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seulement l'organisation des parties, l'impression des objets sur le cerveau, et la direction des esprits, pour faire jouer les muscles.

C'est en cela que consiste l'instinct, selon cette opinion; et ce ne sera autre chose que celte force mouvante, par laquelle les muscles sont ébranlés et agités.

Au reste, ceux qui suivent cette opinion, observent que les esprits peuvent changer de nature par diverses causes. Plus de bile mèlée dans le sang, les rendra plus impétueux et plus vifs. Le mélange d'autres liqueurs les fera plus tempérées. Autres seront les esprits d'un animal repu, autres ceux d'un animal affamé. Il y aura aussi de la différence entre les esprits d'un animal qui aura sa vigueur entière, et ceux d'un animal déjà épuisé et recru. Les esprits pourront être plus ou moins abondants, plus ou moins vifs, plus grossiers ou plus atténués, et ces philosophes prétendent qu'il n'en faut pas davantage pour expliquer tout ce qui se fait dans les animaux, et les différents états où ils se trouvent.

Avec ce raisonnement, cette opinion jusqu'ici entre peu dans l'esprit des hommes. Ceux qui la combattent concluent de là qu'elle est contraire au sens commun : et ceux qui la défendent, répondent que peu de personnes les entendent, à cause que peu de personnes prennent la peine de s'élever au-dessus des préventions des sens et de l'enfance.

Il est aisé de comprendre, par ce qui vient d'être dit, que ces derniers conviennent avec l'Ecole, non-seulement que le raisonnement, mais encore que la sensation, ne peut jamais précisément venir du corps; mais ils ne mettent la sensation qu'où ils mettent le raisonnement, parce que la sensation, qui d'elle-même ne connoît point la vérité, selon eux n'a aucun usage que d'exciter la partie qui la connoît.

Et ils soutiennent que les sensations ne servent de rien à expliquer ni à faire les mouvements corporels, parce que, loin de les causer, elles les suivent; en sorte que, pour bien raisonner, il faut dire Tel mouvement est, donc telle sensation s'ensuit; et non pas, telle sensation est, donc tel mouvement s'ensuit.

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Pour ce qui est de l'immortalité de l'âme humaine, êlle n'a aucune difficulté, selon leurs principes. Car dès là qu'ils ont établi, avec toute l'Ecole, qu'elle est distincte du corps, parce qu'elle sent, parce qu'elle entend, parce qu'elle veut, en un mot, parce qu'elle pense; ils disent qu'il n'y a plus qu'à considérer que Dieu, qui

aime ses ouvrages, conserve généralement à chaque chose l'être qu'il lui a une fois donné. Les corps peuvent bien être dissous, leurs parcelles peuvent bien être séparées et jetées deçà et delà, mais pour cela ils ne sont point anéantis. Si donc l'âme est une substance distincte du corps, par la même raison, ou à plus forte raison, Dieu lui conservera son être; et n'ayant point de parties, elle doit subsister éternellement dans toute son intégrité.

XIV. Conclusion de ce Traité, où l'excellence de la nature humaine est de nouveau démontrée.

Voilà les deux opinions que soutiennent, touchant les bêtes, ceux qui ont aperçu qu'on ne peut sans absurdité ni leur donner du raisonnement, ni faire sentir la matière. Mais, laissant à part les opinions, rappelons à notre mémoire les choses que nous avons constamment trouvées et observées dans l'âme raisonnable.

Premièrement, outre les opérations sensitives, toutes engagées dans la chair et dans la matière, nous y avons trouvé les opérations intellectuelles, si supérieures au corps, et si peu comprises dans ses dispositions, qu'au contraire elles le dominent, le font obéir, le dévouent à la mort et le sacrifient.

Nous avons vu aussi que, par notre entendement, nous apercevons des vérités éternelles, claires et incontestables. Nous savons qu'elles sont toujours les mêmes, et nous sommes toujours les mêmes à leur égard, toujours également ravis de leur beauté, et convaincus de leur certitude; marque que notre âme est faite pour les choses qui ne changent pas, et qu'elle a en elle un fond, qui aussi ne doit pas changer.

Car il faut ici observer que ces vérités éternelles sont l'objet naturel de notre entendement. C'est par elles qu'il rapporte naturellement toutes les actions humaines à leur règle; tous les raisonnements aux premiers principes connus par eux-mêmes, comme éternels et invariables; tous les ouvrages de l'art et de la nature, toutes les figures, tous les mouvements, aux proportions cachées, qui en font et la beauté et la force; enfin toutes choses généralement, aux décrets de la sagesse de Dieu, et à l'ordre immuable qui les fait aller en concours.

Que si ces vérités éternelles sont l'objet naturel de l'entendement humain; par la convenance qui se trouve entre les objets et les puissances, on voit quelle est sa nature, et qu'étant né conforme à des choses qui ne changent point,

il a en lui un principe de vie immortelle. Et parmi ces vérités éternelles qui sont l'objet naturel de l'entendement, celle qu'il aperçoit comme la première, en laquelle toutes les autres subsistent et se réunissent, c'est qu'il y a un premier Etre qui entend tout avec certitude, qui fait tout ce qu'il veut, qui est lui-même sa règle, dont la volonté est notre loi, dont la vérité est notre vie.

Nous savons qu'il n'y a rien de plus impossible que le contraire de ces vérités, et qu'on ne peut jamais supposer, sans avoir le sens renversé, ou que ce premier Etre ne soit pas, ou qu'il puisse changer, ou qu'il puisse y avoir une créature intelligente qui ne soit pas faite pour entendre et pour aimer ce principe de son Etre. C'est par là que nous avons vu que la nature de l'âme est d'être formée à l'image de son auteur; et cette conformité nous y fait entendre un principe divin et immortel.

Car s'il y a quelque chose, parmi les créatures, qui mérite de durer éternellement, c'est sans doute la connoissance et l'amour de Dieu, et ce qui est né pour exercer ces divines opérations.

Quiconque les exerce, les voit si justes et si parfaites, qu'il voudroit les exercer à jamais; et nous avons, dans cet exercice, l'idée d'une vie éternelle et bienheureuse.

Les histoires anciennes et modernes font foi que cette idée de vie immortelle se trouve confusément dans toutes les nations qui ne sont pas tout-à-fait brutes; mais ceux qui connoissent Dieu, l'ont très claire et très distincte. Car ils voient que la créature raisonnable peut vivre éternellement heureuse, en admirant les grandeurs de Dieu, les conseils de sa sagesse, et la beauté de ses ouvrages.

Et nous avons quelque expérience de cette vie, lorsque quelque vérité illustre nous apparoit, et que, contemplant la nature, nous admirons la sagesse qui a tout fait dans un si bel ordre.

Là nous goûtons un plaisir si pur, que tout autre plaisir ne nous paroît rien en comparaison. C'est ce plaisir qui a transporté les philosophes, et qui leur a fait souhaiter que la nature n'eût donné aux hommes aucunes voluptés sensuelles, parce que ces voluptés troublent en nous le plaisir de goûter la vérité toute pure.

Qui voit Pythagore ravi d'avoir trouvé les carrés des côtés d'un certain triangle, avec le carré de sa base, sacrifier une hécatombe en action de grâces; qui voit Archimède attentif à

quelque nouvelle découverte, en oublier le boire et le manger; qui voit Platon célébrer la félicité de ceux qui contemplent le beau et le bon, premièrement dans les arts, secondement dans la nature, et enfin dans leur source et dans leur principe qui est Dieu; qui voit Aristote louer ces heureux moments, où l'âme n'est possédée que de l'intelligence de la vérité, et juger une telle vie seule digne d'être éternelle, et d'être la vie de Dieu; mais qui voit les saints tellement ravis de ce divin exercice, de connoître, d'aimer et de louer Dieu, qu'ils ne le quittent jamais, et qu'ils éteignent, pour le continuer durant tout le cours de leur vie, tous les désirs sensuels qui voit, dis-je, toutes ces choses, reconnoît dans les opérations intellectuelles un principe et un exercice de vie éternellement heureuse.

Et le désir d'une telle vie s'élève et se fortifie d'autant plus en nous, que nous méprisons davantage la vie sensuelle, et que nous cultivons avec plus de soin la vie de l'intelligence.

Et l'âme qui entend cette vie, et qui la désire, ne peut comprendre que Dieu, qui lui a donné cette idée, et lui a inspiré ce désir, l'ait fait pour une autre fin.

Et il ne faut pas s'imaginer qu'elle perde cette vie en perdant son corps; car nous avons vu que les opérations intellectuelles ne sont pas, à la manière des sensations, attachées à des organes corporels. Et encore que, par la correspondance qui se doit trouver entre toutes les opérations de l'âme, l'entendement se serve des sens et des images sensibles, ce n'est pas en se tournant de ce côté-là qu'il se remplit de la vérité, mais en se tournant vers la vérité éternelle.

Les sens n'apportent pas à l'âme la connoissance de la vérité; ils l'excitent, ils la réveillent, ils l'avertissent de certains effets: elle est sollicitée à chercher les causes; mais elle ne les découvre, elle n'en voit les liaisons, ni les principes qui font tout mouvoir, que dans une lumière supérieure, qui vient de Dieu, ou qui est Dieu même.

Dieu donc est la vérité; d'elle-même toujours présente à tous les esprits, et la vraie source de l'intelligence. C'est de ce côté qu'elle voit le jour; c'est par là qu'elle respire et qu'elle vit.

Ainsi, autant que Dieu restera à l'âme (et de lui-même jamais il ne manque à ceux qu'il a faits pour lui, et sa lumière bienfaisante ne se retire jamais que de ceux qui s'en détournent volontairement), autant, dis-je, , que Dieu restera à l'âme, autant vivra notre intelligence :

et quoi qu'il arrive de nos sens et de notre corps, la vie de notre raison est en sûreté.

Que s'il faut un corps à notre âme, qui est née pour lui être unie, la loi de la Providence veut que le plus digne l'emporte; et Dieu rendra à l'âme son corps immortel, plutôt que de laisser l'âme, faute de corps, dans un état imparfait.

Mais réduisons ces raisonnements en peu de paroles. L'âme née pour considérer ces vérités immuables, et Dieu, où se réunit toute vérité, par là se trouve conforme à ce qui est éternel.

En connoissant et en aimant Dieu, elle exerce les opérations qui méritent le mieux de durer toujours.

Dans ces opérations elle a l'idée d'une vie éternellement bienheureuse, et elle en conçoit le désir. Elle s'unit à Dieu, qui est le vrai principe de l'intelligence, et ne craint point de le perdre en perdant le corps; d'autant plus que la sagesse éternelle, qui fait servir le moindre au plus digne, si l'âme a besoin d'un corps pour vivre dans sa naturelle perfection, lui rendra plutôt le sien, que de laisser défaillir son intelligence par ce manquement.

C'est ainsi que l'âme connoit qu'elle est née pour être heureuse à jamais, et aussi que renon

çant à ce bonheur éternel, un malheur éternel sera son supplice.

Il n'y a donc plus de néant pour elle, depuis que son auteur l'a une fois tirée du néant pour jouir de sa vérité et de sa bonté. Car comme qui s'attache à cette vérité et à cette bonté, mérite plus que jamais de vivre dans cet exercice, et de le voir durer éternellement ; celui aussi qui s'en prive, et qui s'en éloigne, mérite de voir durer dans l'éternité la peine de sa défection.

Ces raisons sont solides et inébranlables à qui les sait pénétrer; mais le chrétien a d'autres raisons qui sont le vrai fondement de son espérance, c'est la parole de Dieu, et ses promesses immuables. Il promet la vie éternelle à ceux qui le servent, et condamne les rebelles à un supplice éternel. Il est fidèle à sa parole, et ne change point: et comme il a accompli aux yeux de toute la terre ce qu'il a promis de son Fils et de son Eglise, l'accomplissement de ces promesses nous assure la vérité de celles de la vie future.

Vivons donc dans cette attente; passons dans le monde sans nous y attacher. Ne regardons pas ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas; parce que, comme dit l'Apôtre, ce qui se voit est passager, et ce qui ne se voit pas, dure toujours.

TRAITÉ

DU LIBRE ARBITRE.

CHAPITRE PREMIER.

Définition de la liberté dont il s'agit. Différence entre ce qui est permis, ce qui est volontaire, et ce qui est libre.

Nous appelons quelquefois libre ce qui est permis par les lois; mais la notion de liberté s'étend encore plus loin, puisqu'il ne nous arrive que trop, de faire même beaucoup de choses que les lois ni la raison ne permettent pas.

On appelle encore faire librement, ce qu'on fait volontairement, et sans contrainte. Ainsi nous voulons tous être heureux, et ne pouvons pas vouloir le contraire; mais comme nous le voulons sans peine et sans violence, on peut dire en un certain sens, que nous le voulons librement. Car on prend souvent pour la même chose, liberté et volonté, volontaire et libre. Libere, d'où vient libertas, semble vouloir dire la même chose que velle, d'où vient voluntas : et on peut confondre en ce sens la liberté et la volonté; ce qu'on fait libentissimè, avec ce qu'on fait liberrimè.

On ne doute point de la liberté en ces deux sens. On convient qu'il y a des choses permises, et en ce sens, libres; comme il y a des choses commandées, et en cela nécessaires. On est aussi d'accord qu'on veut quelque chose, et on ne doute non plus de sa volonté que de son être. La question est de savoir, s'il y a des choses qui soient tellement en notre pouvoir, et en la liberté de notre choix, que nous puissions ou les choisir ou ne les choisir pas.

CHAPITRE II.

Que cette liberté est dans l'homme, et que nous connoissons cela naturellement.

Je dis que la liberté, ou le libre arbitre, considéré en ce sens, est certainement en nous, et que cette liberté nous est évidente:

3. Par l'évidence de la révélation, c'est-à-dire, parce que Dieu nous l'a clairement révélé par son Ecriture.

Quant à l'évidence du sentiment, que chacun de nous s'écoute et se consulte soi-même, il sentira qu'il est libre, comme il sentira qu'il est raisonnable. En effet nous mettons grande différence entre la volonté d'ètre heureux, et la volonté d'aller à la promenade. Car nous ne songeons pas seulement que nous puissions nous empêcher de vouloir être heureux, et nous sentons clairement que nous pouvons nous empêcher de vouloir aller à la promenade. De même nous délibérons, et nous consultons en nousmêmes, si nous irons à la promenade, ou non; et nous résolvons comme il nous plaît, ou l'un, ou l'autre : mais nous ne mettons jamais en délibération si nous voudrons être heureux ou non ce qui montre que comme nous sentons que nous sommes nécessairement déterminés par notre nature même à désirer d'être heureux, nous sentons aussi que nous sommes libres à choisir les moyens de l'être.

Mais parce que dans les délibérations importantes, il y a toujours quelque raison qui nous détermine, et qu'on peut croire que cette raison fait dans notre volonté une nécessité secrète, dont notre âme ne s'aperçoit pas; pour sentir évidemment notre liberté, il en faut faire l'épreuve dans les choses où il n'y a aucune raison qui nous penche d'un côté plutôt que d'un autre. Je sens, par exemple, que levant ma main, je puis ou vouloir la tenir immobile, ou vouloir lui donner du mouvement; et que me résolvant à la mouvoir, je puis ou la mouvoir à droite, ou à gauche avec une égale facilité : car la nature a tellement disposé les organes du mouvement, que je n'ai ni plus de peine ni plus de plaisir à l'une de ces actions qu'à l'autre; de sorte que plus je considere sérieusement et profondément ce qui me porte à celui-là plutôt qu'à celui-ci, plus

1.o Par l'évidence du sentiment et de l'expé- je ressens clairement qu'il n'y a que ma volonté rience,

2. Par l'évidence du raisonnement,

qui m'y détermine, sans que je puisse trouver aucune autre raison de le faire.

TOME IV.

Je sais que quand j'aurai dans l'esprit de prendre une chose plutôt qu'une autre, la situation de cette chose me fera diriger de son côté le mouvement de ma main; mais quand je n'ai aucun autre dessein que celui de mouvoir ma main d'un certain côté, je ne trouve que ma seule volonté qui me porte à ce mouvement plutôt qu'à l'autre.

Il est vrai que remarquant en moi-même cette volonté qui me fait choisir un des mouvements plutôt que l'autre, je ressens que je fais par là une épreuve de ma liberté, où je trouve de l'agrément; et cet agrément peut être la cause qui me porte à me vouloir mettre en cet état. Mais, premièrement, si j'ai du plaisir à éprouver et à goûter ma liberté, cela suppose que je la sens. Secondement, ce désir d'éprouver ma liberté, me porte bien à me mettre en état de prendre parti entre ces deux mouvements, mais ne me détermine point à commencer plutôt par l'un que par l'autre; puisque j'éprouve également ma liberté, quelque soit celui des deux que je choisisse.

Ainsi j'ai trouvé en moi-même une action, où n'étant attiré par aucun plaisir, ni troublé par aucune passion, ni embarrassé d'aucune peine que je trouve en l'un des partis plutôt qu'en l'autre, je puis connoître distinctement, surtout y pensant comme je fais, tous les motifs qui me portent à agir de cette façon, plutôt que de la contraire. Que si, plus je recherche en moi-même la raison qui me détermine, plus je sens que je n'en ai aucune autre que ma seule volonté ; je sens par là clairement ma liberté, qui consiste uniquement dans un tel choix.

C'est ce qui me fait comprendre que je suis fait à l'image de Dieu; parce que n'y ayant rien dans la matière qui le détermine à la mouvoir plutôt qu'à la laisser en repos, ou à la mouvoir d'un côté plutôt que d'un autre; il n'y a aucune raison d'un si grand effet, que la seule volonté, par où il me paroît souverainement libre.

C'est ce qui fait voir, en passant, que cette liberté dont nous parlons, qui consiste à pouvoir faire ou ne faire pas, ne procède précisément ni d'irrésolution, ni d'incertitude, ni d'aucune autre imperfection; mais suppose que celui qui l'a au souverain degré de perfection, est souverainement indépendant de son objet, et a sur lui une pleine supériorité.

C'est par là que nous connoissons que Dieu est parfaitement libre en tout ce qu'il fait au

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ligible; et qu'il l'est en particulier à l'égard de l'impression du mouvement qu'il peut donner à la matière. Mais tel qu'il est à l'égard de toute la matière, et de tout son mouvement, tel a-t-il voulu que je fusse à l'égard de cette petite partie de la matière et du mouvement qu'il a mis dans la dépendance de ma volonté. Car je puis avec une égale facilité faire un tel mouvement, ou ne le pas faire mais comme l'un de ces mouvements n'est pas en soi meilleur que l'autre, ni n'est pas aussi meilleur pour moi en l'état où je viens de me considérer; je vois par là qu'on se trompe, quand on cherche dans la matière un certain bien qui détermine Dieu à l'arranger, ou à la mouvoir en un sens plutôt qu'en un autre. Car le bien de Dieu, c'est lui-même ; et tout le bien qui est hors de lui, vient de lui seul : de sorte que quand on dit que Dieu veut toujours ce qu'il y a de mieux, ce n'est pas qu'il y ait un mieux dans les choses qui précèdent en quelque sorte sa volonté, et qui l'attirent; mais c'est que tout ce qu'il veut, par là devient le meilleur, à cause que sa volonté est cause de tout le bien et de tout le mieux qui se trouve dans la créa

ture.

J'ai donc un sentiment clair de ma liberté, qui sert à me faire entendre la souveraine liberté de Dieu, et comme il m'a fait à son image.

Au reste, ayant une fois trouvé en moi-même, et dans une seule de mes actions, ce principe de liberté ; je conclus qu'il se trouve dans toutes les actions, même dans celles où je suis plus passionné; quoique la passion qui me trouble ne me permette pas peut-être de l'y apercevoir d'abord si clairement.

Aussi vois-je que tous les hommes sentent en eux cette liberté. Toutes les langues ont des mots et des façons de parler très claires et très précises pour l'expliquer : tous distinguent ce qui est en nous, ce qui est en notre pouvoir, ce qui est remis à notre choix, d'avec ce qui ne l'est pas; ́et ceux qui nient la liberté, ne disent point qu'ils n'entendent pas ces mots, mais ils disent que la chose qu'on veut signifier par là n'existe pas.

C'est sur cela que je fonde l'évidence du raisonnement qui nous démontre notre liberté. Car nous avons une idée très claire, et une notion très distincte de la liberté dont nous parlons d'où il s'ensuit que cette notion est très véritable, et par conséquent que la chose qu'elle représente est très certaine. Et nous n'avons pas seulement l'idée de la souveraine liberté de

dehors, corporel ou spirituel, sensible ou intel-Dieu, qui consiste en son indépendance absolue,

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