi de France ou, à son défaut, au roi de Danemark, et de changer complétement l'état politique de l'Allemagne. Sans doute les projets de Henri allaient plus loin et le désintéressement qu'il affectait vis-à-vis

des princes protestants d'Allemagne n'était que simulé. On connaît le plan grandiose enfanté par son ambition et que la main de Ravaillac l'empêcha d'ébaucher; mais les conspirateurs calvinistes étaient trop absorbés par leurs propres convoitises pour comprendre clairement qu'ils ne jouaient que le rôle d'instrument et qu'en trahissant leur patrie, ils se forgeaient eux-mêmes des chaines. Abaisser l'autorité impériale au profit de leur souveraineté particulière, partager les dépouilles des catholiques, tel était, en résumé, le but auquel visaient la plupart des conjurés. Peu importait ensuite, leur semblait-il, que le roi de France posât sur sa tête une couronne avilie, ils croyaient le tromper eux-mêmes par l'appât qu'ils lui présentaient. En dehors de l'aristocratie princière, d'autres esprits s'agitaient, et poussant plus loin la logique du libre examen, rejetaient l'autorité en politique, comme les princes la niaient en religion. Des fragments d'écrits secrets, parvenus jusqu'à nous, dit un historien éminent (1), donnent lieu de croire, qu'à la même époque, la plupart des villes libres d'Allemagne étaient entrées dans le réseau d'une grande conspiration démocratique, dont la tête était en Hollande, et qui tendait à renverser les princes et les rois avec l'aide des bannis de tous pays qui affluaient en Allemagne, des gens de guerre sans emploi, des paysans allemands, et d'établir partout des souverainetés populaires.

La convention de Hall constatait officiellement l'alliance du protestantisme allemand avec la France et se rattachait en apparence uniquement à la conquête des duchés de Clèves et Juliers; mais déjà antérieurement des plans beaucoup plus étendus avaient été dressés secrètement entre les ministres du roi et les agents des princes unis; la France, le Danemark, la Hollande, la Suède, et jusqu'aux princes de Transylvanie et de Valachie avaient leur rôle marqué, et devaient contribuer par des moyens déterminés à l'œuvre commune; mais à la France incombait la plus grande part d'action, et la direction suprême d'une entreprise qui, dans les pensées de Henri, devait confirmer à jamais sa prépondéranee politique en Europe. D'immenses préparatifs de guerre se fai

(1) GFROERER, Gustave-Adolphe, p. 277 et suiv.

saient dans toutes les provinces de l'État et une nombreuse armée se rassemblait sur les frontières de la Lorraine. Déjà les troupes françaises avaient commencé à la fois des hostilités sur les territoires de Strasbourg et de Juliers, lorsque arriva la nouvelle de l'assassinat du roi. La consternation des princes unis fut grande; mais ils n'en poursuivirent pas moins la guerre. Le comte de Solms battit les troupes impériales et fit prisonnier le comte Ernest de Mansfeld, alors au service de l'archiduc Léopold. Juliers, la dernière ville des duchés qui tint encore pour l'empereur, tomba entre leurs mains, et d'autre part l'électeur palatin, les margraves d'Anspach et de Baden se jetèrent sur les évêchés à leur portée et y firent un butin immense.

La constitution de la Ligue était encore trop récente pour qu'elle pût s'opposer aux armes de l'Union. Elle n'avait encore d'organisation que sur le papier, et chose plus fâcheuse, des tiraillements s'étaient produits dans son sein et avaient paralysé tout effort d'activité. Les prélats montraient beaucoup de mauvais vouloir à payer leurs cotes et restaient sourds à toutes les plaintes de Maximilien, qui, forcé par sa qualité même de chef de la ligue de faire solder toutes les dépenses ordonnées, se trouva bientôt en avance de sommes considérables. D'un autre côté, l'ancienne rivalité de rang des maisons d'Autriche et de Bavière, encore mal éteinte malgré les nombreuses alliances, qui les reliaient entre elles, s'était réveillée; le roi d'Espagne supportait avec peine qu'un corps, réunissant les forces vives catholiques en Allemagne, eût pu se créer en dehors de l'influence autrichienne et considérait la position du duc de Bavière à la tête de la ligue comme un échec de fait pour les Habsbourg. De l'empereur il se souciait peu; car il faisait bon marché des prérogatives du commandement réel, pourvu que Maximilien consentit à en partager le titre honorifique avec l'archidue Ferdinand de Styrie. Ce sentiment était celui de l'archiduc Maximilien et de quelques membres de la branche de Styrie. L'opposition d'Albert des Pays-Bas prenait sa source dans un autre ordre d'idées; « l'expérience prouve, écrivait-il, que ces sortes de ligues et d'union ont pour résultat d'affaiblir et d'abaisser l'autorité de l'empereur, de ruiner les salutaires constitutions de l'empire et de faire perdre

en général toute espèce de respect et d'obéissance envers l'autorité supérieure (1). Lorsque les membres se liguent entre eux en laissant la tête de côté, il arrive que l'autorité du chef qui les domine tous est enlevée et que le corps ne peut subsister en bon état; les plus forts terrassent les plus faibles, et au dernier terme de la lutte, le corps tout entier succombe entraînant la tête et s'anéantit lui-même. » Il concluait en émettant le vœu que l'empereur cherchât par tous les moyens possibles à dissoudre à la fois l'Union et la Ligue et à reconstruire de leurs meilleurs éléments un autre corps dont il serait le chef, « chose qui n'est possible, ajoutait-il, que si nous avons pour nous tous les neutres. » Certes, cette opinion était celle d'un esprit sagace et judicieux, ce vou, celui d'une âme honnête et loyale; malheureusement en pratique c'était une chimère, ni Rodolphe, ni après lui Mathias ne possédaient l'influence personnelle, l'énergie nécessaire pour mener à bonne fin une entreprise sous le poids de laquelle avait déjà échoué Charles V dans de meilleures conditions. Albert ne tarda pas à le reconnaître. L'électeur de Mayence, Schweikard de Cronberg, prélat aussi éminent par ses vertus que par ses rares talents d'homme d'État avait d'abord approuvé les vues de l'archiduc, mais sa grande expérience l'avait bientôt convaincu de l'impossibilité de les appliquer dans les circonstances actuelles. Il se préoccupait avant tout des graves dangers que de plus longs délais devaient entrainer pour l'Église catholique. Il se rallia donc franchement au duc de Bavière, et ce fut, grâce à ses efforts et au désintéressement de l'archiduc Ferdinand, que Maximilien, un moment ébranlé par les obstacles qui lui avaient été suscités, consentit à garder le commandement de la ligue dont il voulait se dépouiller.

Un temps précieux avait été perdu, temps pendant lequel l'Union avait pu user à son aise de ses forces pour chasser complétement l'archiduc Léopold des duchés de Clèves et de Juliers, et ruiner les États de quelques membres de la ligue. L'imminence du danger opéra le rapprochement des esprits. Les

(1) Arch. de Bruxelles. Correspondance d'Albert et de Mathias. Lettres sans date, carton 118.

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